Avec Rapide, Paul Rigoux signe son premier film produit et nous invite à explorer avec légèreté et humour l’anxiété d’une génération en proie au doute. Récompensé durant le dernier Festival Format Court de la mention spéciale du jury, il est maintenant nommé aux César 2024 dans la catégorie meilleur court-métrage de fiction. Une carrière de réalisateur qui pourtant n’était pas si évidente pour le jeune natif bordelais qui a travaillé une grande partie de sa vie dans la distribution. Avec recul et humour, il nous parle de l’impact qu’a eu le succès de Rapide sur sa vie et de son envie de faire de la comédie.
Format Court : Ça te fait quoi d’être nommé aux César ?
Paul Rigoux : C’est une grande joie évidemment, c’était déjà une grande fierté de figurer dans les 24 présélectionnés, mais de me voir parmi les 4 finalistes ça m’a fait exploser de joie. Maintenant, depuis ma nomination, je suis très sollicité et j’ai l’impression de vivre quelque chose d’un peu irréel. D’autant plus pour un court-métrage que j’ai pu réaliser il y a un an de cela avec le GREC qui est une association nommée pour la première fois.
Tu as toujours gravité autour du cinéma, qu’est-ce qui t’a fait passer du côté de la réalisation ?
P.R : Je ne viens pas du tout d’une famille d’artistes, ce qui fait que ma relation avec le cinéma quand j’étais adolescent notamment, était beaucoup lié à des grosses petite coquille sur la virgule ,comme les films de Christopher Nolan. Je me souviens entre autres que le film qui m’avait choqué à l’époque, c’était Seul contre tous de Gaspar Noé parce que ça me questionnait sur ce qu’on pouvait faire au cinéma. Mais c’est surtout pendant mes études de droit que je suis rentré dans une période de cinéphilie et que je me suis intéressé à des cinémas différents, comme celui de la nouvelle vague. C’est à ce moment-là qu’est née aussi l’envie de pouvoir concilier mes études et mes passions un peu plus artistiques. Moi, je viens de Bordeaux et j’ai toujours eu cette impression que le cinéma, c’était un environnement très loin du mien, un milieu très parisien. J’ai décidé par la suite de faire un master en droit du cinéma et c’est ainsi que j’ai pu après intégrer la Fémis, en distribution. Au début, je n’avais pas d’ambition de réaliser un film, en tout cas, je n’y trouvais pas ma légitimité. Je venais du juridique et je étais en rien un artiste. C’est en rencontrant tous ces élèves en réalisation et en scénario et en voyant toutes ces émulations créatives que ça m’a poussé à écrire et à réaliser mon premier court-métrage Ainsi commença le déclin d’Antoine et ensuite Rapide. Je me questionnais et ces rencontres m’ont décomplexé en un sens. Aujourd’hui, je suis content d’avoir pris cette décision.
Si tu pouvais pitcher Rapide à quelqu’un qui ne l’a pas vu, que dirais-tu ?
P.R : C’est l’histoire de deux colocs, Jean et Alex. L’un, est anxieux et apathique, tandis que l’autre cherche à éviter la réflexion pour agir rapidement. Leur quotidien est perturbé lorsque Jean invite son amie Caroline, tandis qu’Alex accueille Lou, ce qui fait confronter leurs deux visions de la vie.
Comment s’est passé le processus avec les comédiens ?
P.R : C’était beaucoup de dialogue et de discussions avant tout. Notamment, en ce qui concerne les personnages de Mélodie Adda et Abraham Wapler, à l’origine, je leur avais proposé les rôles de Édouard Sulpice et Mathilde Weil, qui étaient des personnages anxieux et lents. Et c’est lorsqu’ils ont lu le scénario qu’ils ont exprimé le désir de jouer les rôles des “Rapides”, estimant que ceux-ci leur correspondaient plus. Quant aux personnages des « Lents », Édouard et Mathilde, j’ai choisi de ne pas passer par des castings traditionnels. C’est après les avoir remarqués dans leurs apparitions respectives chez Guillaume Brac avec À l’abordage et chez Martin Gérard avec À l’ombre l’après-midi que j’ai décidé de les contacter directement.. Après en amont du tournage, c’était beaucoup de travail de répétitions parce que c’est un film très écrit et on n’avait au final que 4 jours de tournage. Je profitais aussi de l’opportunité pour réécrire le scénario et les dialogues qui ne marchaient pas pour peaufiner l’alchimie entre les personnages. Ça nous a vraiment permis d’arriver sur le plateau et d’être rodés à l’exercice. On avait juste, entre guillemets, à poser la caméra et ça s’est très bien passé.
Quelle était la place de l’improvisation sur le tournage ?
P.R : On a tellement travaillé le texte pendant les répétitions qu’au final sur place, il n’y avait quasiment pas d’improvisation sauf peut-être en ce qui concerne leur gestuelle. J’étais tellement concentré sur le texte que je leur ai laissé plus d’espaces et ils ont fini par apporter quelque chose de très comique à leur personnage notamment dans leur mimique. C’était assez naturel au final même pour le texte qui était récité limite au mot près.
De quoi est né Rapide ?
P.R : Je pense que Rapide est née en contradiction avec mon premier film. C’était un film très sérieux, très intello, très Nouvelle vague en fait, et je me souviens que quand je le montrais en festival, les moments qui m’intéressaient le plus, c’était quand les spectateurs rigolaient aux scènes où on se moquait du personnage principal. Je me suis rendu compte à ce moment-là que l’ironie pouvait être l’une de mes armes et c’est ainsi que j’ai décidé d’écrire un film plus léger et comique. Après le film est né aussi d’un constat que j’ai fait sur moi-même et sur ma personnalité fragmentée entre mon côté lent un peu intello solitaire et mon côté plus Rapide et fêtard. Ainsi, j’ai profité de ce moment de lenteur extrême qu’est le confinement pour pouvoir mettre sur papier toutes ces idées-là. Cette pause en plein chaos a beaucoup influencé l’écriture de Rapide.
On voit que tu traites cette dichotomie à travers la mode de tes personnages Rapide notamment.
P.R : Oui, c’était l’une des envies aussi avec ce film de pouvoir mettre des vêtements et des accessoires empruntés au style un peu techno et techwear. Cette fascination est née d’un délire que j’avais avec des potes où on s’amusait à acheter des lunettes et des accessoires un peu débiles. Avec le temps, la haute couture s’en est emparé, une marque comme Balenciaga a commencé à faire des collections avec des lunettes hyper profilées, des vêtements très proches du corps, très sport. C’est tout un univers visuel que j’aime beaucoup et que j’avais envie de filmer et qui rejoignait toute mes pensées théoriques en ce qui concerne le rapport au temps. En plus, c’est assez kiffant de filmer et de voir les acteurs porter ces lunettes aérodynamiques, ça me faisait marrer, quoi.
Comment as-tu réfléchi à toutes ces idées théoriques à travers ta mise en scène ?
P.R : Ça peut paraître un peu simple, mais ce que je voulais en amont, c’était de couper le film et sa narration en deux parties. Dans un premier temps, avoir une première partie très fragmentée et comique avec le personnage d’Édouard Sulpice qui se fait balader de scène en scène et où on se laisse autant embarquer que le personnage. Je voulais vraiment que ces premières minutes puissent accrocher le spectateur pour qu’il ait l’envie de voir la suite. Dans un deuxième temps, avoir une deuxième partie avec une mise en scène qui joue sur le temps long qui laisse plus la place aux dialogues entre le personnage d’Édouard Sulpice et de Mélodie Adda. Cela me permettait aussi de faire comme dans mon premier film et de jouer sur des plans-séquences. C’était un moyen pour que le fond et la forme se répondent.
On sent dans Rapide comme une influence de la comédie psychanalytique à la Woody Allen. Était-ce l’une de vos inspirations ?
P.R : Évidemment, Woody Allen était l’une de mes influences, rien que dans les dialogues et les scènes de balades dans la rue, mais aussi notamment à l’époque où il jouait dans ses films, comme Manhattan, ce personnage d’anxieux merveilleux. Je sais que j’ai été beaucoup influencé par le cinéma un peu bavard comme celui d’Eustache, Rohmer ou même de Hong Sang-Soo, un cinéma qui reflète l’anxiété. Après, on me demande souvent ça, mes inspirations, mais je crois que quand t’écris un film, une fois que tu te mets vraiment dans la prépa, t’arrêtes un peu d’être cinéphile et tu te concentres vraiment sur ton histoire. Après, évidemment, t’as tes inspirations qui sont infusées en toi, et tu ne peux pas trop t’en échapper du moins inconsciemment.
Qu’est-ce qui t’intéresse dans la comédie ?
P.R : Je suis convaincu que c’est principalement cette interaction avec le public, suite à la sortie de mon premier film, qui m’a profondément intéressé, et qui a suscité ma curiosité envers le genre de la comédie.. Je voulais vraiment m’éloigner de mon premier film qui faisait un peu redite avec ma vie, avec sa léthargie. Avec la comédie, tout en étant léger ça me permet de me libérer, de faire comme une catharsis. De pouvoir traiter via la comédie et la rencontre amoureuse de toute cette anxiété sociale, typique de notre génération et de notre époque où tout va un peu trop vite. Cela me fait du bien, et d’après les retours que j’ai reçus de ceux qui l’ont vu, c’est un film qui fait du bien et qui fait rire. Et pour quelqu’un comme moi qui est assez taiseux et timide, c’était aussi un challenge de pouvoir faire rire les gens.
Comment s’est passé ton expérience avec le GREC ?
P.R : C’était vraiment libérateur. A l’origine, moi, je développais le film avec un producteur et c’était vraiment un travail différent parce qu’on devait du coup candidater au CNC, aux régions et finalement, il fallait, pour que les Commissions aiment le film, altérer un peu le scénario. Alors qu’avec le G.R.EC. , Ils sont là avant tout pour mettre en avant des visions de cinéastes, c’est notamment ce que n’arrêtait pas de répéter chargé de production, Marcello Cavagna. Le GREC, c’est un accompagnement avant tout, c’est une superbe porte d’entrée dans le cinéma d’autant plus pour des réalisateurs dont c’est leur première expérience produite. Moi, maintenant quand je vais en festival, quand je vois qu’il y a le logo du GREC au début du film, je me dis : « Tiens, ça va être un film singulier ». Ce ne sera pas forcément toujours réussi, mais il y aura une proposition et ça, je trouve génial. C’est vraiment la matérialisation de l’exception culturelle française. C’est une association créée il y a 60 ans, qui te file 18.000 euros pour que tu fasses un film, qui t’aide à le diffuser. C’est tellement précieux et j’espère que ça va durer.
Qu’est-ce qu’on peut attendre de toi dans le futur ?
P.R : Après avoir vu le parcours Rapide en festival, j’ai décidé de quitter mon travail dans une boite de production et en ce moment, je travaille sur l’écriture de mon premier long-métrage. C’est quelque chose d’assez fastidieux sur lequel je suis en train de bosser, mais je ne m’interdis pas aussi de travailler sur du court-métrage en attendant. Je me souviens avoir parlé avec Jean-Baptiste Durand, le réalisateur de Chien de la casse, qui me disait qu’entre son dernier court produit et son long-métrage, il avait fait plein de films auto-produits. Et je pense que c’est ce que je vais faire, ça te permet de tester plein de trucs et de ne pas trop attendre pour créer.
Propos recueillis par Dylan Librati
Article associé : la critique du film