Connue avant tout pour son travail sensoriel et immersif de la techno, Irène Drésel a marqué avec la bande originale d’À plein temps d’Eric Gravel, ses premiers pas dans la composition musicale de film. Une première incursion, qui lui valut le César 2023 de la meilleure musique, une première pour une femme dans cette catégorie. Membre du comité artistique des César aux côtés de Dominik Moll, Pierre Salvadori, Louis Garell, Frédéric Baillehaiche et Guslagie Malanda, et à présent membre du jury Labo au 46e Festival de Clermont-Ferrand, elle explore son parcours et fait entendre son point de vue sur le format court.
Format Court : D’où est venu votre entrain dans un premier temps pour la musique ?
Irène Dresel : Moi en fait, je viens avant tout de l’image, puisque j’ai étudié aux Beaux-arts et aux Gobelins et pendant longtemps, j’étais attachée aux arts contemporains. J’ai eu besoin de sortir de tout cela pour aller vers quelque chose de plus authentique et de plus spontané. J’avais ce désir-là de faire de la musique techno depuis bien longtemps et c’est pendant une soirée que j’ai fait une rencontre qui m’a poussée vers ce chemin-là. Quelqu’un qui m’a aidé, m’a guidée et c’est comme ça que ça a commencé.
Qu’est-ce qui vous intéresse tellement dans la musique électronique ?
I.D : Je fais de la musique électronique avec des influences techno et c’est toute cette matière qui en gravite autour qui me fascine. Il y a toute une dimension ludique dans la musique techno qui concerne les fréquences basses et cela produit un véritable impact sur le corps. C’est un style de musique que je trouve très physique et qui nous transporte très vite dans une autre dimension.
Vous êtes ensuite passé à la composition de film avec À plein temps. Est-ce que c’était quelque chose qui vous a toujours intéressé ?
I.D : Pas forcément, je suis arrivé sur le projet grâce à la boîte de production Novoprod qui m’a appelée parce que j’avais déjà travaillé avec eux notamment sur de la pub. Quand ils m’ont appelé pour faire cette musique, mon travail dans ce domaine se limitait à un film des années 30, Loulou, de Pabst que j’avais remis en images. Même si je viens de l’image, ce n’est pas quelque chose qui m’intéressait fondamentalement, je me souviens même de mes copains à l’école de photo qui me disait que ma musique leur évoquait vraiment des images de film, mais moi ce qui m’intéressait, c’était juste faire de la techno.
À quel moment êtes-vous arrivée sur le projet ?
I.D : Je suis arrivée deux mois avant la première projection presse, tout le tournage était terminé, il y avait encore quelques ajustements au niveau du montage avec l’ajout de la musique, mais dans l’ensemble tout était fini.
Et comment s’est passée la collaboration avec Éric Gravel ?
I.D : Très bien, c’était un travail de longue haleine sur deux mois assez intensifs, mais j’ai trouvé en Éric un partenaire très professionnel qui ne me laissait jamais dans l’attente de son retour sur mes propositions. Au final, tout cela a été très fluide.
Qu’est-ce qui a différé dans votre façon de concevoir la composition musicale ?
I.D : Quand on travaille sur un film, on répond aux attentes du réalisateur, on est là pour servir le film et toute l’équipe qui est derrière. C’est très différent du travail de composition d’un album ou là, c’est vraiment juste moi et mes goûts. J’étais là pour me coller aux intentions d’Eric Gravel qui avait une idée très précise sur ce film pour la musique de son film. Il voulait une musique très typée années 70 avec des sonorités très ambiantes évitant toutes les percussions comme les kicks et les drum, tout ce que j’utilise dans ma techno, il voulait quelque chose de sous-jacent.
Un an après votre César, quel est votre point de vue sur l’évolution de la place des femmes dans la composition musicale de film ?
I.D : Je vois une certaine évolution, déjà l’année dernière aux César, il y avait eu une sorte de scandale en ce qui concerne les femmes nommées ou récompensées ne serait-ce que dans la catégorie réalisation. Cette année, ce n’est plus pareil, on peut retrouver beaucoup de femmes nommées, même dans la catégorie meilleur musique où on trouve Delphine Malaussena pour Chien de la casse. Je pense que mon César a dû aider à faire comprendre qu’il y avait quelque chose d’anormal, même si le plus important, ce sont les musiques. Après, je pense qu’il y a aussi une sorte de manque de confiance de la part des boîtes de production envers les femmes compositrices. Mais heureusement, ça change.
Quels souvenirs gardez-vous de votre expérience dans le comité artistique des César ?
I.D : C’était assez intense, parce qu’il a fallu voir une trentaine de films et c’était surtout assez enrichissant. Cela permet d’avoir une vision d’ensemble sur ce qui se fait aujourd’hui dans le paysage audiovisuel francophone, de voir une nouvelle génération d’auteurs. Après, ce n’était pas ma première expérience, parce que j’ai été jury au festival de la Baule et au festival des Arcs, mais là, c’était plutôt du long-métrage. C’est vrai que quand on en voit une trentaine de films, ça aiguise l’œil et ça permet de voir plus facilement les coutures d’un scénario par exemple.
Vous seriez capable de travailler sur un court-métrage ?
I.D : Ca m’intéresse. Je me vois plus passer directement du côté du long-métrage et réaliser un court, mais je ne pense pas avant 10-15 ans. Je me vois bien n’en réaliser qu’un seul.
Après moi, je suis assez difficile, je ne dis pas très souvent oui à des projets et notamment en ce moment, après le César. Mais je pense que ça dépend de l’idée, de la personne qui est derrière et aussi évidemment de l’image qui sera liée à ma musique. Au final, je suis très attachée à l’image, pour quelqu’un connu pour le son, c’est paradoxal, mais j’y suis sensible.
Quel est votre rapport au court-métrage ?
I.D : Je ne me suis jamais réellement intéressée à ce format, mon premier plongeon dans le monde du court-métrage, c’était grâce aux César et au comité de sélection. Mais personnellement, je ne vois pas tellement de différence entre long et court métrage. Il y a évidemment une différence de temps qui est donnée, mais au final, on les juge de la même façon. En fait, il y a des courts-métrages qui pourraient être des longs, c’est juste un problème de temps et de budget et il y a des longs qui feraient mieux d’être des courts-métrages. Après moi, j’ai du mal avec des films qui s’étirent des fois pour rien et qui dépassent l’heure et demie. Avec le court-métrage, je m’y retrouve.
Qu’est-ce qu’on peut attendre de vos prochains projets ?
I.D : En ce moment, je suis en tournée à la suite de la sortie de mon troisième album et à côté de ça, j’ai des demandes pour des longs-métrages, mais j’essaye de ne pas dire oui à tout parce que j’ai besoin d’être transportée pour faire du bon travail.
Vous pensez que le fait d’avoir remporté un César vous pousse à devoir faire mieux ?
I.D : Non, c’est vraiment à titre personnel que j’essaye de trouver un projet exaltant, Je ne me mets pas de pression quant à mon travail. Je cherche vraiment le coup de cœur.
Propos recueillis par Dylan Librati