Nommé au César du meilleur acteur dans un second rôle pour Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand, Anthony Bajon vient de passer à la réalisation avec La Grande Ourse, sélectionné en janvier dernier au festival Paris Courts Devant. Dans ce premier film, une violence sourde s’invite le temps d’un été, dans un camping de vacances dans lequel évoluent l’acteur lui-même, mais aussi Ophélie Bau, Diane Danglard, Marie Colomb, Zinedine Soualem et Marie Bunel.
L’occasion de cette projection nous a permis de faire le point avec l’acteur s’étant fait connaître avec La Prière de Cédric Kahn et bien d’autres films (Tu mérites un amour de Hafsia Herzi, La Troisième Guerre de Giovanni Aloi, Une jeune fille qui va bien de Sandrine Kiberlain, …). Il est rare en entretien de recueillir des mots aussi francs et intimes sur la direction d’acteurs, les désillusions du métier, l’intérêt pour les premiers films et l’absence de plan B. Rencontre.
Format Court : Nous avions rencontré Raphaël Quenard cet été au moment où il présentait son premier court-métrage L’Acteur (co-réalisé avec Hugo David) dans lequel tu fais une courte apparition. Contrairement à lui, tu ne sembles pas avoir fait beaucoup de courts-métrages. Quand tu commences dans le cinéma avec Les Ogres de Léa Fehner, est-ce que le court Azurite de Maud Garnier a lieu au même moment ou tu fais d’abord ce court avant le long ?
Anthony Bajon : Les Ogres est arrivé à un moment où j’avais déjà fait quatre ou cinq courts. Azurite arrive juste avant. Une fois que je fous les pieds sur Les Ogres, qui est la première fois sur un plateau de long-métrage, c’est vrai que je vais beaucoup moins sur les courts, jusqu’au moment où j’y retourne pour un film qui s’appelle Harmony de Céline Gailleurd et Olivier Bohler avec Alma Jodorowsky, Noée Abita et Grégoire Colin. J’y retourne parce que c’est juste après le Covid, que le sujet me plaît et que le casting est fou. C’est un format sur lequel on va moins une fois qu’on a la chance de mettre les pieds sur des longs et de travailler dessus. Je pensais que j’allais continuer encore longtemps à faire des courts, puis j’ai eu la chance de commencer à faire un petit peu de longs-métrages et c’est vrai qu’après, cette idée d’aller sur des courts paraissait moins évidente.
À la base, tu viens du théâtre ?
A.B. : Non. J’ai fait des ateliers du samedi pour les enfants mais c’est tout. À part ça, le seul rôle que j’ai joué était Félix dans Le Père Noël est une ordure dans le théâtre à côté de chez moi à Villeneuve–Saint-Georges. C’est tout. J’ai voulu faire une formation professionnelle après mon bac, c’est ce que m’avait demandé mes parents, mais je n’y suis pas resté…
Et comment tu t’es retrouvé à passer des castings pour des courts-métrages ?
A.B. : Sur internet, il y a un site qui s’appelle Cineaste.org…
C’est amusant, Raphaël en a parlé aussi. Je trouve ça bien de dire que ça a été le commencement.
A.B. : J’attendais la newsletter au point où dès qu’elle arrivait dans ma boîte mail, j’étais comme un dingue. Et si j‘étais occupé avec mes potes, je rentrais chez moi pour être sur mon ordinateur à envoyer tout et n’importe quoi.
Comme des projets payés ou non, des films d’écoles ?
A.B. : Tout, tout, tout ! Rien n’est payé au début, on y va le couteau entre les dents en se disant : « Pourvu qu’on me donne ma chance ».
Qu’est-ce qui t’intéressait au début ? Est-ce que tu étais regardant sur ce à quoi tu répondais ?
A.B. : Tant qu’il n’y avait pas marqué « nudité » à l’écran, moi j’y allais. C’est le seul truc, le seul filtre. On m’aurait dit de jouer une abeille, j’aurais été postuler en disant : “Voilà je m’appelle Anthony Bajon, j’adorerais être avec vous”. Le court-métrage, comme on parle d’accroche et pour beaucoup de gens, c’est une manière d’entrer dans le vrai monde. Mes parents, qui sont ouvriers, n’avaient pas le pognon de me payer une école de cinéma ou quoi que ce soit, je ne viens pas de là. Pour quelqu’un qui veut devenir comédien, le court-métrage est la plus grande école du monde parce qu’il n’y a souvent pas d’argent, que ce sont des gens qui, comme toi, débutent de l’autre côté de la caméra et se cherchent. Il y a des choses pas mal intuitives, on perd du temps. Une fois qu’on arrive sur du long, on voit un gros changement. Pour peu qu’on soit un peu curieux, ce début est hyper formateur. Quand ils cherchaient leurs lumières ou leur cadre, je me mettais sur le côté et je les regardais. Ça a été mon apprentissage et mon école. Ca et mon carnet que j’ai depuis que j’ai l’âge de cinq ans.
Quel est ce carnet ?
A.B. : J’ai un petit carnet où je note, pour moi, ce qu’est un acteur et comment faire carrière. Depuis tout petit, comme mes parents ne pouvaient pas me payer de formation, je me suis dit qu’il fallait que je me débrouille par moi-même. Je le fais en notant des choses, en voyant des films ou des documentaires, en lisant… À l’époque, il n’y avait pas de podcasts, ou en tout cas je n’en avais pas connaissance, et je me suis fait ma petite formation comme ça.
Cinq ans, c’est tôt pour prendre des notes dans un carnet. Tu ne les as jamais jetées ? Est-ce que tu continues toujours à écrire ?
A.B. : Oui. C’est ce que j’ai de plus précieux. Avec maintenant un nouveau chapitre qui est la réalisation et sur lequel j’avais déjà des petites notes en voyant des réalisateurs travailler.
Il t’est arrivé d’être sur un tournage et de prendre des notes pour faire office de mémoire ?
A.B. : Pas avec mon carnet car je ne l’avais pas mais sur mon portable dans mes notes, oui. Comme il y a une espèce d’urgence quand on écrit des notes, dès que je rentrais chez moi, je les retranscrivais avec de meilleurs mots, en mettant au propre avec des changements de couleur et de beaux stylos pour que j’ai envie de remettre le nez dedans, sinon ce n’est pas la peine parce que c’est ce que j’ai de plus précieux par rapport à ce métier et je ne veux le montrer à personne. Ça colle avec ma sensibilité, mon éducation, par là, je veux parler de mon rapport au métier.
Quel est justement ton rapport au métier ?
A.B. : Un rapport qui n’est pas du tout showbiz. En tant qu’acteur, ça m’embêterait un peu qu’on sache tout de moi et que les réalisateurs ne sachent pas comment se projeter.
Tu aimes la nature et prends des photos de bouquetins, à en juger par ton compte Instagram. Quand tu es en préparation et que tu es en attente de jouer, est-ce que ce sont des moments auxquels tu te raccroches ?
A.B. : De toute façon, c’est un métier d’attente. Tu arrives le matin sur le plateau et on te dit qu’il faut être en loge à 6h45, et tu ne tournes pas avant 11h. Et ça tu le sais, avec le maquillage et la coiffure notamment, qu’à un moment donné tu vas attendre une heure et demie dans la loge ou sur le plateau parce que la lumière n’est pas prête, qu’il y a une séquence avant, qu’il y a du retard etc. C’est un métier où tu sais que tu vas attendre, moi, ça ne me dérange pas. Et au-delà de ça, en dehors du plateau, un comédien est là toute la journée à regarder si son agent l’a appelé. Sur le plateau, il y a cette chance d’être un peu moins dans cette attente-là. Dominique Besnehard disait : “Le meilleur moment pour un comédien, c’est quand il voit le nom de son agent s’afficher sur son portable”. L’attente permet de se recentrer sur la raison pour laquelle je veux faire ce métier et de se demander si c’est vraiment viscéral. Il y a des gens qui finalement ne font pas ce métier parce qu’ils se rendent compte qu’ils ne peuvent pas attendre.
L’attente est aussi fort liée à l’ennui. Est-ce que ça ne dépend pas aussi de notre gestion du temps ?
A.B. : Je viens d’une banlieue, et quand tu grandis dans une cité, ce rapport à l’ennui est très gros. C’est ce qu’on retrouve dans Chien de la casse, même si ce n’est pas l’endroit où j’ai grandi. Il y a ce rapprochement cousin de la province où tu es loin de tout. Tu passes ces moments-là avec tes potes parce qu’il n’y a rien d’autre à faire. Ces moments d’ennui peuvent être créatifs parce que, quand tu t’emmerdes, pour peu que tu aies un bout de papier, il y a des trucs qui te passent par la tête que tu peux dessiner et noter, que cela soit des paroles de musiques, un poème ou un bout de scénario. En tout cas, c’est ce que mon rapport à l’ennui a eu avec moi parce que je me suis beaucoup ennuyé quand j’étais jeune, Raph [Raphaël Quenard, ndlr] aussi d’ailleurs. Cet aspect-là est formateur, parce que l’ennui crée du vide et le vide force la création ou du moins peut la cultiver. Aujourd’hui, les enfants ont plein de choses à leur disposition qui les occupent tout le temps. Nous-mêmes, du moins beaucoup d’entre nous, avons peur de ce moment où il ne se passe plus rien. Je me suis rendu compte de ça et de cette chance de s’être emmerdé parce que l’on n’avait pas tous ces gadgets-là.
Ce qui est commun aussi, avec Raphaël, c’est que vous êtes tous les deux passés à la réalisation cette année, lui en co-réalisant L’Acteur et toi avec La Grande Ourse.
A.B. : Ce n’est pas vraiment la même chose parce que je travaille sur La Grande Ourse depuis quatre ans et demi. Pour Raph, ça a plus été une opportunité avec Hugo [David, ndlr] qui est venu filmer le making-of de Chien de la casse. Ils se sont très bien entendus, Raphaël a fait des blagues et a proposé de faire un film, ce qui est totalement à son image. Peut-être qu’il y a un truc de plus proactif chez la nouvelle génération parce que très vite on se dit : “Pourquoi pas moi ?”. Il n’y a pas besoin que ce soit un chef d’œuvre. Je peux faire un court et me planter, ça sert aussi à ça et si ça se trouve, il y en aura un deuxième pour lequel je me débrouillerai pour qu’il soit un peu mieux. Comme il y a tellement de monde qui fait ce métier, il y a peut-être aussi une réponse chez certains de se dire que s’ils réalisent, ça leur fait une double-casquette si l’une des deux ne marche plus par la suite.
Est-ce que c’est ton cas également ?
A.B. : Non, mais c’est ce que j’ai déjà pu entendre. À cinq ans, j’ai vu Le Roi lion et je me suis dit que je voulais raconter des histoires, ce qui voulait dire être comédien. Et en fait, très rapidement après, je me suis dit que ça pouvait être de l’autre côté aussi. Et ça s’est vraiment accentué au moment où j’ai commencé à tourner en tant qu’acteur, je me suis dit que si je ne réalisais pas, je ne pourrais pas choisir mes plans, ma lumière, mes comédiennes et comédiens, mon montage, et donc raconter complètement l’histoire.
Qu’est-ce qui t’intéresse dans Le Roi lion quand tu le vois pour qu’il soit également lié au commencement de tes carnets ?
A.B. : J’ai cinq ans, il y a plein de choses qui se passent et d’émotions qui me traversent. Peut-être que devant le film, j’ai pleuré cinquante fois et rigolé aux éclats cinquante autres fois. J’ai découvert des émotions qui m’ont traversé pour la première fois à ce moment-là. Et quand j’en suis sorti, j’étais complètement bouleversé, comme anesthésié. On est rentré en RER D et j’ai dit à ma mère : ”Je veux faire ça, je veux raconter des histoires”.
Dans ton parcours, qu’est-ce que Les Ogres et La Prière ont apporté ?
A.B. : Les Ogres, c’est vertigineux parce que c’est la première fois que je mets les pieds sur un long-métrage et qu’on me dit que je vais donner la réplique à Adèle Haenel et Marc Barbé. Je suis comme un dingue, je me dis qu’il faut être à la hauteur. C’est incroyable parce que moi, j’y joue juste une seule scène en étant le dindon de la farce. Ce qui est du génie, parce qu’il faut savoir qu’au début j’étais stressé, c’est Léa Fehner [la réalisatrice, ndlr] qui m’a dit de tenter quelque chose en impro. J’ai fait ça une heure, c’était nickel et ils m’ont laissé toute la place possible. Ça a duré une demi-journée et c’était incroyable, c’est le moment où je me suis dit que cette vie-là pouvait être folle. La comparaison avec La Prière peut exister car il y a aussi eu une première fois avec ce film mais en beaucoup plus gros. Le décor et le film sont tout le personnage. C’est le point de vue de mon personnage et le fil rouge est ce qu’il traverse. C’est une première fois alors je travaille comme un acharné pour être à la hauteur, parce que j’ai une chance énorme que Cédric [Kahn, ndlr] me donne.
Comment as-tu perçu l’évolution de passer de personnages de second plan, presque de passage, à ceux qui ont des prénoms et sont crédités au générique ?
A.B. : Les choses prennent du temps, c’est ce qu’il faut retenir. Et heureusement car pour les rôles qu’on me confie et les responsabilités que j’ai sur un plateau, je n’aurais pas été armé pour ça, notamment sans les courts-métrages. J’ai pu y apprendre comment on se comporte sur un plateau, comment on gère l’attente, comment on se débrouille pour tout donner lorsqu’on nous dit « moteur » et « action » alors que ça fait une heure et demie qu’on attend, comment on fait pour aller chercher des émotions etc. Je me suis trouvé une identité avec les courts-métrages. Si tu fais ça sur un long-métrage et qu’on te dit que c’est maintenant, tu n’es pas armé parce que tu n’as pas vécu tout ça et que les fondations n’y sont pas. Aujourd’hui, j’ai la chance d’avoir des premiers rôles dans des longs mais ce que je souhaite à tout le monde, même si nous voulons tous aller vite et moi le premier, c’est de prendre son temps, parce que ce métier est vraiment vertigineux et qu’il faut être préparé à écumer les castings ratés. Il faut toujours faire attention aux personnes qui sortent des castings sauvages. Un premier rôle soudain, qui colle souvent à ta sensibilité ou à ton caractère et avec lequel tu es nommé dans la catégorie meilleur espoir aux César, qui t’apporte plein de presse, derrière il y a toute une carrière à construire et si tu n’as pas les bases, tu n’as rien. Tu es mis très, très haut et l’on attend de toi des choses qui ne sont pas à la hauteur de ton statut, qui peuvent te faire tomber.
Est-ce que ce n’est pas quelque chose que tu as pu vivre avec La Prière ? Est-ce que ça ne t’a pas mis davantage en avant, par les prix reçus notamment, que si tu avais fait des castings ratés ?
A.B. : C’est ce qu’on retient en ne sachant pas à quel point j’ai pédalé en me mangeant des non et des non… Une fois, lorsque j’habitais dans le 91 et que je prenais le RER D pendant une heure, je suis arrivé à un casting et la personne m’a dit en me regardant de haut et bas : “C’est marrant je t’imaginais plus grand et moins gamin”, en finissant par me dire que ça ne servait à rien que je passe le casting car ce ne sera pas moi. J’avais appris quatre scènes, une de plus car j’aimais bien le faire si jamais ils voulaient la voir. Je suis reparti en RER D, en pleurant et en disant à mon père qui m’attendait en rentrant que ça s’était bien passé… Ça m’est arrivé deux fois, et il faut avoir les nerfs solides pour continuer quand on se déplace pour rien sans pouvoir montrer quelque chose et sans être payé.
Tu as été tenté d’arrêter à cause de ce type de personnes ?
A.B. : Non. Par contre, j’ai beaucoup pleuré. Il y a des moments où je me suis dit : ”C’est bon, j’arrête” mais vingt minutes après, pas plus, je me disais que je n’arrêtais rien. Et puis de toute façon, il n’y avait rien à arrêter parce que rien n’avait commencé. Je me disais que personne ne voulait de moi et j’essayais de voir comment m’organiser. Je n’ai jamais eu de plan B, et même encore aujourd’hui, si tout s’arrête, je suis dans une merde noire.
Est-ce que tu as l’impression qu’il te faut parfois provoquer le désir ?
A.B. : Je ne cherche pas à être vu. Je préfère être dans l’idée que si je ne suis pas en tournage ni en promo, on n’entend pas parler de moi car ça ne sert à rien. Hormis une caméra qui tourne ou un metteur en scène, je n’ai pas à apparaître médiatiquement.
Être médiatisé, ce n’est pas quelque chose que l’on apprend. Comment conçois-tu l’exercice que représente la promotion ?
A.B. : C’est souvent quelque chose avec lequel on n’est pas forcément à l’aise. L’idée d’aller défendre un film, un metteur en scène ou un personnage que l’on a aimé, ça, ça me donne envie. Je ne suis vraiment pas à l’aise lorsqu’on met une caméra devant moi pour me poser des questions et encore moins si elles sont sur moi. Pour un film, je le fais parce que j’ai aimé travailler avec cette personne, ces comédiens, ce personnage, que c’est agréable de défendre quelque chose et ses choix.
La Grande Ourse est ton premier film. À Paris Courts Devant, tu évoquais la pudeur et la violence. Mais c’est aussi un film qui est une expérience de réalisation, d’écriture et de montage. Qu’est-ce que t’a appris cette expérience ?
A.B. : Avec La Grande Ourse, je traite d’un sujet que j’ai vécu sauf que dans la forme il ne s’agit pas de cette violence-là. Pour le reste, la pudeur et l’idée d’une violence envers quelqu’un ne sont pas gratuites car je règle mes comptes avec certaines choses de mon enfance. Comme je suis un peu identifié médiatiquement et que je n’ai pas envie que l’on sache quelle a été mon enfance ni ce qui s’y est passé, je traite un sujet qui est d’actualité, joué par ce personnage féminin [Diane Danglard, ndlr], parce que j’ai l’impression que cette violence dont je parle dans le film touche énormément de personnes. C’est pour ça que je me dis que c’est cette forme de violence-là que je vais traiter. Ça aurait pu en être une autre. Ce film, sur l’aspect cinématographique, m’a appris à quel point c’est un kif de me mettre derrière un combo [retour sur un écran vidéo de l’image filmée, ndlr] et de dire : “Allez action, on y va !”. Très vite après, je me suis dit que j’avais envie de le refaire. Dans l’équipe technique, ce sont tous des gens dont je suis proche et que j’ai pu rencontrer sur les films dans lesquels j’étais acteur. J’ai aussi appris à réaliser. Et je ne dis pas que le prochain film que je vais réaliser, qui est écrit et prévu pour l’année prochaine, sera un grand, grand film ; et même si mon métier reste celui d’être acteur, quel kif de raconter des histoires quand tu aimes les gens qui t’accompagnent !
Est-ce que tu as eu des aides pour faire ce film ?
A.B. : Non. La seule aide que j’ai reçue, c’est Guillaume Canet qui m’a tendu la main là où aucune boîte de production ne m’aidait. L’Adami nous a aussi un peu aidés financièrement avec l’accord que je joue dedans, ce qui s’est fait. Aujourd’hui, j’ai la chance d’être accompagné par Manifest [boîte de distribution, ndlr]. Les gens ne savent pas forcément qu’avoir des aides, c’est compliqué. Là, ça a été le cas avec ce film parce qu’il n’intéressait personne, peut-être à cause du sujet trop casse-gueule ou alors parce qu’on ne voulait pas que ce soit fait par un homme. La réalité, c’est que, de la même manière que lorsque tu veux devenir comédien, tu te dis qu’il ne faut pas lâcher l’affaire. Et si on a pas d’argent, alors on se met à mettre ses propres sous. Je me suis retrouvé à être le principal producteur de mon film. Là, j’ai aussi pu avoir le soutien moral de Guillaume qui a vu le film et qui m’a fait son retour.
Comment as-tu fait la rencontre de Guillaume Canet ?
A.B. : On s’est rencontré sur Au nom de la terre dans lequel on a joué tous les deux Je n’avais pas de producteur et j’étais déjà en train de travailler sur La Grande Ourse à l’époque. Je cherchais des producteurs mais personne ne voulait m’accompagner. A ce moment-là, il m’a souhaité bon courage en me disant de ne rien lâcher. Puis, on s’est recroisé un an et demi après, à l’avant-première d’Au nom de la terre, où il m’a demandé des nouvelles. J’en étais au même point. Il m’a dit de lui envoyer le scénario et qu’il le produirait. Et c’est ce qu’il a fait après en me disant qu’il fallait quand même que je passe par ce côté débrouille. Il m’a laissé apprendre. A côté de ça, il m’a donné des conseils pour mon équipe technique et mon rôle de réalisateur. C’étaient des bons conseils qui ont fait de lui le producteur et le conseiller du film.
Les quatre ans et demi consacrés à La Grande Ourse, les déceptions et les moments agréables entourés d’une équipe, t’ont-ils aidé à construire tes rôles en tant que comédien sur d’autres projets ?
A.B. : Je ne pense pas, ou alors ça m’a m’influencé inconsciemment. Mon emploi du temps est fait principalement pour être sur des tournages en tant qu’acteur. Quand j’aurai du temps et de la place pour que les choses puissent se faire, je veux réaliser des films et des longs-métrages. Les longs-métrages viendront s’incorporer naturellement dans mon planning en tant qu’acteur, ils ne le bouleverseront pas. Je n’ai pas attendu La Grande Ourse pour prêter attention aux focales, à la lumière et à la technique de manière générale. Je ne dis pas avoir une connaissance exceptionnelle du plateau ni de la caméra mais ça fait un moment que je m’y intéresse, depuis mes débuts. Et quand je dis oui à un réalisateur me proposant un film, je sais les galères par lesquelles il doit passer pour financer son film et donc qu’on ne tournera pas la semaine prochaine.
Tu as également tourné avec des réalisateurs dont c’était le premier long-métrage, comme Jean-Baptiste Durand avec Chien de la casse. Est-ce qu’à la lecture des scénarios tu portes une attention particulière au fait qu’ils soient proches du court-métrage dans leurs parcours ?
A.B. : Le scénario doit m’intéresser, potentiellement les partenaires de jeu également. C’est vrai qu’il y a un amour particulier pour les réalisateurs et réalisatrices de premiers films parce que c’est le moment où tu joues ta vie en tant que metteur en scène. C’est le premier long et il est unique. Il y en aura d’autres après mais il n’y a qu’un seul premier long avec lequel tu peux te casser la gueule parce que tu n’es pas encore avec une identité claire de cinéaste, ton univers de mise en scène, tes personnages, ta direction etc. Mais c’est très agréable parce qu’il y a aussi cet enthousiasme pour le film qui est très plaisant à vivre en tant que comédien. C’est si bien d’accompagner quelqu’un et de s’accompagner mutuellement puisque ce sont nos débuts à tous les deux.
Qu’est-ce qui déterminera le fait que tu ne parleras plus un jour de tes débuts ? L’âge, l’expérience, les projets ?
A.B. : Je considère que j’en suis encore à mes débuts, comme à l’époque. La différence c’est que je suis un peu moins naïf sur le milieu. Si un jour je deviens prétentieux, j’arrêterai de parler de mes débuts. C’est un métier où l’humilité doit être au centre de tout parce que la remise en question se fait avec l’idée de continuer à réfléchir sur ton métier et la manière d’être bien sur un plateau. Par exemple, je prends toujours mes notes sur chaque plateau en continuant de découvrir des trucs. Parfois ces découvertes se font avec des comédiens de castings sauvages, des réalisateurs faisant leur première fois en long-métrage. C’est un métier où on a la chance d’en apprendre tous les jours, où on fabrique des choses avec des sensibilités différentes, où on croise des gens qui ont vécu des choses et qui veulent les raconter. On s’y rejoint comme un rendez-vous. Si les gens sont curieux et ouverts, a priori, tu peux également leur apprendre des choses sur ce métier ou sur eux-mêmes. A partir du moment où tu dis que tu arrêtes d’apprendre, que tu n’es plus ouvert à la découverte en étant sûr de toi, tu deviens un peu prétentieux et je ne suis pas sûr que ton art devient plus intéressant qu’avant.
Est-ce que tu aurais des conseils pour des jeunes qui commencent dans ce milieu justement ?
A.B. : Oui. Leur dire que vous allez rencontrer beaucoup de gens mais qu’il ne faut pas croire que ces personnes vont être vos amis. C’est un métier où les gens sont très individualistes et où l’on tend la main parfois sans retour. Il y a très peu de personnes qui sont des grands. Pour le citer, Karim Leklou est un très, très grand monsieur et l’un des plus incroyables que j’ai pu rencontrer dans ce milieu. C’est un acteur fou et au-delà de ça, dans la vie, il a une générosité et une humanité qui n’ont pas beaucoup d’égal dans ce métier.
Est-ce qu’il y a encore la possibilité pour les metteurs en scène de courts-métrages de pouvoir tourner avec toi ? Est-ce qu’il t’arrive parfois possible de bloquer face à un scénario ou de faire des suggestions aux auteurs ?
A.B. : Bien sûr, je reçois encore des projets de courts, les étudie et reste toujours ouvert à ça, évidemment. Mais je ne m’autorise pas cette démarche de faire des suggestions. Je me dis que le réalisateur a quelque chose en tête et que je ne vais pas changer les choses même si ma sensibilité colle mieux avec cette fin-là, que cet enjeu-là. Si ça a été écrit comme ça, c’est qu’il trouvera un comédien qui s’identifie à ça et, surtout, qu’il veut le raconter comme ça. Si sur un de mes courts ou longs-métrages, on me dit qu’on me suit à condition de changer ça ici et là, c’est qu’on est pas fait pour travailler ensemble. Il y a un texte qui est étudié, on peut discuter mais on ne va pas le changer parce que ça ne colle pas avec ta sensibilité. Si tu n’y crois pas, tu n’y crois pas, ce n’est pas grave.
Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Eliott Witterkerth
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Merci . Très intéressant . J ai le même parcours à l envers . Je commence comme actrice à 60 ans , cinéphile depuis mes 15 ans , activité professionnelle dans le socio judiciaire donc hors champ de l’ audiovisuel, cinéaste .org, mon premier rôle ds un Court Métrage d étudiant, prise de notes… Attente sur les plateaux qui me permet d observer, d apprendre.
J ai fait beaucoup de courts métrages et de séries en figuration. A présent je suis sur des rôles plus importants, rôles secondaires dans une série televisée , prochainement dans un long métrage.
Et je joue toujours à titre gracieux pour des jeunes réalisateurs .
Bravo pour cet entretien respectueux de la part d intimité, privé.
Anthony Bajon est un grand jeune acteur.
Hâte de le découvrir à la réalisation.
Voire de jouer pour lui .