Lauréate du Meilleur Court-métrage lors de la dernière Cérémonie des César 2023, la réalisatrice Amélie Bonnin revient sur la genèse de son film Partir un jour et les apports significatifs du documentaire dans son approche de la fiction. Retour aux origines, nostalgie et monde rural, elle évoque aussi ses inspirations et sa collaborations avec Bastien Bouillon, parrain de la 4ème édition de notre Festival. Partir un jour sera diffusé ce jeudi soir dans le cadre de notre Focus Bastien Bouillon, en présence du comédien.
Format Court : Comment est venue cette envie de réaliser un film musical ? Est-ce que d’ailleurs tu le considères comme tel à l’instar des films de Jacques Demy ou de certaines comédies musicales américaines ?
Amélie Bonnin : En effet, il y a avant tout cette passion pour les comédies musicales, et à vrai dire pour les comédies musicales spectacles. J’ai grandi avec Starmania qui a beaucoup compté pour moi et la première fois que je suis allée à New-York, j’ai découvert les comédies musicales qui m’ont appris à aimer les films musicaux et finalement, Demy je l’ai découvert plus tard lors de mes études. C’est davantage les films de Christophe Honoré qui m’ont beaucoup influencée.
Les Chansons d’amour a été un vrai choc. Je me suis rendu compte qu’on pouvait faire un film contemporain et y glisser des chansons sans que cela devienne du Broadway qui donne cet effet un peu hors-sol. Dans Les Chansons d’amour, on a la sensation de quelque chose de très ancré, de très réaliste, il n’y a pas de costumes hauts en couleurs, ni de chorégraphies et je me suis dit : « c’est ça que j’ai envie de faire ! »
Tu évoquais Starmania, il y a justement dans le choix de tes morceaux un clin d’oeil évident aux générations des années 90-début 2000 avec les 2BE3, Ménélik ou Larusso. Comment as-tu arrêté ton choix sur ces morceaux ?
A.M. : À vrai dire, c’est quelque chose qui ne s’est pas vraiment décidé, c’est venu assez spontanément. Avec Dimitri Lucas, mon co-scénariste, on s’est demandé quels étaient les morceaux qu’on écoutait en boucle adolescents quand on faisait la fête ou quand on avait un chagrin d’amour… Nous avons vraiment pensé le film ensemble. J’ai fait l’image, mais l’histoire (comment la raconter et la forme qu’elle prenait à l’écrit), cela s’est pensé à deux.
Quels seraient donc les morceaux qui nous reviendraient en mémoire si on rentrait chez nous et que l’on replongeait dans l’adolescence ? Et puis les années 90, c’est aussi cette période improbable des boys-bands qui est assez unique dans l’histoire de la musique et cela a été très ludique et plaisant de pouvoir l’utiliser et de l’emmener ailleurs.
Quel a été l’accueil du projet par tes producteurs ? Comment se sont passés les échanges avec eux par la suite ?
A.M. : Ils ont été de vrais alliés tout au long de l’écriture. Ils sont trois à Topshot et l’un d’eux avait vu mon premier documentaire, La Mélodie du boucher. Il m’avait invitée à les contacter si je songeais un jour à faire de la fiction. Une fois le projet lancé, il y a tout de suite eu beaucoup de bienveillance et cette sensation d’avancer ensemble. Je n’avais jamais écrit de fiction donc toutes les remarques étaient bonnes à prendre et venant du documentaire, j’étais plutôt habituée à des budgets très bas et des équipes réduites. Le pendant négatif, c’est que je ne me rends pas toujours compte du coût des choses mais le positif, c’est que le manque de moyens n’est jamais un problème. On trouve toujours un moyen de faire autrement.
Quoi qu’il en soit, nous avions tous la même vision du film et nous l’avons senti très tôt. Dès qu’il y avait des remarques dans un sens ou dans l’autre, c’était pour s’approcher au plus près du film que nous avions tous envie de faire.
Peux-tu nous faire part de ton expérience dans le documentaire ? Qu’y as-tu appris ?
A.M. : En soi, Partir un jour n’est pas un passage à la fiction. Le documentaire, c’est quelque chose que je continue de faire. Je crois que cela m’a appris une certaine écoute, une certaine ouverture à des choses qui adviennent et qui n’étaient pas forcément prévues. Dans le documentaire, c’est même précisément ce qui nous intéresse ! À la caméra, on cherche à ce qu’il se passe des choses qui ne sont pas anticipées, et le miracle se produit à ce moment-là. Avec la fiction, tout était assez bordé et on a suivi le scénario mais les moments qui m’ont le plus marquée, ce sont justement les moments où ça a bougé.
Puis au casting, il y avait une envie de trouver des gens et des physiques qui soient crédibles et ancrés. Comme il s’agit de personnages qui vivent dans un petit village de campagne, il ne fallait pas qu’on ait l’impression que ce soient des parisiens déguisés. Comme j’ai grandi en milieu rural et que j’y ai beaucoup filmé, j’ai une idée des corps, des postures et de qui peut les interpréter. Tout cela, je l’ai eu par le documentaire.
Justement, comment es-tu rentrée en contact avec tes comédiens.nes ?
A.M. : François Rollin, nous avons vraiment écrit pour lui. Nous l’avions en tête dès l’écriture du dialogue, je lui ai écrit une lettre et il a accepté. Juliette Armanet aussi, c’est quelqu’un pour qui nous avons écrit. Nous nous étions rencontrées sur un projet et j’avais beaucoup apprécié sa personnalité. Elle a accepté dès la lecture du scénario. Enfin Bastien Bouillon et Lorella Cravotta, ce sont mes producteurs qui les connaissaient, et j’avais du mal à trouver quelqu’un pour le personnage de Julien. Il fallait quelqu’un de timide, mal à l’aise et à la fois crédible en parisien issu de province. On voit souvent Bastien casté pour des rôles de gendre idéal ou de personnage assez lisse, alors qu’il a une réelle fantaisie et une folie qu’il a su amener au personnage de Julien qui était assez plat. Il lui a donné une personnalité et un charme qu’il n’y avait pas à l’écriture.
Chez le personnage de Julien, on peut identifier ce phénomène social de transclasse : ces personnes issues d’un milieu modeste qui sont amenées à le quitter pour des raisons souvent professionnelles et s’ouvrent alors à eux de nouveaux cercles et de nouvelles réalités sociales. Tu es née à Châteauroux et tu vis maintenant en région parisienne. Est-ce qu’il y aurait quelques points de contact entre le personnage que tu as écris et ton histoire personnelle ?
A.M. : Oui, il y a certainement des liens. Lorsque je suis arrivée à Paris, je suis allée dans une école privée de relations presse et j’ai fait la rencontre de gens issus d’un milieu social qui était très éloigné du mien, dont je ne soupçonnais même pas l’existence. Plus tard et dans un milieu plus artistique cette fois, j’ai fait d’autres rencontres mais de personnes qui étaient déjà implantées dans le milieu depuis l’enfance, c’est-à-dire dont les parents étaient soit architectes, soit designers et qui avaient grandi dans des grandes villes. Moi, j’aimais les impressionnistes et je dessinais, donc il y avait forcément un clash… Et en même temps, j’étais très avide d’apprendre et de découvrir.
Mais lorsque tu rentres chez toi, on te reproche soudain d’être devenue très parisienne. Tu te retrouves un peu entre les deux et c’est quelque chose qui m’a beaucoup marquée. Rien de douloureux, mais c’est étonnant de voir comment ces différences sociales s’immiscent et comment, de par nos métiers, on est amené à ne plus fréquenter les mêmes milieux. Ça demande de petits ajustements pour pouvoir se trouver.
Ce que tu évoquais lors de ton discours à la remise des César, « Être une femme de presque 40 ans, avoir deux enfants et des cheveux blancs, et sentir qu’on est au commencement des choses », c’est une pression que tu as ressentie ?
A.M. : Quand j’étais en école d’art, j’avais une vingtaine d’années et j’ai découvert Egon Schiele qui a été un véritable coup de foudre. Il est mort à 24 ans et il a laissé derrière lui une oeuvre sublime et à l’époque, je me disais : « J’en ai 22 et je n’ai toujours rien fait ! Je ne vais jamais y arriver ! (rires) ».
Puis petit à petit, avec le temps j’ai relativisé. Aujourd’hui j’ai 38 ans et je n’y vois aucun problème. Et cette pensée que j’avais plus jeune colle très bien avec cette société capitaliste où il faut aller vite, où il faut réussir et avoir un vrai métier, gagner de l’argent… Tout ça n’a plus aucun sens pour moi aujourd’hui. C’est une forme de réussite qui vient aussi avec un certain « jeunisme », comme quoi ce serait plus sexy d’être jeune et de réussir. Je me souviens, c’était même un élément dans l’argumentaire des gens lorsqu’Emmanuel Macron s’est présenté aux élections pour la première fois. Jeune était devenu un argument ! Et c’est quelque chose que l’on retrouve aussi dans le cinéma. Après ce discours, j’ai reçu beaucoup de messages et j’ai réalisé en fait qu’on était très nombreuses et nombreux à vouloir entendre que l’âge n’est pas un problème.
Tu as un long-métrage en cours d’écriture. Quels sont tes projets ?
A.M. : J’ai toujours fait plusieurs métiers à la fois. En ce moment, je suis directrice artistique d’une revue féministe qui s’appelle La Déferlante, qui me passionne. J’ai réalisé quelques épisodes de la saison 3 de Parlement [série France TV créée par Noé Debré – NDLR]. Tout me va du moment que cela me permet de raconter des histoires qui me parlent.
Concernant l’écriture du long, on vient d’envoyer une version d’écriture à nos producteurs, on attend les retours. Cela reste très joyeux et passionnant de réinventer une nouvelle histoire.
J’ai eu un bref passage post-César où je me suis dit : « avoir une telle récompense au seuil d’une carrière, comment pouvoir faire mieux après ? ». Si tu fais exactement pareil, on va dire « Tiens, elle ne sait faire que ça ». Et si tu fais différent ce sera : « Ah ! Je préférais le truc d’avant. » Ça parait insurmontable mais à un moment, il faut juste se détacher et faire quelque chose qui nous fait vibrer. De toute façon, ce n’est pas vraiment entre nos mains, le fait que cela fonctionne ou pas.
Est-ce que la comédie romantique est un registre dans lequel tu aimerais persévérer ?
A.M. : C’est notre ton commun avec Dimitri Lucas, ce qui nous vient le plus spontanément. D’ailleurs, j’ai un autre projet qui est plus dramatique et ça me pose problème. C’est-à-dire qu’au quotidien, travailler sur un projet qui ne me fait pas rire, ce n’est pas une perspective évidente pour moi… Partir un jour m’a pris trois ans de ma vie, un thème trop dur ou trop dramatique, je ne suis pas sûre d’y arriver. Pour le moment, je souhaiterais conserver une certaine légèreté.
Le court-métrage est-il un format que tu as envie de continuer d’exploiter ?
A.M. : Je trouve qu’il y a des idées pour tous les formats, donc certaines idées ne sont pas pour des longs. Parfois, certains sujets méritent d’être développés en dix, quinze ou vingt-cinq minutes donc oui, dans ce cas-là, je n’aurai aurai aucun problème à refaire un court-métrage. Et puis, il y a un enjeu dont il faut tout de même parler, c’est que ce n’est pas viable économiquement, et c’est malheureux. On m’a souvent demandé si je ne voulais pas devenir court-métragiste, comme si le court-métrage ne servait qu’à faire du long ensuite. En l’occurrence, je ne trouve pas que ça serve qu’à faire du long, comme si c’était un choix de carrière. En revanche, tant qu’il n’y aura pas de court-métrages projetés avant les longs dans les salles de cinéma ou qui ne passeront pas davantage à la télévision, ce n’est pas un format dont on peut vivre et c’est un vrai sujet.
Propos recueillis par Augustin Passard
Article associé : la critique du film