Un Genre de testament, le premier court-métrage de Stephen Vuillemin a été sélectionné dans plusieurs festivals, dont la Berlinale 2023 et Clermont-Ferrand 2024 (section Labo). Le film était en lice pour les César 2024. Après une riche carrière comme illustrateur et animateur, le tout nouveau réalisateur s’inscrit dans le milieu du cinéma et se familiarise avec le format court.
Une femme découvre un site web à son nom avec plusieurs animations basées sur ses photos personnelles publiées sur les reseaux sociaux. Dans sa quête, elle tombe sur des animations de plus en plus romanesques et complexes. Une histoire intrigante et un style visuel unique qui marquent Un Genre de testament.
Format Court : Peux-tu nous parler de ton parcours académique ?
Stephen Vuillemin : J’ai fait un bac appliqué en arts. C’est une initiation à tout ce qui touche au design, design de mode, design graphique, etc… . Après, j’ai fait un an aux Beaux-Arts et ensuite, je suis allé aux Gobelins, en animation.
Quel était ton objectif au départ avec cette école ?
SV : Je pense que quand j’ai commencé à faire avec les Gobelins, je ne savais pas exactement ce que je voulais faire comme métier en sortant. J’avais choisi les Gobelins parce que j’avais entendu que c’était une bonne école pour le dessin. J’étais plus intéressé par la BD avant d’y aller. C’est en suivant la formation que j’ai découvert comment fonctionnait l’industrie de l’animation, car il y a plusieurs métiers : le métier de réalisateur, storyboarder, designer, animateur… Je me suis rendu compte aux Gobelins que ce qui m’intéressait le plus était la réalisation et le design. En sortant de l’école, je n’ai pas trouvé du travail là dedans, donc je suis devenu animateur, alors que cela ne m’intéressait pas spécialement quand j’étais étudiant.
Pourtant, en faisant ça, je me suis rendu compte qu’il y avait aussi des choses intéressantes là-dedans, et c’est d’ailleurs ce que m’a permis de faire mon film. J’ai fait une grande partie de l’animation tout seul, et si je n’avais pas fait le métier d’animateur avant, ça aurait été impossible.
Avant Un Genre de testament, tu travaillais en tant qu’illustrateur de BD, tu faisais de l’animation pour la presse et pour la musique. Qu’as tu appris de ces autres milieux qui aurait pu être appliqué dans ton film ?
SV : Avant de faire Un Genre de testament, j’avais deux carrières en parallèle. Une carrière “d’auteur », celle que je mettais en avant sur internet (j’avais réalisé un clip, pas mal d’illustrations, je faisais beaucoup de GIFs animés, une BD qui avait un petit peu marché sur internet, appelée Lycéennes…). Mais il y avait aussi une carrière parallèle, d’animateur pur et dur, sur les projets des autres (surtout des pubs). Ça m’intéressait moins, je le faisais plutôt en alimentaire. Par contre, en faisant cela, j’ai appris à animer et même à y prendre du plaisir.
Pendant longtemps, j’avais envie de faire un film, mais je n’avais pas très envie d’aller défendre un projet, d’aller voir un producteur, de lui demander de me faire confiance, etc. Je me suis donc lancé dans ce projet de film tout seul, au départ. Grâce à mes années d’expérience dans l’animation, le fait d’avoir fait un peu tous les métiers de l’animation dans des studios, c’était envisageable. Comme ça, je n’avais pas besoin de discuter avec quelqu’un, je pouvais faire ce que je voulais et il n’y aurait pas de pression, pas de deadline. Jusqu’à la dernière année, ou j’ai commencé à collaborer avec Remembers (boîte de production, ndlr).
Mon autre carrière, celle d’auteur-illustrateur, m’avait donné le temps de développer un style, une voix, des sujets de prédilection. Le film est dans la continuité de tout mon travail d’illustration et de BD.
Comment ça fonctionne quand tu travailles tout seul sur un film d’animation ? À quel moment as-tu décidé que le scénario était fini et que tu pouvais commencer à l’animer ?
SV : J’ai perdu un peu de temps au début, parce que j’avais envie de commencer par l’animation. Normalement, on démarre par le scénario, puis le storyboard et le design avant de faire l’animation.
Au moment où j’ai commencé, je pointais le matin au travail pour faire de l’animation dans des studios, et le soir et les weekends, je travaillais sur le film, comme une espèce de hobby. Alors forcément, je n’avais pas envie de reproduire ce que je faisais au travail dans mon hobby ! Je voulais faire les choses différemment. Mais en faisant le film, je me suis rendu compte qu’il y avait certaines conventions qu’il valait mieux respecter, comme celle de faire un storyboard et un animatic avant de commencer à animer des plans. J’ai fini par me plier à cette convention. Par contre, je suis passé directement au storyboard, sans écrire de scénario.
Une des raisons pour lesquelles j’avais envie de commencer tout seul, outre mon envie de prendre mon temps et de travailler différemment, c’est que quand j’essayais d’expliquer mon projet à des personnes, c’était très compliqué, alors que quand on voit le film, c’est très clair.
À quel point étais-tu avancé dans le film quand Remembers est rentré dans le projet et quelle a été leur contribution ?
SV : J’ai d’abord travaillé seul pendant 5 ans et j’avais pas mal avancé sur le film, mais il manquait encore plusieurs scènes, dont la plus longue du film, celle dans les toilettes ; ainsi que la scène de l’accouchement, l’une des plus difficiles à animer ; entre autres. La dernière année, j’ai terminé le film avec la boîte de production Remembers. La version que je leur ai présentée était assez avancée pour qu’on puisse regarder le film et comprendre ce qui s’y passe, mais ces scènes manquantes étaient à l’état d’animatic. D’autres séquences étaient complètement terminées, et permettaient de se faire une idée du look final qu’allait avoir le film.
Quand Remembers est arrivé, ses producteurs ont d’abord cherché des financements. Ils ont trouvé tout ce qu’il nous fallait pour finir le film dans les meilleures conditions très rapidement. Ils ont trouvé une équipe incroyable, et nous avons travaillé ensemble dans leurs locaux. J’étais accompagné par une productrice géniale, Joséphine (Mancini, ndlr), et plusieurs animateurs très talentueux sont venus m’aider. Nous avons travaillé ensemble une année entière. C’était devenu une vraie production. Je travaillais à plein temps sur mon film, et contrairement aux 5 premières années, j’étais payé pour le faire, ce qui était plus confortable !
Comment as-tu vécu ce changement ? Est-ce que ça a été facile de travailler avec une équipe d’animateurs ?
SV : C’était différent, mais j’ai adoré les deux phases. Pendant les 5 premières années, ça avançait lentement, déjà parce que j’étais tout seul, mais aussi parce que je cherchais une forme de perfection, et que comme il n’y avait pas de deadline, je pouvais la chercher pendant des mois. C’était très satisfaisant quand j’avais l’impression de la trouver.
Ensuite, avec Remembers, cela a beaucoup changé parce qu’une fois qu’on avait un budget et une production, il fallait finir à une certaine date. Il fallait aussi faire confiance à d’autres personnes et déléguer le travail. Heureusement, mon équipe était incroyable. C’est l’une des raisons pour lesquelles je me suis tourné vers Remembers : ils travaillent avec les meilleurs animateurs. Par contre, la partie que j’ai eu le plus de mal à déléguer, c’était le clean-ups (la phase finale de passage au propre des dessins). J’en ai fait une grosse partie moi-même, y compris sur des plans que je n’avais pas animés, pour qu’on ait au maximum la sensation que tout venait d’une même main.
Remembers a aussi ramené quelque chose que je ne savais pas faire : la 3D. Simon Cadilhac, qui est leur “head of 3d”, a modélisé le visage du personnage en 3D, pour servir de référence aux animateurs qui la redessinaient en 2D. Certains mouvements de caméra ont aussi été animés en 3D, avec des calques en 2D. Cela nous a fait gagner énormément de temps.
Quand tu travaillais tout seul, parlais-tu du projet à d’autres personnes ?
SV : J’en parlais aux gens mais je ne le montrais pas. J’étais complètement obsédé par ce projet pendant 6 ans. Je n’avais plus de hobbies, tout mon temps libre, je faisais ça.
Je recherchais une forme de pureté. J’étais habitué à voir des projets passer de main en main dans l’industrie de l’animation, mais c’était l’opposé de ce que je cherchais pour mon film. Quand je l’ai montré aux producteurs, c’était une grosse étape à franchir. Remembers était une nouvelle compagnie, et l’esthétique de leurs projets était proche de la mienne. L’un des fondateurs, Ugo Bienvenu, était à l’école avec moi (deux promos en dessous) et il fait aussi de beaux projets d’animation. Je me suis dit que ça pouvait fonctionner avec eux. Aussi, au bout de 5 ans, cette rencontre arrivait à point nommé, parce que je commençais à fatiguer un peu. J’avais envie de terminer le projet rapidement.
C’est avec eux que le design son a été construit ?
SV : J’ai commencé le film quand j’avais 30 ans et ça faisait presque 10 ans que je travaillais dans l’animation. J’avais vraiment développé une énorme envie de faire mon propre film, et je me disais souvent : « Si je faisais un film, il serait comme ci, il serait comme ça, je demanderais à untel de faire ci, a untel de faire ça…». C’était une espèce de fantasme. J’avais plein d’idées sur les personnes avec qui je voudrais travailler. Cette personne pour la musique, c’était Charlie Janiaut, dit Qoso, un ami de longue date. J’avais fait une vidéo pour lui il y a dix ans. Lucien Krampf, qui a fait le sound design, est musicien aussi, et il fait partie de la même bande d’amis. Il y a aussi Kerhao Yin, à qui j’ai demandé de choisir les costumes dans le film, un designer de mode et ami de longue date, que j’avais envie d’impliquer depuis le début.
Ils étaient là dès le début, je leur ai montré très vite des choses, et ils savaient qu’ils allaient faire le son, mais nous n’avons commencé à travailler ensemble que quand Remembers est rentré dans le projet. À ce moment-là, il y avait un budget pour le son !
J’ai aussi pu faire jouer du saxo dans le film à Jack Willie de Portico Quartet, que je connaissais de mes années à Londres. Les astres s’alignaient !
Les vêtements des personnages sont très opulents et flashy. Même dans votre travail en général, la question de la mode est récurrente, d’où vient cet intérêt ?
SV : Je ne saurais pas dire d’où ça vient mais c’est vrai que cela m’intéresse. J’ai l’impression que mes grands deux intérêts sont de faire de l’animation et d’acheter des vêtements. Je passe beaucoup de temps à regarder des habits et, souvent dans mes illustrations, je dessine de vrais vêtements dans les personnages.
Kerhao Yin est designer et a travaillé chez Céline et Marni, des marques que j’adore et dont je dessinais déjà parfois des vêtements. Je lui ai demandé de choisir des tenues pour la protagoniste d’Un Genre de testament. Dans ce projet, il faisait du stylisme, il choisissait des vêtements déjà existants pour chaque scène du film.
Il a fait une espèce de graduation dans l’extravagance des tenues que la personnage porte, elles deviennent de plus en plus dramatiques. Il a aussi choisi des vêtements dont on peut identifier la saison, si on connait la mode : par exemple, si dans une scène, le personnage porte intégralement du Marginal de 2008, puis dans une autre, du Prada de 2012, et si on arrive à reconnaître les vêtements, on peut voir combien de temps sépare chaque scène. Il y a une chronologie.
Les vêtements ont été dessinés tels qu’ils sont ?
SV : Oui. Mes palettes de couleurs très particulières sont souvent renseignées par les couleurs avec des vêtements des personnages. Si je dessine des vêtements qui existent, j’utilise leurs palettes pour poser l’ambiance, et, ensuite, je mets les autres couleurs en fonction.
Quelles sont tes influences pour le film ?
SV : J’ai été très guidé par des peintures de vanités. Ce sont des peintures de la Renaissance très soignées, très expertes dans la façon dont elles sont peintes. Quand les peintres de la Renaissance faisaient des vanités, ils essayaient vraiment de faire la peinture la plus belle possible et de mettre tout leur savoir-faire dans cette peinture, mais au même temps, il y avait toujours une espèce de fausse humilité, comme s’ils se disaient : « Oui, je peins bien, mais cela n’a aucun sens parce que finalement je suis conscient que je vais mourir ». Les sujets qui étaient représentés étaient en accord avec cela : fleurs qui fanent, têtes de morts, insectes…
Mon idée pour le film était un peu similaire. Moi, qui suis animateur, je voulais mettre tout mon savoir-faire pour créer une belle animation, mais en même temps il y a ce thème qui est dans les vanités : la mort, le temps qui passe, et le fait qu’au final, tout n’a pas d’importance. J’aimais bien cette idée d’être à la fois très prétentieux, très démonstratif, et en même temps faire comme si cela n’avait pas d’importance.
Comment perçois-tu les festivals d’animation où passe le film ?
SV : Je suis bien content parce que quand j’ai commencé le film, je ne connaissais pas très bien le côté court-métrage de l’industrie de l’animation. Je travaillais surtout sur des projets de commande, de la pub. Être dans des festivals m’a permis de voir plus de courts-métrages, alors que je n’en regardais presque pas, c’est assez foisonnant.
Pourquoi as-tu décidé de faire le film en anglais ?
SV : Parce que quand j’ai commencé le film, j’habitais à Londres. D’ailleurs, ça aurait été inconcevable de faire financer le film au Royaume-Uni ! Là-bas, l’industrie est vraiment tournée vers la pub, et vers des styles très “commerciaux”. Il n’y a pas de studio comparable à Remembers, et leur équivalent au CNC est beaucoup moins puissant. J’ai du attendre d’être revenu en France (après un passage de deux ans à Taiwan) pour y penser.
As-tu de nouveaux projets pour l’instant ?
SV : Je suis en train de finir un livre pour enfant qui devrait sortir à la rentrée. Il y a des points communs avec le film mais c’est beaucoup plus family friendly.
Quelle est ta vision du court métrage ?
SV : Je pense que c’est un endroit parfait pour développer des films qui ne reposent pas sur les personnages, contrairement au long-métrage, ou c’est plutôt la tendance. A titre personnel, j’ai du mal à m’intéresser à mes personnages, mais ça viendra peut-être.
Propos recueillis par Bianca Dantas