Interviewé il y a seulement un an sur notre site, Mo Harawe a réalisé The Village Next to Paradise, un premier film sélectionné dans la catégorie Un Certain Regard, en lice pour la Caméra d’or 2024. Solaire, centré sur un trio (père-soeur-enfant) en proie à la lutte, au dépassement de soi et au contexte politique et culturel, le film a comme ancrage la Somalie, terre d’origine du réalisateur et d’inspiration pour ses précédents courts dont le très poignant Will My Parents Come to See Me ?, Grand Prix international au Festival de Clermont-Ferrand 2023. Le passage au long marque aussi une première exposition cannoise pour Mo Harawe, enchaînant les entretiens, sur le bateau Arte.
Format Court : Le travail sur The Village Next to Paradise a commencé il y a 6 ans. Tu devais être en train de travailler sur le scénario quand tu as fait ton dernier court, Will My Parents Come to See Me ? En quoi tes courts-métrages t’ont aidé à préparer ce premier long-métrage ?
Mo Harawe : Cela m’a beaucoup aidé. Mon dernier court-métrage se passait en Somalie, ce film-ci aussi. J’ai pu voir la différence entre les tournages. J’ai pu aussi appréhender l’endroit, le paysage, et les gens, et aussi d’une certaine manière préparer mon équipe.
L’exercice d’un premier film est complexe. Comment as-tu préparé le scénario ? Comment as-tu travaillé avec cet environnement autour de toi ?
M.H. : La préparation n’a pas été très importante, parce que nous n’avions pas beaucoup de temps. Je pense que l’idée était vraiment de sauter dans l’eau froide. C’est littéralement comme ça que nous avons abordé ce film, parce que je suis sûr que si nous nous étions préparés, nous aurions vu à quel point cela allait être difficile. Si on avait su, on aurait put-être abandonné.
Nous avons tourné le film pendant trois mois, il y a eu 64 jours de tournage. Quand on fait un court-métrage, on ne tourne que quelques jours. Nous nous sommes donc jetés à l’eau et nous avons tout découvert en faisant le film, d’une certaine manière, parce que c’était aussi l’esprit du film. Je ne pense pas que nous aurions pu nous préparer à cela. On a tourné le film au fur et à mesure. On allait sur le lieu de tournage, si on ne trouvait pas ce qu’on voulait, on tournait quelque chose d’autre.
Tu as grandi à Vienne, tu y vis toujours. Ça a dû être un nouveau pays, une nouvelle langue pour toi. Tu n’es pas le premier à revenir à tes racines, au cinéma, surtout dans un pays où le cinéma n’est pas si présent. Comment vois-tu la situation en Somalie ?
M.H. : Beaucoup de contenus en ligne sont créés aujourd’hui en termes de cinéma, et je pense que l’avenir est prometteur. L’espace numérique, les médias sociaux, tout cela est en train de changer. Les gens créent leurs propres contenus, même en privé. Je pense donc que c’est une meilleure période, où il y a plus d’opportunités, où les connaissances sont plus accessibles qu’il y a, je ne sais pas, 15-20 ans, disons.
Comment as-tu appris à diriger tes acteurs ? Je ne sais pas si ce sont des professionnels ou non.
M.H. : Oui, ce sont des professionnels, je les appelle comme ça. Ce sont des acteurs non formés. Ils étaient les personnes qu’il fallait devant la caméra. Et pour la réalisation, ça a juste été une chose intuitive.
Te souviens-tu de la raison pour laquelle tu as voulu faire des films ? Est-ce aussi une question d’intuition ?
M.H. : Je suppose que c’est lié à la façon dont on veut s’exprimer. On exprime ce que l’on ressent dans un film, on pense à ce qu’il sera.
As-tu essayé un autre médium ?
M.H. : Non, pas vraiment.
Comment envisages-tu toute cette promotion à Cannes ? Tu déjà remporté des prix, tu as déjà participé à des festivals, tu connais un peu ça…
M.H. : Avec les courts-métrages, oui. J’ai eu l’expérience des festivals et de ce genre de choses, mais bien sûr, là, c’est complètement différent. L’exposition est beaucoup plus grande. J’ai des interviews, des séances photos et tout le reste. Mais je fais avec comme ça vient. J’essaie de prendre les choses avec légèreté. Je le vois comme un travail.
Will My Parents Come To See Me ? était très sombre, il se passait dans un prison. Une partie de ton log se déroule également dans une prison. Sur le plan visuel, as-tu senti que les choses étaient différentes pour toi ? Que tu voulais montrer la Somalie d’une autre manière ?
M.H. : Chaque film est un langage visuel d’une certaine manière. Il n’y a que des couleurs dans ce projet. C’était donc clair pour moi. Ce film était complètement différent de ce que j’avais fait avant. Les couleurs devaient dépendre de l’histoire et du film et aussi de ce qu’on obtenait, comme les lieux par exemple. Beaucoup de décisions sont parfois d’ordre pratique.
Fais-tu des photos en parallèle de tes films ?
M.H. : Non, je n’en fais pas. Je les garde pour les films.
Comment se passe ta vie, d’ailleurs, quand tu ne filmes pas ?
M.H. : Je suis normal. Ma vie est ennuyante, tranquille. Je passe du temps chez moi, à la maison.
Est-ce que le court t’intéresse encore ?
M.H. : Oui. J’ai l’impression que le court est indépendant, vraiment. C’est une autre langue. S’il y a une histoire, c’est bon pour un film, qu’il soit court ou long.
Tu vis à Vienne, penses-tu qu’un jour, tu seras inspiré à l’idée de faire un film en Europe ?
M.H. : Bien sûr. Et j’espère que je le ferai. Ça pourrait être agréable. Je dois juste trouver une histoire.
Propos recueillis par Katia Bayer