Les Entrelacs, c’est à la fois le premier recueil de poèmes de Grégoire Leprince-Ringuet (Ed. La Rumeur libre) mais aussi le spectacle qui en découle, interprété par l’acteur, réalisateur et metteur en scène mais aussi la comédienne et réalisatrice Pauline Caupenne, accompagnés du pianiste Jean-Philippe Heurteaut. Présenté à la Maison de la Poésie à Paris il y a quelques mois, le spectacle a été donné en octobre dernier au Musée Paul Valéry de Sète, à l’occasion des Journées annuelles Paul Valéry. À cette occasion, Grégoire Leprince-Ringuet est revenu sur sa découverte du poète Valéry, le passage à la réalisation avec son premier long-métrage La forêt de Quinconces (2016) et ce qu’ont représenté dans son parcours des films comme L’Accordeur de Olivier Treiner, César du court en 2012, mais aussi Les Chansons d’amour de Christophe Honoré (2007). Ce long entretien aborde également l’incertitude, le temps, la discrétion et la technique. Tour de piste.
Format Court : Tu as déjà participé aux journées Paul Valéry. Ton recueil est inspiré de Valéry, mais en même temps il est très libre en terme d’écriture. Certains poèmes font 5 pages, d’autres 1 page. Tu ne parles pas de renaissance, mais de deuxième naissance, d’abord avec le chant que tu as pratiqué avant le cinéma, ensuite avec la poésie. Comme si le processus recommençait.
Grégoire Leprince-Ringuet : Oui, c’est vrai. C’est très libre. C’est vraiment la sensation que j’ai eue dans ma vie. J’ai eu le sentiment d’être né une deuxième fois quand j’ai découvert l’œuvre de Paul Valéry, spécifiquement. C’est quelque chose auquel je ne m’attendais pas du tout. C’est ce qui arrive, comme souvent pour les grandes découvertes, les grands chocs esthétiques, en littérature, mais aussi au cinéma ou en musique. On a déjà vu des choses qui nous ont plu, qui nous ont séduites, qu’on aime voir, mais un choc si fort, on ne s’y attend pas. C’est l’effet que m’a fait Paul Valéry. Ça nous change tellement qu’on a comme une deuxième vie. On n’est plus du tout la même personne. Quand j’ai découvert Paul Valéry, il y a tout un pan de la poésie, mais aussi de la pensée et de la conception du monde qui s’est ouvert à moi. J’ai été bouleversé par la découverte de son œuvre et plus particulièrement de ses poèmes.
C’est marrant parce que juste derrière toi, il y a des petites phrases-clés. L’une d’elles dit ceci : « Un chef est un homme qui a besoin des autres ».
G. L-R. : Je lis deux lignes de Valéry et à chaque fois, ça me suffit pour la journée en termes d’intelligence. Ces petits morceaux de prose sur ces petits aphorismes, ces réflexions, c’est tellement juste, bien pensé, bien vu, bien écrit. Il y en a plein, il y en a des milliers, des petites phrases comme ça. « Un écrivain est un homme qui cherche ses mots », c’est parfait, c’est exactement ça. C’est très très intelligent de le voir comme ça.
Ce n’est pas quelqu’un qui parle vite et bien, c’est quelqu’un qui sait que les mots ont tous une valeur différente et donc il les cherche. Ce n’est pas aussi naturel que pour les autres. « Un chef est un homme qui a besoin des autres », cette phrase est parfaite. C’est évidemment ça, on n’est pas chef tout seul. Avant Valéry, je ne pensais pas que c’était possible d’être aussi intelligent.
Ton spectacle se donne au Musée Paul Valéry, sa tombe n’est pas loin. Tu es dans une forme de fidélité…
G. L-R. : Tout à fait, ça compte, la présence réelle. Il y a d’ailleurs un poème dans mon livre qui s’appelle « Tombeau de Paul Valéry » et qui parle de ça. Il parle du fait d’être là, vraiment, à proximité de la tombe de Valéry et qui parle du trouble qu’il y a entre le fait que, par exemple, les gens illustres soient morts mais qu’ils ne soient pas morts pour nous. Valéry, pour moi, n’était vraiment pas mort du tout et c’est très troublant de penser qu’il est mort il y a maintenant déjà assez longtemps. Il y a des gens dont l’œuvre continue à exister longtemps après leur mort et qui sont plus vivants que jamais. Et ça, c’est une sorte de miracle de l’art.
Dans ta bio, maintenant, tu dis que tu n’es pas seulement acteur et réalisateur mais que tu es metteur en scène et poète. En tant que comédien, ce n’est pas évident de se dire poète. Est-ce qu’il n’y a pas quelque chose de l’ordre du romantisme dans l’image du poète ?
G. L-R. : C’est un nom un peu ridicule aujourd’hui. C’est un nom qui est un peu connoté pour être maudit ou péjoratif parce que ça ne fait pas sérieux. Ça fait quelqu’un qui glane, qui perd son temps, qui se promène dans les champs avec une vision très champêtre et, disons cliché de ce que peut être un poète.
Il se trouve que, dans la réalité, en tout cas, pour moi, tel que je pratique la poésie, ça demande surtout énormément de travail. J’écris en vers réguliers et rythmés, comme on le faisait beaucoup à l’époque, ça s’est beaucoup perdu. Disons que la poésie, c’est le fer de lance et la technologie de pointe de la littérature. C’est peut-être là où c’est le plus technique. Le métier de poète, il ne faut pas le prendre au sérieux, mais on le fait quand même très sérieusement. Ca demande de la technique et pas tellement du romantisme. Ce ne sont pas tellement les sentiments qui dictent les poèmes que la forme et la rigueur de la pensée.
Tu as écrit ton long-métrage il y a un moment, en 2016. Tu n’as pas réalisé de court-métrage, si ?
G. L-R. : Si, j’en ai fait un, mais on ne peut pas le trouver !
Le premier long, on le sait, c’est un passage difficile et un format fragile. Comment as-tu perçu cet exercice ?
G. L-R. : Le scénario de mon film, La forêt de Quinconces, était au départ construit à partir de petits poèmes. Au départ, j’avais écrit des poèmes, une dizaine, pour la plupart assez maladroits, et en les mettant dans un certain ordre, ça faisait une ébauche de narration. C’était de la poésie qui abordait plutôt les thèmes amoureux à l’époque. C’était l’histoire d’un garçon qui rencontrait une fille qui lui jetait un sort. Le film est un conte sentimental, avec un aspect un peu fantastique. J’avais été assez influencé par la littérature fantastique à ce moment-là, par les contes de Grimm, mais aussi par ceux d’Hoffmann, et du coup, le film lui-même avait pour fondement une écriture poétique.
Il y a des dialogues en vers réguliers et rimés, en alexandrins, dans le film. C’était sa forme originelle. Originellement, il était fait pour être écrit comme ça, et puis il y avait une volonté de lyrisme aussi dans les sentiments que les vers prenaient en charge. Après, évidemment, comme tu l’as dit, il faut faire tenir une histoire debout, et ça, c’est beaucoup de travail très technique. Il a fallu, en écrivant le scénario, effectivement renoncer, ou en tout cas améliorer ou corriger certaines formes lyriques, pour qu’elles rentrent dans un cadre dramatique, dans le cadre d’une histoire, et que le spectateur puisse suivre l’histoire et s’attacher aux personnages.
Le projet aurait pu en rester à l’écrit. C’était important pour toi de le mettre en images ?
G. L-R. : Oui, c’est vrai, mais en même temps, j’avais très envie à l’époque de faire un film, de réaliser parce que j’avais été acteur pendant des années, que ça me trottait en tête. Le rapport aux images en poésie et dans le cinéma n’est pas du tout le même. Quand on fait des images poétiques, on essaie d’évoquer quelque chose pour l’imagination de quelqu’un, donc on essaie d’être le plus exhaustif possible. Quand on fait des images au cinéma, en tout cas comme je l’ai fait dans La forêt de Quinconces, c’est pour filmer des acteurs, donc pour leur donner la parole. J’aime beaucoup le cinéma éloquent, c’est-à-dire le cinéma où les acteurs ont beaucoup de mots ou de phrases à dire. J’aime voir les gens parler, comme chez Desplechin, ce serait ma référence la plus pertinente. J’aime quand il y a des scènes où les gens parlent, j’aime quand il y en a plus que pas assez. Woody Allen fait des films où ça parle beaucoup. Moi, j’ai un plaisir de spectateur face à ça, quand les dialogues sont savoureux. Dans cette tradition-là, je voulais aussi écrire du texte pour donner de la matière à jouer beaucoup aux acteurs, de la matière verbale. C’est comme ça qu’est né ce projet-là.
Ta compagne Pauline Caupenne a créé Les Visites imaginaires. Tu y collabores. De quoi s’agit-il ?
G. L-R. : L’idée, c’est d’amener le spectacle vivant au musée. Au lieu de proposer des visites guidées, traditionnelles, au lieu de fournir une information sur une œuvre, de bourrer la tête des gens avec des dates, des vies d’artistes, plutôt que de leur donner ce genre d’informations, on leur procure des émotions.
Nous, on va devant les œuvres, en jouant des poèmes, des petits morceaux de pièces de théâtre, en lisant des lettres qu’aurait écrites le peintre en question, … C’est imaginaire. On convoque une émotion littéraire, devant un tableau, ce qui fait qu’on a une autre porte d’accès à ce tableau, et un autre accès à ses propres émotions en voyant le tableau. C’était vraiment l’idée d’une visite imaginaire qui est celle de Pauline Caupenne.
Comment perçois-tu la lecture de poèmes dans un musée ? Ce n’est pas de la lecture de scénario autour d’une table, ce n’est pas une lecture individuelle chez toi, il y a un un public mais ce n’est pas non plus comme au théâtre.
G. L-R. : En fait, la forme qu’on joue est un peu hybride. Ça a vocation à se rapprocher assez du théâtre, sauf qu’il n’y a pas de situation, ce n’est pas vraiment une pièce. Il n’y a pas de rideau, on ne joue pas des personnages, ou alors on joue le même personnage, c’est-à-dire celui du poète, celui qui parle et qui s’imagine être telle et telle chose.
Mais effectivement, c’est plus de l’incarnation de poèmes que du théâtre. Le fait de le faire ici au Musée Paul Valéry, c’est une chance pour nous parce qu’effectivement, Paul Valéry est ma première inspiration, c’est une vraie image. Après, il n’y a pas dans le spectacle de véritable interaction entre les œuvres du musée où nous sommes et la forme qu’on propose. C’est comme si c’était dans un théâtre, sauf qu’on a la chance de le faire dans un musée. Ça n’a pas été conçu pour dialoguer avec les œuvres comme le sont les désirs d’imaginaire.
Comédien-poète, je ne connais pas trop. Comédien-réalisateur, c’est plus fréquent. Je sens qu’il y a une génération à laquelle tu appartiens qui ose, qui se lance. Du coup, ça m’intéresse, que tu ailles vers quelque chose de différent, que tu fasses des choix de projets et que tu utilises ainsi le temps où tu ne tournes pas.
G. L-R. : C’est très vrai, la vie d’acteur, surtout au cinéma, est faite de beaucoup d’incertitudes et de moments d’attente. La poésie, c’est presque le meilleur moyen d’attendre, parce que c’est un art qui est très long à pratiquer, qui se pratique avec beaucoup de lenteur. Moi, je mets 6 mois à écrire un poème. J’en écris plusieurs, en même temps. C’est très long à fabriquer un poème. Pour le dire vulgairement, c’est un passe-temps très efficace.
Aujourd’hui, je pense autant en tant qu’acteur qu’en tant que poète. En tout cas, en termes d’heures passées, je suis beaucoup plus poète qu’acteur. Je passe beaucoup plus de temps à écrire de la poésie qu’à jouer.
J’aime beaucoup jouer. Je suis très heureux sur les films. Mais ce n’est presque pas le même métier. Après, l’un influence un petit peu l’autre. Quand j’écris de la poésie, je pense qu’elle sera dite, qu’elle sera portée par la voix, et notamment par celle des acteurs, donc, ça compte pour moi. Mais ça compte peu par rapport à ce que c’est que d’écrire. Je suis beaucoup plus influencé par Paul Valéry que par le fait d’être acteur quand j’écris de la poésie. Et quand je joue, je ne suis plus poète du tout.
Je joue, je suis souvent au service de quelqu’un qui raconte une histoire. Et là, je suis un instrument entre ses mains. Ce qui est très agréable, c’est d’être un bon instrument, de sentir qu’on ne trahit pas la volonté du metteur en scène. Et au contraire, qu’on s’adapte le mieux possible à son geste. Ça, c’est un métier agréable. Mais c’est presque, à ce moment-là, deux métiers très séparés, auteur et acteur.
Face à des extraits de tes films, je me suis rappelée de ta partie chantée dans Les Chansons d’amour. La tonalité reste alors que le film date. Tu as commencé par le chant. C’est une autre façon aussi d’appréhender les mots. Comment cette partie musicale, chantée, t’a-t-elle accompagné aussi dans ton travail de comédien et peut-être aussi de réalisateur ?
G. L-R. : Tu as évoqué Les Chansons d’amour qui est, pour moi, peut-être le plus beau film auquel j’ai participé. J’en garde un souvenir extrêmement heureux, déjà parce que le film est génial. C’est une très grande chance, quand on est acteur, de participer à une expérience aussi complète. Tu parlais des chocs au tout début. Les Chansons d’amour, ça a été aussi un très grand choc dans ma vie d’homme et d’artiste, parce que le film est parfait, en fait.
C’est très, très rare de voir des films parfaits, de participer à des films parfaits. Il n’y a pas de défauts dans le film. Il y a eu des très, très, très beaux moments. La musique, évidemment, y est pour beaucoup.
Alex Beaupain, qui a écrit la musique, a réalisé un vrai petit chef-d’œuvre, en fait, parce que les musiques des Chansons d’amour sont suffisamment poétiques pour évoquer des moments de la vie très précis. Et, au contraire, pas tellement spectaculaires, comme peuvent l’être les comédies musicales, qui offrent tout de suite un décor très artificiel pour donner un plaisir au spectateur qui serait un plaisir de cabaret, un plaisir de spectacle, avec beaucoup de danseurs, etc. Des musiques très clinquantes, tu vois. Au contraire, il a réussi à faire des musiques où deux personnes seulement se parlent au bord d’un lit, d’amour, de la mort de quelqu’un, ou de choses beaucoup plus réalistes, beaucoup plus quotidiennes. Il a réussi à faire de la musique, du lyrisme avec ça, et on est ému. Le film est très inventif, et moi, je ne tarirai jamais assez d’éloges sur lui.
Dans mon parcours, ça m’a poursuivi évidemment, et il y a un rapport très direct, évidemment, entre le fait d’écrire de la poésie, notamment en vers réguliers, avec les rimes, qui est l’écriture la plus musicale de la langue. Les rimes elles-mêmes structurent et donnent une certaine musique, une musique même très audible, très forte, que chacun reconnaît. Même les gens qui ne connaissent pas la poésie entendent ces rimes.
Tu disais tout à l’heure que quand tu écris, ça prend du temps, mais que tu envisages les vers lus. Est-ce que tu pourrais envisager les mots chantés ?
G. L-R. : Bonne question ! Il y a dans le spectacle qu’on joue une chanson. Après dans ce recueil-là, les poèmes sont un peu trop denses en signification pour être chantés. J’ai essayé, pour tout te dire, et ça ne marche pas parce que les chansons doivent avoir une simplicité de sens qui est en rapport avec la musique directement. Si on dit trop de choses dans les mots, la musique devient parasite et empêche, en fait, le lyrisme. Ce qui nous plaît dans les chansons, c’est que c’est des paroles simples qu’on retrouve sur une musique parfois complexe ou très riche. Là, les paroles sont trop compliquées, ce ne serait pas possible de les chanter. J’ai écrit à côté des chansons que je n’ai pas encore chantées.
Il faut y aller petit à petit. On est en France et les gens adorent les étiquettes. Chaque chose en son temps !
G. L-R. : Oui, malheureusement, c’est vrai. Moi, j’aime beaucoup chanter. J’aimerais beaucoup faire un album. C’est aussi beaucoup de travail. Et là, j’essaie de faire un deuxième film.
Tu as joué dans L’Accordeur de Olivier Treiner. Le film avait eu un César en 2012. Est-ce un film qui t’a accompagné ?
G. L-R. : Oui, forcément. C’est un film qui a eu un succès mondial. L’Accordeur a fait tous les festivals de cinéma du monde entier. Il a été acheté par des chaînes de télévision à l’autre bout de la planète. Dans l’histoire du court-métrage, ça arrive deux ou trois fois par carrière, au maximum. Il a eu le César du meilleur court-métrage. Il a peut-être eu 200 prix. C’est énorme. Ça a marché partout.
Moi, j’étais très content au départ parce que c’était mon premier rôle de vraie composition. Il fallait être crédible dans le fait de faire l’aveugle, de faire semblant de ne pas voir. C’était un peu technique.
C’était une expérience de tournage où j’avais une responsabilité peut-être supplémentaire parce qu’il y avait ce défi de créer le personnage très vite, qu’il fallait qu’on y croit et qu’il soit sympathique dès le départ.
C’est un film qui est très bien réalisé. Il n’a pas beaucoup de défauts. L’histoire est parfaitement bien maîtrisée pour arriver jusqu’au paroxysme. Techniquement, la structure est très bien faite. Quand on participe à des films qui sont proches de la perfection, c’est toujours stimulant. On se dit que ce n’est pas si loin, qu’on peut y arriver.
Après, j’ai proposé à Olivier de faire un long de cette histoire-là. On en a reparlé. Il est parti sur autre chose. Ça s’est un peu arrêté. Il a réécrit un autre scénario, et moi, j’ai commencé à développer mon film.
Après, c’est bien aussi parfois que les films restent dans leur format d’origine. Les longs ne doivent pas tous être des courts adaptés.
G. L-R. : Non, bien sûr. Il y a tous les exemples. Parfois, il y a des longs tirés de courts-métrages qui sont moins bien faits. Et l’inverse.
Qu’est-ce qui fait pour toi un bon texte et un bon lecteur ?
G. L-R. : C’est passionnant. Moi, ce que je recherche quand je lis, c’est du plaisir. Je suis très pragmatique. Pour qu’il y ait du plaisir, il faut qu’il y ait un peu de profondeur. Si c’est mièvre, plein de bons sentiments, que le ciel est bleu, que les pâquerettes poussent, si n’y a pas de profondeur d’idées, de contradictions, ça ne me procure pas de joie de l’esprit.
C’est comme dans une peinture, quand il y a du contraste, de la profondeur, de la complexité, une question qu’on n’arrive pas à résoudre. Il faut quelque chose qui me rend plus intelligent, qui me donne l’impression d’éprouver des choses plus fortes. Ça peut passer par plein de choses différentes. Il y a des milliers de bons textes.
J’aime Paul Valéry. Je suis aussi un lecteur très fervent de Proust. Qu’est-ce qui fait un bon lecteur ? J’essaie toujours, en tant que lecteur, d’être le plus neutre possible au moment où je découvre un texte, le plus disponible. Il faut être concentré aussi. Je dirais quelqu’un de disponible et qui ne s’arrête pas à un premier obstacle. J’aime les textes un peu difficiles à comprendre, mais qui ont un sens. Si c’est difficile à comprendre, et qu’à la fin de la page, on n’a rien eu à manger, et que l’auteur nous laisse dans le flou de la clarté, ça ne me va pas. En plus, je n’ai plus de plaisir. En revanche, si il y a une petite énigme, mais qu’il faut s’accrocher et se concentrer pour la décrypter, et qu’à la fin, j’ai vu que j’avais bon, là, il y a un vrai plaisir d’esprit. Le bon lecteur, c’est aussi celui qui n’arrête pas tout de suite. Typiquement, avec Proust, les paragraphes sont longs, parfois la phrase est difficile, il faut s’accrocher un peu. Le bon lecteur, c’est aussi ça, celui qui s’accroche.
Tu es familier des films de Robert Guédiguian. Tu as aussi tourné avec Wes Anderson, Martin Provost, Éric Toledano, Olivier Nakache, Guillaume Nicloux, Amos Gitaï, Micha Wald, … Tu es la fois discret et présent. Qu’est-ce qui fait que tu y vas et que tu fais confiance à des réalisateurs ?
G. L-R. : Ça peut être plein de choses différentes. Ça dépend même des époques. Il y a eu des époques où on me proposait beaucoup de rôles un peu pareils. J’étais beaucoup plus jeune. On m’a fait beaucoup jouer des fils de bonne famille, des amoureux transis, des bons petits gars, etc. J’étais heureux qu’on me propose autre chose du coup, je suis plus allé vers ce genre de rôles, même si ce n’était pas forcément un choix de cœur au départ, pour éviter de faire ce que j’avais déjà fait. J’ai été très heureux de commencer à jouer des méchants, par exemple. Ça, ça peut être une première raison. La deuxième raison, c’est surtout le hasard. Les projets, parfois, arrivent au compte-gouttes, parfois il y en a trop. Il faut choisir, l’un et pas l’autre. On voudrait les faire tous. Parfois, il n’y en a pas, et on a quand même besoin de travailler pour avoir de l’argent, on prend ce qu’il y a, on ne choisit pas du tout. C’est très varié et cette discrétion dont tu parles, elle se fait parfois malgré tout ça. Parfois, elle est assumée, parfois pas. C’est au cas par cas.
Même au départ, même économiquement, il y a des films très pauvres, où il n’y a pas d’argent du tout et qu’on fait vraiment par conviction. Les Chansons d’amour, c’était typiquement un film fauché. Il n’y avait pas un centime au début. Tout le monde était très mal payé, après, on a eu un peu d’argent. Personne n’y croyait, ne voulait miser un centime dessus. Ils se sont tous mordus les doigts après, les producteurs qui avaient dit non. Le film a fait tout le tour de Paris.
Tu n’as jamais envisagé de devenir producteur ?
G. L-R. : Ah, c’est tout un métier. Bien sûr, accompagner des jeunes auteurs, ça fait rêver tout le monde parce que d’un coup, on a un peu plus de pouvoir pour essayer de faire vivre les projets. Moi qui suis réalisateur, qui essaye de faire un deuxième film parce que les producteurs me disent non, bien sûr que j’y ai pensé.
Tu es intervenant à la Fémis et au Conservatoire. Qu’est-ce que tu y donnes comme cours et qu’essayes-tu de transmettre à la relève ?
G. L-R. : À la Fémis, je donne des cours de direction d’acteur, souvent avec des acteurs qui viennent d’écoles de théâtre, du Conservatoire national supérieur d’art dramatique ou d’autres écoles comme l’ENSAD. J’essaye d’apprendre aux gens de la Fémis à se familiariser avec les acteurs, souvent, ils ne leur sont pas du tout familiers car ils manquent de culture, notamment théâtrale. Mon métier, c’est d’essayer de leur dire : « Voilà ce que c’est un acteur. Ce n’est pas une bête sacrée, vous pouvez toucher, vous pouvez appuyer sur le bouton, il peut jouer plus vite, moins vite ». Je leur apprends des techniques pour diriger des acteurs et comprendre des scènes. Au Conservatoire, ce que je fais, c’est un cours très spécifique sur les vers, les alexandrins. Comme c’est vraiment ma spécialité, j’ai une technique très spéciale, très personnelle que j’enseigne aux élèves.
Dans quelle mesure le théâtre peut-il aider un jeune réalisateur ou un jeune comédien ?
G. L-R. : Le théâtre, c’est là où c’est technique Alors, évidemment, c’est organique, on sent les choses mais on apprend à faire, à fabriquer. Être acteur, c’est savoir faire semblant. Il faut savoir fabriquer une émotion, une colère, une tristesse, une réplique, n’importe quoi. C’est comme faire une baguette de pain. Il n’y a pas le kit. Il faut apprendre à mettre la pâte, etc. C’est un métier très pratique. Il y a beaucoup de réalisateurs qui pensent qu’on peut prendre des gens dans la rue et les filmer parce qu’ils ont une présence. Évidemment, les gens ont une présence parfois dingue et on a envie de les filmer. Mais dès qu’il s’agit de jouer, de fabriquer quelque chose, c’est souvent limité ou alors il faut les prendre exactement pour leur emploi. Mais si on veut commencer à fabriquer des histoires et à faire des fictions, il faut avoir la technique de direction d’acteur et ça, c’est une technique de théâtre.
Propos recueillis par Katia Bayer