L’Angola, terre de rêves et de cauchemars
Le premier long-métrage de José Miguel Ribeiro, distribué par Urban Distribution, sort le 8 mars et nous plonge dans l’histoire terrible de l’Angola. Avec une animation magnifique et une histoire touchante, le réalisateur portugais signe un film saisissant sur la guerre civile qui a secoué le pays pendant près de 25 ans.
Nayola commence par un rêve, un homme nu court dans une forêt sombre et luxuriante, épuisé, il disparaît lentement dans la boue et, de son corps, pousse un grand mulemba. Les racines puissantes de l’arbre poussent du cadavre de la guerre et ses branches s’élèvent au ciel avec espoir.
Yara est la petite-fille de Lelena et la fille de Nayola. L’histoire de la guerre civile parcourt l’histoire de cette famille de femmes. En effet, Nayola n’est jamais revenue de la guerre où elle était partie à la recherche de son mari disparu. Malgré la paix, son périple parmi les atrocités de la guerre ne l’a pas épargnée et le retour n’est plus possible. Elle laisse seules sa mère et sa fille, Yara, jeune adolescente qui ne tient pas sa langue dans sa poche. Avec son rap, elle lutte contre le régime autoritaire qui gangrène le pays. Dans ce film, le passé et le présent se croisent sans cesse et font sens de l’histoire collective comme des histoires individuelles.
Le film propose une réflexion intelligente à propos de la guerre civile dans des dialogues poétiques sur la résistance ou dans des scènes fortes en significations. Les luttes dont nous venons, celles de nos parents, celles de nos grands-parents, coulent dans nos veines. Tragiquement les douleurs aussi, en témoignent des scènes de rêve poignantes que Yara raconte. La famille réunit avant tout, que ce soit par amour ou par discipline – en témoigne une scène du film où un neveu et son oncle se retrouvent mais dans des camps différents. Malgré la séparation, Nayola et Yara ont tout en commun, leur soif de liberté, de justice, leur énergie rebelle, leur goût de la musique.
Nous sommes entraînés par l’énergie folle de ces personnages féminins dans des décors tout aussi fous. L’animation de José Miguel Ribeiro ne manque pas d’envergure. Le réalisateur était déjà célèbre pour ses courts-métrages d’animation où son audace pour des images innovantes avait marqué les esprits. Dans Sortie de dimanche, les personnages d’une famille étaient de toutes les formes et en 3D. Alors que dans Fragments, le réalisateur aborde un style plus sobre pour un sujet plus grave : il utilise le dessin et la prise de vue réelle pour raconter la souffrance d’anciens soldats. Dans nombreux de ses courts-métrages, le réalisateur excellait en stop-motion. José Miguel Ribeiro a expérimenté tous les styles graphiques et il use de cette expérience dans Nayola.
De grands aplats de couleurs vives et intenses et de textures riches font revivre les paysages de l’Afrique de l’Ouest à l’écran. Le film ne laisse pas de répit, tantôt nous sommes dans le rêve angolien, tantôt dans les ravages de la guerre civile. Les paysages urbains ne manquent pas d’ampleur non plus, Nayola est plongé dans les dédales des villes détruites. Le pays est à démolir et à reconstruire, comme ces façades en azulejos qui racontent la vie des peuples noirs du pays, vestiges de la colonisation portugaise que Nayola détruit avec rage. Dans cette folie, seule la nature semble garder sa puissance. Les grands mulemba sont des refuges pour le cœur de ceux qui ont perdu leur famille et leur pays. Le périple de Nayola aboutit dans le désert de Namibie, lieu magique et guérisseur.
La mise en scène impressionnante ne nous épargne pas sur l’épouvante des combats, pourtant le film raconte la guerre civile avec de la douceur. Les dessins du réalisateur, les personnages forts et tendres et surtout la musique rythment le film. Avec une animation magnifique, une musique inspirante et une histoire touchante, ce film est un hommage à la résistance humaine et aux luttes politiques pour la liberté.
Enfin, au cœur du film, la musique accompagne les personnages. Elle adoucit les peines, réconcilie les cœurs autant qu’elle véhicule la résistance et permet la lutte. Les musiciens David Zé, Mário Rui Silva et surtout, le célèbre Bonga qui chante pour son enfant poursuivi, “mona mona muene” dans le titre Mona Ki Ngi Xica dont la mélancolie nous rappelle que la lutte n’est jamais terminée, qu’elle se transmet de mère en fille et qu’elle nous accompagne dans l’amour et la peine. Nayola nous apprend que la lutte pour la liberté n’est pas la seule à couler dans nos veines de générations en générations, la musique, elle aussi, nous est portée par nos ancêtres, pour nous guider.