Invité au Champs-Élysées Film Festival à présenter son dernier film Passages (sortie, ce 28 juin) – dans lequel jouent Franz Rogowski, Adèle Exarchopoulos et Ben Whishaw- ainsi qu’une sélection de ses films courts et longs, le cinéaste américain Ira Sachs revient sur son travail avec les acteurs, son initiation à la cinéphile à Paris, son intérêt pour l’identité et l’indépendance du court-métrage.
Format Court : Qu’est-ce qui vous a incité à travailler dans le cinéma ?
Ira Sachs : J’ai choisi le cinéma. J’étudiais la mise en scène à l’école et j’ai déménagé à Paris pour un semestre, je voulais vivre ici. Je me suis mis en retrait pendant un moment. Je ne parlais pas un mot de français, je n’avais pas d’amis, je vivais dans le 16ème arrondissement avec un père et son fils qui, je pense, n’ont jamais vu mon travail. J’étais plutôt seul pour la première fois dans ma vie. J’ai fini par aller au cinéma 2 à 3 fois par jour. J’ai vu 197 films pendant 3 mois ! C’est ainsi que je me suis senti en vie : en allant au cinéma.
Du coup, vos premiers pas dans le cinéma ont eu lieu en France ?
I.S. : Je parlerais plutôt de mon éducation. Je ne suis pas allé dans une école de cinéma, j’ai été autodidacte en regardant des films et en y réfléchissant. C’est en tant que spectateur que j’ai commencé à faire des films, des courts-métrages. Je pense aussi que les romans ont joué un rôle important pour moi.
Quel a été le point de départ de Passages ? Pourquoi avez-vous choisi de tourner en France ?
I.S. : Je voulais faire un film intimiste à propos des relations et de la vie. Je voulais faire un film actuel, sexy, dramatique. C’est comme ça que ça a commencé. J’ai tourné à Paris car je m’y sens à l’aise. Je sentais que mes personnages et mes acteurs pouvaient y évoluer d’une façon assez facile. J’y ai vécu des relations, des ruptures, j’y ai pleuré, j’y ai eu des relations sexuelles, tout ça m’a incité à raconter cette histoire ici.
Pourquoi ce titre ?
I.S. : C’est un film qui touche à la transition, au mouvement, au changement. Le passage est une expression de cinéma : un intérêt pour ce qu’il y a avant et après. C’est une extension de ce qui est immédiat. J’aime l’idée que tout peut changer à n’importe quel moment.
Comment vous sentez-vous sur un plateau ?
I.S. : Je me sens comme un analyste. Je suis là, je crée la situation, la pièce, j’installe des gens qui vont être habités par leurs personnages, avec moi. J’aime aussi que les acteurs ressentent une forme de liberté. Il faut qu’il y ait assez de contrôle pour qu’ils se sentent libres. C’est très érotique (rires) !
Pourquoi avez-vous choisi de tourner avec Franz Rogowski et Adèle Exarchopoulos en particulier ?
I.S. : J’ai écrit pour Franz Rogowski en particulier. Je l’avais vu dans Happy End de Michael Haneke. J’ai ressenti un gros coup de coeur pour lui. Puis, j’ai vu Adèle Exarchopoulos dans Sybil de Justine Triet et j’ai été scotché par sa performance et sa présence à l’écran. Avec Ben (Whishaw), ils étaient tous bien plus intéressants que j’aurais imaginé (rires) ! On a eu des moments géniaux. Il y avait une sorte de camaraderie, une confiance, une joie et une facilité de contact entre nous qui étaient vraiment formidables. Comme c’est un film avec des moments durs, le plaisir de faire le film devient vrai à travers les images. Loulou de Pialat et L’innocent de Visconti ont été des inspirations importantes, de même que Jules et Jim de Truffaut.
En tant qu’homme gay approchant la soixantaine, l’identité a été très importante dans ma jeunesse. J’ai écrit Passages en pensant être assez alternatif mais l’identité n’est pas centrale pour cette histoire, au vu de ces acteurs et de la génération dont ils sont issus. L’évolution a été amenée par eux. Je montre un court ici, au festival, Lady. Il a été fait en 93, il parle aussi de la question de l’identité que se posent les jeunes gens.
Pourquoi dans vos films, vos personnages travaillent-ils dans le cinéma ?
I.S. : Je pense que c’est plus facile pour moi. J’essaye d’écrire sur ce que je connais, sur la création.
Est-ce une façon de vous identifier aux personnages ?
I.S. : Non, c’est pour des raisons cinématographiques. J’ai filmé une fois un écrivain, un romancier, dans mon film, Love is strange (2014). En général, je pense que le cinéma peut être filmé. C’est un milieu dans lequel on peut évoluer, qu’on peut voir à l’écran. J’essaye aussi de réfléchir à des situations dans lesquelles les personnages peuvent ne pas jouer mais vivre : un professeur, un réalisateur, … C’est plus facile à filmer qu’un scientifique. En tout cas pour moi (rires) !
Comment avez-vous démarré avec le court ?
I.S : J’ai démarré avec les histoires que je voulais raconter et qui étaient telles qu’elles étaient. C’était drôle. Je travaille actuellement sur un court. Ce qui est intéressant, c’est que c’est à la fois un défi et un avantage qu’un court n’ait pas de valeur économique. Tu dois trouver d’autres raisons pour justifier des investissements économiques. La forme résiste vraiment à la structure de distribution, ce que je trouve intéressant et motivant. C’est une autre forme d’indépendance. J’ai fait ce court Last Address (2010) qui dure 9 minutes. Ça a été une renaissance pour moi car je n’arrivais pas à avoir d’argent pour des longs-métrages et j’avais une idée pour faire un film sur un groupe d’artistes new-yorkais des années 80, morts du sida. J’ai filmé les maisons dans laquelle ils ont vécu jusqu’à la fin de leur vie. C’était un projet conceptuel, je l’ai fait pour 2000 $, et j’ai senti que je maîtrisais à nouveau ma propre production. Je n’ai plus vraiment ressenti ça après, ça a été un tournant à Hollywood, loin de l’industrie des films indépendants qui ne m’accueillait pas à ce moment. En France, il y a encore un système vivable, sur la durée, qui permet aux films de se faire alors qu’aux Etats-Unis, c’est plus dur.
Pensez-vous que les courts vous offrent quelque chose de plus que les longs ?
I.S. : Non, je pense que c’est juste une forme. J’ai une idée pour un film et ça va se transformer en court par exemple. Je suis passionné par les longs mais j’ai l’impression qu’avec les courts, personne ne peut rien me dire. Je décide de ce que je veux faire et je le fais. Et ça me rend très libre.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes cinéastes ?
I.S. : Faites des choses qui sont suffisamment proches de vous, auxquelles vous avez un accès que personne n’a. C’est le privilège de votre voix et de votre expérience. Autorisez-vous à penser que votre vie a de la valeur et que vous n’avez pas à trouver cette valeur ailleurs.
Considérez-vous vos films comme politiques ?
I.S. : Plus jeune, je me considérais comme activiste. Mon inspiration est plutôt venue de films où les corps étaient moins cachés et honteux. Les films n’avaient pas à être globaux. Il y avait de l’individualité. Je pense que mes films sont politiques dans la mesure où ils sont engagés dans la vie, la culture, la représentation. Ceux qui relèvent le défi de rendre la culture queer travaillent vraiment. Les réalisateurs queer et gay, ne sont pas nombreux à faire une longue carrière. Mon travail et ma vie sont emmêlés, il y a des batailles pour lesquelles il faut se battre.
Propos recueillis par Rose Delafosse. Retranscription : Katia Bayer