La réalisatrice de Crache cœur (sélectionné à l’ACID Cannes en 2015) Julia Kowalski nous plonge avec J’ai vu le visage du diable dans les angoisses d’une jeune femme qui se bat contre ses pulsions homosexuelles. Pour Majka, imprégnée de foi catholique, la seule issue se trouve dans des exorcismes violents, auxquels elle se soumet avec résolution. Ce court-métrage de trente-six minutes a été sélectionné à la Quinzaine des cinéastes à Cannes en 2023, est en lice aux César du court-métrage 2024 et a remporté récemment le Prix Jean Vigo du court-métrage.
Exorcisme et religion
À première vue, Majka a tout d’une jeune fille ordinaire : à dix-huit ans, elle fréquente le lycée et danse volontiers avec sa sœur sur de la musique contemporaine. Peut-être remarque-t-on tout de même, à son cou, une médaille de baptême qu’elle semble brandir comme un étendard : la foi est une part importante de l’identité de la jeune femme.
Toutefois, jusqu’à quel point cette imprégnation religieuse est-elle, dans la Pologne actuelle, un signe particulier ? Les parents de Majka sont tout aussi religieux et la cinéaste Julia Kowalski nous montre des églises qui, à l’heure de la messe, sont bien pleines.
Non, la singularité de Majka est ailleurs : la jeune femme souffre d’un terrible tourment, elle est attirée par les filles. Une « déviance sexuelle » qui ne peut, selon la jeune fille, s’expliquer que par une possession démoniaque. Aussi se rend-elle chez un prêtre exorciste dans l’espoir d’extraire le Diable de son corps encore bien jeune.
Entre film documentaire et film fantastique
La réussite première du film tient à la voie étroite qu’il pave entre film documentaire et film fantastique. On l’aura compris, la réalité de la Pologne contemporaine, avec son intolérance aux sexualités non orthodoxes et à toute pensée hors du canon romain informe l’intégralité de J’ai vu le visage du diable. Aux plans d’ensemble sur les églises pleines à craquer succèdent ainsi des rassemblements de foules nombreuses, au cours desquels des dignitaires religieux prient, pêle-mêle, contre le « communisme », la « franc-maçonnerie » ou, bien sûr, les « déviances sexuelles ».
Mais à ces images de foule aux allures de reportage répondent les séquences d’exorcisme, resserrées sur le personnage de Majka. Réalité de la possession ou pouvoir de suggestion d’un prêtre par trop « charismatique » – dans tous les sens du terme ? Toujours est-il que le corps de Majka est pris de tressautements et que parle soudain par sa bouche la voix d’un être qui revendique clairement son essence démoniaque. Dehors, sur les troncs des arbres débarrassés de leurs feuilles roussies par l’automne, le bleu de la mousse donne aux paysages une dimension fantastique qui s’accorde à merveille à la thématique satanique.
Un adieu à l’horreur ?
Le Diable est donc partout dans ce film. Pourtant, nous prévient un prêtre, il ne s’agirait pas de le craindre : c’est là l’une des ruses de Satan que de vouloir nous effrayer. Il convient au contraire de le combattre assidûment, avec conviction, sans jamais baisser les bras.
Le thème de la peur est donc au cœur de l’écriture de J’ai vu le visage du Diable : peur de Majka devant ses penchants homosexuels, peur de son père d’avoir « mal élevé » sa fille, peur des institutions religieuses de voir de nouvelles valeurs prendre leur place. Le réquisitoire du prêtre contre la peur qui sidère le fidèle et l’empêche de lutter semble paradoxalement se confondre avec une profession de foi esthétique de la cinéaste. En traçant un entre-deux entre reportage alarmant et film fantastique terrifiant, elle ouvre la voie à un cinéma d’exorcisme où l’horreur cèderait le pas au doute et au questionnement.
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