Membre du Jury des courts-métrages et de la Cinef à Cannes 2023, le réalisateur, comédien, scénariste et producteur israélien Shlomi Elkabetz évoque sa découverte du plateau, sa curiosité pour le court-métrage et son goût pour les images, partagé avec sa soeur, la comédienne et réalisatrice, Ronit Elkabetz, disparue en 2016.
Format Court : Vous avez fait plusieurs longs-métrages mais vous n’avez pas fait de courts-métrages. Comment cela se fait-il ?
Shlomi Elkabetz : C’est juste. J’ai directement réalisé des longs-métrages en co-écriture avec ma soeur. Avant Cahier noirs, j’ai fait un film court de 10 minutes appelé Les petits cahiers, davantage pour moi-même que pour les autres. C’était pour moi un moyen d’experimenter, d’établir un langage cinématographique qui me convienne. Mais je n’ai jamais réalisé de films d’école comme ceux-là, non.
Pensez-vous que la réalisation d’un premier film est plus libre que d’autres entreprises ?
S.E. : Je n’ai jamais étudié le cinéma vous savez, je n’avais jamais été sur un plateau de cinéma avant ça, je ne savais pas à quoi m’attendre. Je ne connaissais pas du tout l’industrie donc je n’avais pas du tout de pression. Tout ce que je savais, c’était que je voulais faire un film. Etrangement, sur le plateau tout m’était très naturel, j’ai compris que c’était là ma place. Bien sûr, il y a eu beaucoup d’imprévus pour le tournage, comme toujours mais, vous savez, une fois qu’on a compris le mécanisme de l’industrie du cinéma, on a moins peur et on sait se gérer.
Comment restez-vous vous-même après toutes ces années ?
S.E. : Premièrement, j’ai peur de me répéter, et j’ai peur d’être aimé. Bien sûr, je veux qu’on aime mes films, mais je ne veux pas qu’en regardant un de mes films on reconnaisse un de mes films précédents. Après mon deuxième film (Shiva), j’ai compris qu’il fallait que je m’ouvre. C’est là que j’ai commencé à me diversifier, à jouer en tant qu’acteur, à produire. Par exemple, Cahiers noirs, qui est mon neuvième film, est mon premier film. Je veux dire que son langage est si différent qu’on ai l’impression que c’est mon premier film.
Quels sont vos critères quand vous visualisez des films d’école ? Aviez vous un intérêt pour le court-métrage avant ?
S.E. : Je n’avais jamais pensé à faire un film court mais j’en avais vu beaucoup. En Israël, dans les années 1990, beaucoup de gens faisaient des films courts comme ça. Nous étions très curieux d’en découvrir de nouveaux, nous nous tenions au courant sur ce qui se faisait. Par exemple, j’ai participé à un concours de scénario pour films courts que le journal israélien Haaretz avait publié. Je discute avec une amie au téléphone, il était aux alentours de 22h. Elle me parle de ce concours, je lui demande quand est la date limite, elle me répond que c’est le soir même à minuit. Je voulais vraiment participer. Alors, en panique, j’ai écrit rapidement un scénario et je l’ai envoyé. Par miracle, j’ai gagné le prix ! Au-delà de ça, c’est en regardant les courts-métrages des autres que j’ai appris à filmer. En voyant beaucoup de films courts au long de ces 20 dernières années. Je travaille aussi avec des élèves au Sapir College, en Israël. Par conséquent, je visionne souvent leurs films, donc ce n’est pas comme si je n’avais pas revu de film court depuis des années. Encore la semaine dernière, j’en ai vu 10. Ce que les élèves apprennent dans ces travaux, c’est avant tout la difficulté de créer une structure, celle d’apporter de l’authenticité, de mettre leur personnalité dans ce qu’ils font.
Quels étaient vos rêves d’enfant ?
S.E. : Je voulais être écrivain. Dès l’âge de 14 ans, je m’étais décidé à être un auteur, c’est seulement à l’âge de 20 ans que j’ai changé d’avis et que j’ai décidé de faire du cinéma. J’ai découvert la liberté des images, voyez vous. J’aime toujours le pouvoir des mots, j’ai toujours en tête l’idée qu’un jour je m’assiérais et que j’écrirais un livre. À l’époque, on ne vivait pas dans un monde d’images. Aujourd’hui, les images, les photos, sont ultra présentes, les gens ne font même plus attention à tout ce qui leur est montré mais moi, j’ai été frappé par l’importance des images et de ce que je pouvais en faire. À l’époque, je ne me voyais pas dans le cinéma qui se faisait, je ne me voyais pas en tant que marocain, je ne me voyais pas en tant qu’homosexuel.. Vous savez, il y 35 ans il était très dur de voir ce genre de représentations au cinéma. Par exemple, j’étais très impatient de voir Merry Christmas Mr. Lawrence (1983). J’ai attendu sept mois sa sortie car je savais que David Bowie y embrassait un homme et je n’avais jamais vu d’homme embrasser un autre homme. J’avais besoin de voir cette image-là.
Les images étaient-elles aussi très importantes pour votre soeur Ronit ?
S.E. : Oui évidemment, extrêmement importante. Nous avons tourné des films pendant dix ans ensemble. Nous partagions cette passion très forte pour les récit visuels.
Que dites-vous aux étudiants de la Cinef que vous rencontrez ? Quels sont vos conseils pour faire des films ?
S.E. : Bien sûr, chaque conseil dépend de l’élève. Chacun a un monde qui lui est propre, mais mon instinct me dit toujours de les encourager à se rendre dans plein d’endroits, à voir des choses .. Je veux leur dire d’allier leurs forces et leurs faiblesses. Il ne faut pas avoir peur de faire des erreurs ..
Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Anouk Ait Ouadda