Soleil gris de Camille Monnier

Qui n’a pas connu ces longues journées d’été marquées par la chaleur suffocante et l’ennui écrasant ? C’est de cette torpeur envoûtante que la jeune réalisatrice Camille Monnier va tirer son dernier court-métrage, Soleil gris, préselectionné aux César 2025 et disponible sur Arte. Deux cousines, coincées dans un hôtel vide et se supportant peu, cherchent à combler l’ennui dans un climat de fin des temps.

Dans un mélange de chaleur accablante et de poussière volante, Camille Monnier représente les journées vides d’été dans un paysage quasi désertique, rythmé par le mouvement de sacs plastiques volant doucement au gré du vent. Au bord d’une piscine vide, dans un motel où personne passe et où s’étend au loin une étendue ocrée d’herbes sèches, on est vite pris d’un sentiment de solitude face au monde, et même celui de la fin du monde en elle-même. Le court nous plonge directement dans cette ambiance particulière et indéfinissable, avec une poésie désolée du vide et ce léger vent qui n’arrive pas à rafraîchir.

D’un côté, nous avons Jess sur son transat, en train de lire un magazine sur comment perdre du poids, triturant son corps tout exposé au soleil, et de l’autre, Charlie, toute habillée et tournant en rond autour de la piscine comme un vieux loup, voulant absolument aller se baigner à la mer. Entre les deux, pas d’atomes crochus, elles sont là parce qu’elles doivent garder le motel, forcées de rester ensemble, et c’est tout. À coup de paroles cinglantes, la tension monte un peu, Jess menace Charlie de croiser un coyote. Lorsque Charlie va se chercher un Coca pour se rafraîchir, la soif monte aussi en nous (encore plus quand la boisson reste coincée dans le distributeur). À ce titre, on ne peut qu’applaudir le rendu atmosphérique visuel de ce court, qui fait aussi bien sentir au personnage qu’au spectateur la gorge s’assécher et le malaise s’installer.

Un élément vient couper l’ennui dans lequel les deux filles se trouvent. Derrière le grillage, une voiture apparaît et roule jusqu’au motel. Au volant, un garçon leur propose de monter pour aller se baigner. Finalement, aucune des deux n’y va. La tension monte encore. Les corps gris se déplacent avec langueur dans le décor, marqué de-ci et de-là de nuances bleues et rouges. Le faux calme du vent chaud, de la voix radiophonique qui grésille dans le haut-parleur et de cette espèce de bourdonnement incessant rendent toujours plus insupportable le paysage desséché.

L’ambiance devient sombre, comme dans un rêve sur fond noir : un corps nu féminin, une coupure rouge puis un coyote apparaissent pour se rapprochent de plus en plus. Il semble que c’est Charlie, qui plonge ses mains dans la fourrure d’un coyote, et ses poils ressemblent à des flammes. Puis le coyote se renferme sur elle. C’est un songe bizarre dont on est surpris, tout autant que Charlie qui se réveille bouillante au fond de la piscine, sa peau grise devenue rouge. Dans le bassin, des choses volent : est-ce des bouts de feuilles ou bien des cendres ?

L’étendue d’herbe jaune séchée au soleil est devenue un brasier, les palmiers sont couverts de flammes, et on entend la voix de Jess en fond, empreinte de panique. Enfin, les deux sortent du motel par la contrainte. La fuite des incendies se présente comme une course effrénée, presque irréelle dans un rouge vermillon teinté de particules de cendres, reproduisant comme le grain d’un vieux film, mais sur fond d’aquarelle. Ce visuel graphique aussi beau qu’étrange se prolonge jusqu’à l’arrivée dans la mer, dont la surface est colorée de cet orange doux des flammes. La baignade tant souhaitée est devenue une libération étrange, proche de l’apocalypse : les coyotes sont aussi au bord de l’eau, les sacs plastiques s’envolent, et l’ambiance est toujours aussi désolée qu’avant, si ce n’est plus.

Dans un entretien à Arte, Camille Monnier se confie sur son intérêt pour la collapsologie, c’est-à-dire l’étude d’un effondrement potentiel de la civilisation, qu’elle lie subtilement dans son court-métrage à l’adolescence, une période de (dé)constructions aussi ravageante, la fin d’un monde en lui-même. Ce double lien est parfaitement rendu par la beauté sombre de cette peinture et animation sur papier, qui nous emporte pendant douze minutes dans un paysage caniculaire pénétré de lassitude, si particulier par la grande sensorialité qu’il arrive à nous transmettre.

Amel Argoud

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