Alors que l’automne débute, les dernières chaleurs d’été (ou un réchauffement climatique inquiétant) nous donnent l’occasion de redécouvrir l’une des sorties DVD estivales, une des révélations de la Quinzaine des Réalisateurs 2022 : El Agua de Elena López Riera. Avec ce premier long métrage, la réalisatrice, déjà connue des festivals pour ses courts-métrages, dont un premier passage à la Quinzaine avec Pueblo, nous plonge dans un récit de femmes, de légende et d’eau ; une mise en avant de la parole, de la jeunesse et de la région d’Alicante. Ce DVD édité par Blaq Out, ayant bénéficié d’un jeu-concours sur notre site, est accompagné en bonus du Q&A en présence de la réalisatrice et de l’actrice principale Luna Pamies à Cannes en 2022.
L’eau est le mot d’ordre dans ce film d’une intensité mystique sur la jeunesse et le sud de l’Espagne. Source de légende ou présence géologique, elle lie les protagonistes tout au long de ce le long-métrage. Selon les dires des femmes du village, porte-paroles d’une légende fatidique, elle est aussi dangereuse. Ainsi débute l’histoire d’Ana, jeune adolescente terminant le lycée et issue d’une lignée de femmes soi-disant maudites. Elle vit avec sa mère, gérante du bar proche de l’autoroute et sa grand-mère, porteuse des récits qui bercent son quotidien. Comme celui qui parle de l’eau qui monte dans le corps des femmes, les envahit et pour cause : le fleuve. Il jetterait son dévolu sur une femme du village et, dès lors, elle n’aurait que deux solutions : s’abandonner à lui ou lui résister, advienne que pourra. Ces mythologies, avec lesquelles elle a grandi, sont un point de départ pour la réalisatrice qui souhaite à travers son film questionner la place des femmes dans cette parole commune. Comment une légende s’accapare le corps d’une femme, lui octroie une tragique destinée, prend le contrôle de son désir et de sa peur, selon les dires de Elena López Riera.
À Orihuela, ville d’origine de la cinéaste, de Luna Pamies et théâtre de ce récit, les forces de la nature font perdurer l’ardeur de ces légendes : les crues sont historiques et n’échappent pas au tournage de ce film déjà enclin aux restrictions sanitaires du Covid. Elena López Riera utilise alors habilement les images numériques filmées par les habitants en proie à la catastrophe. Avec ce montage d’archives documentaires, la réalisatrice apporte une nouvelle dimension encrée dans le réel. Un aspect important dans son travail qui brouille les frontières entre la fiction et le documentaire, notamment avec des témoignages face caméra de femmes originaires de la région.
Toujours dans une approche documentaire de porter le récit d’une jeunesse qui occupe ces terres du sud de l’Espagne, la caméra accompagne les mouvements d’un groupe d’ami·e·s, puis d’une famille au sein d’un village aux traditions et aux mentalités clivées. L’été est le berceau des premiers amours, des soirées et des va et vient estivaux. La ville est animée par un fluide d’activité autoroutière. Plus qu’une image des aspirations d’une jeunesse confrontée aux enjeux climatiques et aux problématiques générationnelles, c’est une représentation des moralités prédisposées aux genres. Une femme, un homme, ou bien une personne, les rôles sont établis, les coutumes et les travaux, la tradition, se perpétuent de façon presque archaïque. La mise en scène scinde le quotidien de ses protagonistes, elle met en lumière ces différentes réalités. L’héroïne espère échapper à cela et fuir le lieu de toutes les messes basses. Fuir aussi cette sensation qui l’appelle, qui tente de la retenir : l’eau qui monte en elle.
Plus qu’un amour fataliste, cette eau peut représenter tous sentiments, ceux qu’on opprime, ceux que les femmes ne sont pas censées exprimer.
C’est aussi le vide, la sensation de ne plus avoir sa place dans ces lieux si familiers qui deviennent parfois étouffants. C’est un moment de notre vie, un passage, une transition vers un âge adulte, une maturité : une décision à prendre sur la personne que l’on souhaite devenir. Le film se conclut sur les mots d’Ana qui prend son destin en main, elle ne laissera personne d’autre conter son histoire. Cela fait écho au désir de la réalisatrice quand à l’importance de la parole des femmes, notamment des mots de celles qui parlent et témoignent face caméra. Elles qui, comme l’explique Elena López Riera à la Quinzaine des cinéastes, pensent que leurs paroles ne comptent pas, n’existent même pas. Affermir leur témoignages si frontalement, était d’une portée politique pour la réalisatrice : rendre digne leur parole. À travers l’émancipation d’Ana, c’est une lignée de transmission orale qui est reconnue est prend place dans El Agua.