Queer Palm, Prix Canal + et Découverte Leitz Ciné à la Semaine de la Critique de Cannes, Boléro est un court-métrage réalisé par Nans Laborde-Jourdàa. Sur 17 minutes, nous suivons l’odyssée d’un danseur professionnel, revenu dans son village natal pour revoir sa famille, envoûtant tous ceux qui croiseront son chemin…
Le film s’ouvre sur une séquence de danse ; l’homme, filmé en plan moyen, déroule une performance à la fois millimétrée et spontanée du Boléro de Ravel. Ce début marque par l’association brillante de thèmes. Déjà, par son sujet, distant au premier regard, silencieux et froid comme les pieds du danseur tapant le sol dur de la scène. Ensuite, viennent les contrastes opérés entre la chair, que la caméra épouse dans son cadre dans des mouvements lents et circulaires, et le noir nébuleux de l’arrière plan entourant les habits colorés du danseur. Enfin, le rythme universel du Boléro, qui embarque l’auditeur malgré lui dans des sonorités lancinantes et fermes, stoppé brusquement par le titre. Le cadre de la scène est quitté, pour devenir celui d’une forêt, à travers laquelle l’homme et sa mère conduisent. Il devrait revenir les voir plus souvent, dit-elle. Les visages ne sont jamais visibles dans leur entièreté.
Pourtant, malgré ce décor bucolique, végétal et coloré contrastant, encore une fois, avec la froideur de l’ouverture, la mise en scène s’attarde sur les préservatifs jonchant le chemin champêtre que l’homme emprunte après que la voiture est tombée en panne. C’est d’ailleurs dans les toilettes d’un centre commercial miteux que le danseur choisit de répéter sa chorégraphie du Boléro. Par des plans morcelés sur des parties de son corps qui rappellent la force et la tendresse du début d’Hiroshima, mon amour d’Alain Resnais – où le corps des amants est filmé de manière parcellaire et inassemblable, ce danseur devient la chose qu’on veut regarder, écouter et sentir d’en dessous, d’au-dessus. L’érotisme se faufile alors paisiblement par ce corps en mouvement qu’on ne peut voir jamais voir complètement, que le public qui s’introduit dans les toilettes ressent physiquement par des accès de chaleur. La sensualité des rythmes du Boléro excite d’autant plus mystérieusement qu’elle n’est pas clairement identifiée. Est-ce ses pas, son odeur, ses doigts ou ses mollets furtivement aperçus qui créent cette attraction.
Ces intervalles de plans rapprochés entre le danseur enfermé dans les toilettes et les individus qui le désirent derrière développent des sortes de vibrato cinématographiques, sensuels et sexuels, sur l’interprétation de Ravel contaminant tous ceux qui osent se trouver sur son passage. Le ravissement du danseur par les individus hors du magasin, dont le tableau se réfère presque à une scène picturale christique, précède un chaos aussi jouissif que paisible où les plaisirs de la chair se confondent sur les herbes de montagne. Ce basculement indiscernable et absolu, Paul Valéry l’évoquait déjà en 1928 dans Calepin d’un poète : “Le passage de la prose au vers ; de la parole au chant, de la marche à la danse – ce moment à la fois actes et rêves.” Nans Laborde-Jourdàa accomplit alors un objet créatif et poétique dans le sens le plus originel du terme : comme les mots d’un poème à significations multiples, la présence du danseur intrigue par son instabilité interprétative. Boléro incarne alors cette exaltation de vie, de plaisir et de chaos que la poésie exulte. Une prise de risque brillamment exécutée.
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