Venu au Festival d’Arras présenter Joli, joli de Diasthème, William Lebghil évoque pour Format Court ses amitiés en courts et en longs, l’empathie qu’il associe à son métier et la lucidité qu’il a face à l’incertitude des tournages. Vu dans les films Grand Paris de Martin Jauvat, La vie de sa mère aux côtés d’Agnès Jaoui ou la série Hippocrate de Thomas Lilti, il est à l’affiche de Le beau rôle de Victor Rodenbach (sortie prochaine), un premier long accueillant une pléthore de jeunes comédiens, avec en premier plan Vimala Pons. En parallèle, l’acteur joue ou prête sa voix dans des courts de fiction et d’animation. Rencontre avec un comédien qui rit beaucoup, qui cultive le mystère (zéro info sur Instagram) et qui est aussi naturel que sympathique.
Format Court : Tu fais confiance à des réalisateurs de premiers longs qui viennent du court. Comme tes rôles sont de plus en plus importants, qu’est-ce qui fait que tu libères quand même du temps pour faire des courts ? Est-ce que tu crois vraiment dans ce format, est-ce que ce sont vraiment les projets qui te parlent ou alors ce sont plutôt les relations qui jouent ?
William Lebghil : Les courts-métrages, dans le fond, je n’en ai pas faits énormément, mais c’est en général des liens d’amitié qui m’amènent à en faire.
Comme avec Félix Moati, par exemple, sur Après Suzanne ?
W.L. : Oui, voilà. Avant le film de Martin Jauvat, j’avais fait deux courts avec lui. Je l’avais rencontré sur le film Yves de Benoit Forgeard, il faisait le making of et il s’occupait un peu de la street credibility du film. On est devenus plutôt très copains. J’avais vu ses précédents courts-métrages que j’avais beaucoup aimés, du coup, j’ai eu confiance en lui. Il parle aussi de la banlieue, et d’un endroit où moi, j’ai grandi, parce qu’on vient tous les deux du 77, la Seine-et-Marne. Ça m’intéressait de découvrir un mec qui parlait de là où j’ai passé mon enfance, avec une forme de poésie et d’humour, avec un propos que je trouve assez profond sur ces zones-là, où on n’est pas dans la cité. On est dans des pavillons où on se fait un peu chier. Bref, ça me parlait vachement. En fait, mon lien, en tout cas avec les courts-métrages, est surtout sentimental. J’en fais aussi quand ça m’intéresse. Par exemple, Choucroute a été réalisé par mon meilleur ami, Benoît Moret. On joue ensemble, je l’ai rencontré quand j’avais 16 ans à Paris. On est encore amis aujourd’hui, et il a fait son premier film. On adore manger, donc ça me paraissait tout à fait logique de faire ce film ensemble ! Ce que j’aime bien avec les courts-métrages, c’est la promesse qu’il y a derrière. La promesse d’un cinéaste, d’un auteur, c’est assez excitant.
Avec Anthony Bajon, on a parlé du premier casting, du début, des désillusions aussi. C’est vrai qu’à un moment donné, quand on est lancé, on met un peu ça de côté, mais il faut quand même se faire repérer et surtout persévérer. Comment ça s’est passé pour toi, les castings ?
W.L. : Au début, je faisais beaucoup de théâtre, et je m’étais donné tout seul du travail en produisant une pièce dans un petit café-théâtre. Je jouais tous les soirs. Après les castings, je n’en ai pas passés tant que ça non plus, mais parmi les premiers que j’ai passés, il y en avait un pour une pub pour la Wii. J’étais tellement stressé que j’ai découvert des muscles de mon visage que j’ignorais ! Ensuite, j’ai pris le métro et j’ai failli m’évanouir, j’ai eu comme un black out parce que j’étais vraiment ultra stressé.
Tu l’as eu, le casting ?
W.L. : Non, pas du tout (rires) ! En tout cas, je ne sais pas ce qu’il faut faire exactement, mais l’objectif pour un acteur, c’est de réussir à être assez détendu pour pouvoir être disponible pour pouvoir jouer, et pour pouvoir avoir une attention un peu aiguisée.
Comment conçois-tu ce métier ? Le reste du temps, comment est-ce que tu fonctionnes quand tu ne tournes pas ? Il y a quand même des périodes de doutes, des incertitudes.
W.L. : C’est ça qui est difficile. Si on arrive à faire deux films par an quand on est acteur, c’est que ça va, c’est chouette. Deux films par an, ça représente en termes de temps peut-être six à huit mois de travail, donc il y a six ou quatre mois à la limite dans l’année où il ne se passe rien, où on est au chômage en fait, où on est comme des retraités. C’est un peu ça qui est intéressant aussi je trouve, et qui est une vraie chance, c’est de réussir à remplir ce temps-là, et à le mettre à profit pour soi-même, pour son travail, pour son métier d’acteur. Moi, j’aime bien aussi aller au théâtre quand je ne tourne pas, parce que justement ça me fait continuer à travailler, parce que c’est un métier où on approfondit tout le temps, et c’est infini. Notre expérience de vie se mélange, elle se greffe, on grandit en même temps qu’on approfondit notre art dans ce métier. Moi en dehors, j’aime bien cuisiner, voir mes amis, voyager, faire des choses tout à fait normales.
Est-ce que ça t’arrive de revoir les images d’avant, et de réaliser comment tu as évolué, grandi, changé mentalement ?
W.L. : Je ne regarde pas vraiment les images. En fait, je ne vois pas trop quel serait l’intérêt de revoir des films dans lesquels j’ai joué. Non, je ne le fais vraiment pas du tout (rires) ! Mais je peux retomber parfois sur des films que j’ai faits et les revoir avec nostalgie. En fait, plus le temps passe, plus le film est derrière nous, moins on a un regard jugeant sur ce qu’on a fait, moins on se voit parce que c’est assez difficile de se voir à l’écran quand même. Et puis voir un film dans lequel on a joué, c’est comme regarder un film de vacances. On se souvient de ce qu’on avait mangé le midi à la cantoche, la blague qu’on avait faite à untel ou untel… Je trouve que c’est assez difficile quand on a joué dans un film de voir le film tel qu’il est. Notre regard, il est biaisé. En fait, plus le temps passe, plus on oublie ce qui s’est passé et plus on peut regarder le film tel qu’il est. Pour le coup, c’est assez intéressant.
Tu as joué dans le dernier film de Lionel Baier, La Cache. Tu y as joué aux côtés de Michel Blanc, tu as également joué dans son film Voyez comme on danse (2018). Comment fonctionnais-tu avec lui ? De manière plus large, tu t’es retrouvé avec des gens de ta génération, avec tes potes, comme sur Hippocrate, mais aussi avec des acteurs plus chevronnés, des références. Comment est-ce que tu arrives à trouver ta place ?
W.L. : Je suis évidemment probablement plus impressionné par des gens qui m’ont bercé quand j’étais enfant et que j’admire beaucoup, ça, c’est sûr. Mais en même temps, mes expériences sont plutôt positives. Par exemple, quand j’ai rencontré Michel, c’était quelqu’un de plutôt simple, qui est devenu après un ami. Il me donnait des conseils sans m’en donner d’ailleurs, parce que ce n’était pas un donneur de leçons du tout. Je sais pas, sa façon d’être et de vivre, elle ressemblait plutôt à la mienne. Et en fait, je suis plutôt souvent agréablement surpris de voir que les gens qui font ce métier depuis longtemps et qui le connaissent bien sont des gens plutôt simples. En tout cas, c’est l’expérience que j’ai. Je le vis plutôt comme une chance de rencontrer ces gens-là et de pouvoir travailler avec eux, que ce soit Michel ou Agnès Jaoui. Que ce soit des acteurs ou des réalisateurs chevronnés, ils ont de l’expérience et donc de l’empathie, puisque c’est un métier qui tourne vachement autour de ça. Vu que ce sont des gens qui font ce métier depuis longtemps, ils arrivent à se mettre à la place d’un jeune acteur qui arrive et à l’aider. Moi, je me suis senti vachement dorloté, protégé et compris, en fait, par ces acteurs et réalisateurs et actrices et réalisatrices. L’empathie est inhérente à ce travail, il faut en avoir, c’est obligé.
Tu prêtes ta voix à un film d’animation réalisé par des étudiants des Gobelins, Au revoir Jérôme. Le héros est un personnage avec des grandes jambes, ta voix est méconnaissable, le dessin est ubuesque. Qu’est-ce qui t’a donné envie d’accepter ce projet ?
W.L. : Moi, j’adore. C’est un exercice qui m’a trop plu, qui est assez étonnant et qui est assez différent du jeu d’acteur. J’y vais avec plaisir, mais parce que ça me plaît. Si on m’avait envoyé un film qui ne m’avait pas plu, je ne l’aurais pas fait. Je fais confiance à mon intuition, à ce que je ressens à la lecture du scénario et à la rencontre aussi avec la réalisatrice ou le réalisateur.
Qu’est-ce que le court-métrage peut représenter ? On lui associe souvent cette expression de carte de visite.
W.B. : Un petit peu, oui. C’est ça, parce que le court-métrage ne passe pas en salle alors que le long, oui (rires) ! Ça ne fait pas vendre des confiseries, les courts-métrages (rires) !
Au Festival Format Court, il y a un distributeur ! On te filera des confiseries si tu viens.
W.B. : Génial !
Comment es-tu guidé dans tes choix ?
W.B. : Je fais très, très confiance à mon agent aussi. J’aime ses goûts, j’aime la manière qu’il a de parler des films, même de penser au casting des films. Je trouve que c’est un être précieux.
Dans tes projets super différents, il y a ce truc du mec souriant, « populaire », qui revient. Est-ce que tu as l’impression que tu renvoies à ça ?
W.B. : D’être sympathique ?
Oui, ce côté proche, pote, peu dans le star system.
W.B. : Ouais, tout à fait. Je regardais récemment une interview de Patrick Dewaere que j’aime beaucoup. Il dit : « Si les spectateurs me voient en train de faire une pub pour les pâtes et après une autre pour un parfum, ils ne vont jamais réussir à croire que dans un film à venir, je vais être le petit boulanger de quartier ». En fait, j’aimais bien cette approche du métier, c’est pareil avec les réseaux sociaux, je trouve que c’est hyper important de garder du mystère pour simplement ne pas dévoiler toute sa vie non plus, pour qu’en fait le spectateur puisse croire que tu es un rôle et puis un autre. Je me dis que le spectateur de cinéma, si il t’a vu juste avant sur son portable en train de faire cuire des saucisses et que tu joues un employé de banque, il va moins accrocher facilement, il va moins croire facilement que tu l’employé de banque. Tiens, j’espère qu’on me proposera un jour ce rôle (rires) ! Au final, j’ai quand même fait une pub pour la BNP [Mes colocs].
Et là, tu ne stressais pas ?
W.B. : Non, pour le coup j’étais hyper détendu, c’était le premier casting que j’avais, que j’ai réussi et c’était Riad Sattouf qui réalisait cette pub. Je me souviens que j’arrivais dans la salle et qu’il n’y avait pas de texte. Au dernier moment, il nous filait un texte qui était totalement absurde. Du coup, c’était hyper relax, il n’y avait pas de pression. Tu savais que de toute façon, on ne te demandait pas d’apprendre un texte et de le savoir, on te demandait juste d’être naturel.
Le stress du casting est très différent de celui du théâtre.
W.B. : Oui, tu es en concurrence alors que le théâtre c’est vraiment autre chose et puis il y a un rapport au public alors que quand tu es dans une salle de casting avec une petite caméra et que tu dois faire semblant de lancer une machine à laver, c’est une autre façon de jouer.
Tu as des copains qui galèrent ?
W.B. : Bah oui, c’est une profession où il y a beaucoup de gens qui galèrent, ça fait vraiment partie de ce métier. J’ai écouté l’autre jour une interview de Charlotte Rampling, qui est une immense actrice dont je suis trop fan ! Elle racontait qu’elle a eu une espèce de traversée du désert pendant une dizaine d’années. On ne lui proposait rien et aujourd’hui, on la voit dans Dune de Denis Villeneuve. En fait, j’aime bien écouter ces acteurs et actrices qui parlent du métier où en fait de toute façon, on sait qu’à un moment donné, ça va être galère.
Tu en es conscient ?
W.B. : Mais bien sûr, c’est le jeu (rires) ! C’est en même temps ça qui est un peu excitant. On se prépare et si ça arrive, ça arrive. Il y a eu déjà des périodes où je n’ai pas ou très peu travaillé pendant un an ou deux. Là non, j’ai beaucoup travaillé ces derniers temps donc je suis très content.
Je trouve intéressant d’écouter des histoires de vies, des témoignages de gens qui ont eu une longe carrière. Est-ce que pour toi, l’idée, c’est d’en tirer une leçon ?
W.B. : Ou de me rassurer. En tout cas ça m’intéresse d’écouter l’expérience de vie d’acteurs qui font ce métier depuis très longtemps parce que c’est mon métier, ça m’intéresse, ça me passionne et du coup j’ai envie d’en savoir plus, je suis curieux.
Propos recueillis par Katia Bayer