Cette année, le Festival International du Film Indépendant de Bordeaux a mis à l’honneur la Lituanie à travers une programmation de courts-métrages variés. Entre le 8 et le 13 octobre, le programme « Le Vacarme des murmures » a exploré les facettes du cinéma lituanien contemporain entre expérimentation, fiction et documentaire. Focus sur trois coups de cœur.
Techno, Mama, Saulius Baradinskas (2021)
Techno, Mama est une fiction de 18 minutes de Saulius Baradinskas centrée autour de Nikita, passionné de musique techno qui n’a qu’un seul objectif, quitter sa Lituanie natale pour aller à Berlin et fréquenter le mythique club Berghain. Entre-temps, Nikita fait des ménages avec sa mère, qui, en plus de le priver de son argent, l’abuse verbalement et physiquement.
Présenté en avant-première en 2021 à la 78ème édition du Festival de Venise, il s’agit du second court-métrage de Saulius Baradinskas, qui place la relation mère-fils et le mal-être de la jeunesse lituanienne étouffée au cœur de son récit. Les jeux de miroirs et les plans rapprochés participent à cette urgence anxiogène de fuite, où la techno est à la fois drogue et sevrage de la réalité insipide de Nikita. Dans ces espaces visuellement claustrophobes, dont l’exiguïté est accentuée par le format carré 1.33 du film, la techno en tant qu’entité à part entière existe de manière puissante.
Entre les barres d’immeubles impersonnelles et déprimantes et les maisons luxueuses que Nikita et sa mère doivent nettoyer, c’est dans les hangars industriels que Nikita se libère réellement dans la musique, laisse s’exprimer sans aucune contrainte son corps, ses désirs et son esprit. Techno, Mama est un film dense et explosif, empli de violence et agressif, ode à la liberté de la jeunesse lituanienne.
Community Gardens, Vytautas Katkus (2019)
Présenté à la Semaine de la Critique 2019, Community Gardens est l’histoire d’une relation entre un père et son fils lors d’un été dans des jardins partagés, ces endroits investis par les urbains cherchant à se déconnecter quelques jours auxquels le titre fait directement référence.
Sans passé ni futur, les protagonistes n’ont ni prénom ni histoire. La chaleur de la palette chromatique et les paysages champêtres composent une toile bucolique d’un été irréel, dont les bords fluides et mouvants de la caméra feraient presque penser aux décors de Varda dans Le Bonheur. Lorsqu’un feu ravage une des maisons, le fils sera amené à reconsidérer ses proches, indifférents et inutiles devant la tragédie qui se joue devant eux.
Si la légèreté des hommes prêtent à sourire au milieu des flammes, Community Gardens est un portrait subtil de la société patriarcale lituanienne qui peine paradoxalement à faire communauté avec ses fils, ses femmes et ses voisins, et dont la nonchalance désintègre silencieusement les liens familiaux. Un conte d’été acerbe et poétique à regarder.
Feedback, Simona Žemaitytė (2022)
Lituanie soviétique, 1988. Un jeune artiste, Saulius Čemolonskas, décide de fuir l’URSS pour s’installer en Angleterre. Des images d’archives sur plusieurs décennies oscillent entre documentaire et expérimental, où les moments erratiques de sa vie quotidienne sont filmés avec grande tendresse dans Feedback de Simona Žemaitytė.
Sur 19 minutes, la réalisatrice, monteuse et professeure met en scène ces archives crues et intimes d’un avant-gardiste musical qui s’est retrouvé apatride malgré lui, artiste génial de la scène expérimentale underground londonienne et réfugié politique au tournant du XXIe siècle.
Des bruits assourdissants cohabitent avec des mélodies harmonieuses pour tisser un récit décousu, notamment à travers les mots d’une de ses plus proches collaboratrices, Laure Prouvost, qui font irruption au milieu du film. Également présenté à l’édition 2022 du Vilnius Short Film Festival, Feedback est un hommage touchant à un artiste que la Lituanie a malheureusement perdu.