Le 24 janvier, seront publiées les nominations des César 2024. Dans la catégorie court-métrage documentaire, 12 films ont été présélectionnés. Du film d’animation sur le temps qui passe pour L’effet de mes rides de Claude Delafosse à l’essai cinématographique féministe post-numérique avec La mécanique des fluides de Gala Hernández López, ce choix se constitue de divers compositions cinématographiques, chacune portée par un récit et une vision sur notre monde actuel. Guillaume Brac parle de la jeunesse dans une forme de cinéma direct avec Un pincement au coeur. Saintonge Giratoire de Quentin Papapietro nous narre des excursions d’une part historiques et bucoliques aux abords des ronds-points de la Saintonge. Thun-le-paradis ou la balade d’Eloise de Eléonor Gilbert s’intéresse de manière métaphoriques aux changements technologiques de notre quotidien. Dans Langue des oiseaux, Erik Bullot explore avec virtuosité le chant des oiseaux comme langage d’une biodiversité en voie de disparition.
Deux films proposent une immersion globale du spectateur, Sauvage, de Léonore Mercier auprès des chevaux de Galice et d’une pratique des plus surprenante, et Le passage du col de Marie Bottois qui filme son propre rendez-vous gynécologique, la pose d’un stérilet. Avec Pacific Club, Valentin Noujaïm met en scène l’émanation souterraine dune ancienne boîte de nuit et avec Tutto apposto gioia mia, Chloé Lecci López raconte un récit intime et filme avec tendresse la Sicile de ses proches. Pour finir, La lutte est une fin d’Arthur Thomas-Pavlowsky propose de suivre un collectif de boxe prolétaire et inclusif à Marseille, quant à L’Acteur, ou la surprenante vertu de l’incompréhension, Hugo David et Raphaël Quenard créent le making-of du film Chien de la casse, un film aussi incongru que son personnage principal. Dans cet article, nous reviendrons en détails sur cinq de ces films.
La lutte est une fin de Arthur Thomas-Pavlowsky
Grand prix de la compétition nationale du Festival de Clermont-Ferrand 2023, ce film est un portait vif du collectif Boxe Massilia à Marseille. Au sein de la Bourse du travail, lieu symbolique de leur engagement pour une boxe prolétaire et inclusive, deux jeunes membres s’expriment. L’un parle de son émancipation par la boxe dans sa vie quotidienne, que cela soit physiquement ou mentalement vis-à-vis des agressions qu’il a pu subir. L’autre explique les débuts du collectif, l’importance de ce lieu, et le symbole de pouvoir boxer pour des personnes qui ne peuvent jamais « rendre les coups » dans la vie, qui se voient subir une violence systémique sans pouvoir y répondre. Ici la boxe est un exutoire. Au son rythmé du beatboxing, les combats et entrainements s’entremêlent, les corps s’animent et les coups fusent. Leur énergie fulgurante est palpable. Le film émane d’un désir de justice et de liberté. Le film est vivant, aussi vivant que ce collectif hors norme que met en lumière avec dynamisme Arthur Thomas-Pavlowsky.
La mécanique des fluides de Gala Hernández López
Après un long parcours en festival (Clermont-Ferrand, Cinéma du Réel, …) et de nombreux prix, le film de Gala Hernández López est aujourd’hui présélectionné aux César. Rien de surprenant pour cet objet atypique, étrange et magnétique qu’est La mécanique des fluides.
Suite à une lettre de suicide d’un incel trouvé sur un forum Reddit, la réalisatrice se met en quête de comprendre cet individu ainsi que ses compères, et tente de lui répondre. Comme une lettre ouverte à un inconnu qui ne verra peu- être jamais ce film, Gala Hernández López s’interroge sur le rapport des hommes aux femmes et au numérique. Leur haine, leurs troubles sont-ils les mots symptomatiques d’une société soumise aux algorithmes ? Plastiquement innovant, ce desktop movie s’appuie sur un montage de sources Internet mêlées à des séquences d’animation. Le spectateur est happé par les profondeur de l’écran, par ce flux constant d’informations et d’images qui lui parviennent. Son film nous parle de manière poétique d’une fin imminente, d’un désastre humain qu’on ne peut retarder, des sentiments de ces hommes pour qui tout s’effondre, du silence et de la solitude qu’ils ressentent, que la réalisatrice ressent elle aussi. La mécanique des fluides captive par sa singularité, hypnotique et mélancolique.
Sauvage de Léonore Mercier
Ce sont des chevaux sauvage en Galice. Une semaine par an, les Hommes les emmènent pour les mettre dans une arène. Léonore Mercier les filment depuis leurs instants de liberté, là où ils s’épanouissent le restant de l’année. Puis, vient le temps de les rassembler et de les amasser dans cette arène. Ils sont réunis dans le cadre d’une tradition archaïque qui consiste au rasage des bêtes. Violemment, des hommes montent sur les chevaux, les mettent à terre, et leur coupent la crinière et la queue. Dans ce qu’ils et elles présentent comme un spectacle, la réalisatrice filme le point de vue de l’animal : un désarroi et une peur accablante.
Ce film est une réelle immersion, premièrement sonore, travail de prédilection de la réalisatrice, puis visuelle, au coeur de cette pratique des plus dérangeantes. Le film consiste en une interrogation sur la place du vivant au sein de notre société, comment l’homme conçoit-il de cohabiter avec le vivant? Comment peut-il évoluer vers plus de considération et de respect pour les animaux ? Ainsi, le film met en exergue cette dualité entre la violence manifeste des Hommes spectateurs et moteurs de divertissements face aux bêtes, les chevaux, animaux de proie qui fuient par conséquent l’Homme et se retrouvent submergés dans ce lieu exigu. Cette humiliation est vécue depuis l’oeil de l’animal; nous respirons avec ces chevaux, depuis leur halètement à leur moindre mouvement, une plongée sensorielle intense, une force pour retranscrire la brutalité du réel. Un récit des plus marquants récompensé par le prix du court-métrage au FIPADOC 2023.
Le Passage du col de Marie Bottois
Marie Bottois filme une procédure des plus intimes, la pose de son stérilet. Émouvant et important, son court-métrage a été sélectionné dans de nombreux festivals (FIFF, FID Marseille hors compétition, …). Telle une expérimentation, le film se construit sous nos yeux. Nous l’entendons dire « action » ou demander à rejouer une séquence, les coupes sont aussi visibles pendant que le son continue de tourner. Ainsi le film se monte face à nous, avec nous. Marie Bottois approche l’expérience de la manière la plus réaliste possible. D’abord, une discussion instructive avec la sage-femme nous explique comment le rendez-vous va se passer et permet de répondre aux interrogations de la patiente. Puis, vient la pose. Les cadres sont simples mais précis : son visage, son corps, la sage-femme, puis son vagin. Face à la caméra, nous observons le col de l’utérus, le stérilet, les détails d’une anatomie souvent méconnue, incomprise voire stigmatisée. Nous sommes témoins des craintes de la réalisatrice, du moment d’inconfort et de douleur. Nous voyons tout en même temps qu’elle, à travers la lentille d’une caméra 16mm et d’une super 8. L’image la plus crue est pourtant la plus vraie, voici à quoi cela ressemble, chasser les peurs par la marque du réel, voilà en quoi ce film est percutant.
Un pincement au coeur de Guillaume Brac
Deux amies évoluent devant la caméra de Guillaume Brac. Sélectionné lui aussi dans de nombreux festivals (Visions du Réel, Côté Court, …), ce court métrage suit deux lycéennes pour qui Tik Tok et école rythment les journées. Linda et Irina sont meilleures amies. Seulement Linda, doit à nouveau déménager, l’heure est à la séparation et le coeur se serre. Calmement, le film nous dévoile le quotidien de ces deux jeunes filles. C’est la fin de l’année, les vacances d’été approchent et l’humeur est estivale. Sur les bancs de l’école, les sentiments sont hagards. Guillaume Brac s’immisce dans leur adolescence, avec une caméra à la fois proche et distante, au coeur de leur discussion et les laissant respirer dans leurs mouvements. Chacune parle de sa famille, de l’avenir et on perçoit les inquiétudes naissantes chez les deux jeunes filles. Des sentiments profonds, dissimulés par le voile de l’insouciance. Un équilibre qui se voit troublé par le départ de Linda. La friction se créée, la proximité des deux amies est bousculée. La mélancolie prend peu à peu place au sein de leur humeur journalière. Avec tendresse, le réalisateur nous conte ce récit, celui d’une amitié et d’un début d’été. Celui d’une adolescence, fragile et douce, pleine de pluralité. Le film berce les souvenirs épars d’un quotidien lointain et des amitiés perdues.