Grand Prix International du Festival de court-métrage de Clermont Ferrand, Will My Parents Come to See Me ? est un court-métrage réalisé par Mo Harawe. Originaire de Somalie et vivant à Vienne, celui-ci se livre sur le processus de création de son court-métrage traitant avec sobriété et puissance, du thème de la peine de mort par la perspective d’un condamné, et de la gardienne chargée de l’amener à sa fin, nous amenant dans une introspection existentielle dans la psyché des personnages.
Format Court : Dans votre film, Will My Parents Come to See Me ?, nous suivons la perspective de celui qui est condamné à mort, et de celle qui l’accompagne dans cette destinée, en représentant l’institution policière. Comment l’idée de confronter ces deux points de vue vous est-elle venue ?
Mo Harawe : Je pense que ce qui m’intéressait le plus était l’attitude des gens. Tout le monde est au courant de cela, mais tout le monde agit comme si ça n’existait pas, parce que c’est plus simple comme ça. Pour moi, cette femme représente toute la population, qu’importe comment les gens sont liés à ce thème, comment cela les affecte physiquement et personnellement. En général, elle incarne chaque individu dans le monde. On entend toujours parler de la peine de mort, il existe de nombreux films et livres qui traitent de ce sujet, mais surtout de la seule perspective du condamné à mort. Le plus intéressant pour moi était d’explorer l’attitude des gens moyens, du conflit qu’il existe entre les pro et les anti-peine de mort, de l’impuissance de notre situation face à la peine de mort, mais également face à d’autres situations avec lesquelles nous ne sommes pas d’accord. Comment vivre avec cela ?
Dans le lourd débat sur la peine de mort, les opinions sont souvent très tranchées. La question de la culpabilité ou de l’innocence d’un condamné est centrale. Néanmoins, dans votre court-métrage, elle n’est jamais mentionnée, comme s’il s’agissait d’un détail dans l’engrenage du système.Le crime du condamné n’est jamais évoqué, alors même qu’il ne semble montrer aucune émotion. Nous nous retrouvons juste devant une situation sans espoir, un néant.
M.H : En effet, la question de sa culpabilité m’importait peu. A la fin, que la personne soit coupable ou non, elle va quand même mourir. Qu’elle soit coupable ou non, on ne peut justifier ce qui lui arrive. Ce qui m’intéressait le plus, c’est comment les gens réagissent à son sort, comment nous détournons le regard face à quelque chose d’injustifiable. On décide d’ignorer la chose comme si elle n’existait pas. Mais si tout le monde détourne le regard, qu’est-il dit sur l’être humain ? Quand nous allons dehors et que nous voyons un SDF devant notre porte, le plus simple est de fermer les yeux et de passer à autre chose. Avec la peine de mort, les sociétés du monde entier font la même chose. C’est pour cela que la question de sa culpabilité était peu importante ; d’ailleurs, cela arrive si souvent en Somalie que je n’avais pas de réelle inspiration artistique pour explorer ce thème. Ça fait partie de la vie quotidienne, même si les gens désapprouvent cette pratique, tout le monde choisit de fermer les yeux.
À la fin de votre film, la femme part de la scène d’exécution en voiture, laissant les individus derrière elle. Cela peut être compris comme sa réalisation qu’elle ne peut supporter l’insupportable. Néanmoins, elle ne quitte pas son travail. Elle reste à sa place originelle. Entre révolte et passivité, qu’incarne-t-elle dans la société somalienne ?
M.H : Je pense qu’elle désapprouve ce qui se passe. C’est son dilemme, parce que c’est son travail. Elle choisit la solution de facilité, mais elle reste dans ce conflit intérieur d’une chose qu’elle ne peut supporter, qu’elle ne peut regarder, mais qu’elle doit continuer à effectuer parce qu’elle ne peut survivre sans cet emploi. C’est un véritable dilemme. Si on prend de la distance, c’est exactement ce qu’il se passe dans cette société. Détourner le regard relève presque de l’instinct de survie. La seule chose que cette femme peut faire, est de s’enfuir de la scène d’exécution. C’est la seule option qu’elle peut choisir pour elle-même. En même temps, il s’agit aussi de se questionner sur notre propre confort, permis par de nombreuses autres vies exploitées dans d’autres pays. Certes, on peut être d’accord avec des principes, mais est-on vraiment prêts à abandonner ce qu’on possède pour lesdits principes ? Cette femme n’est que le reflet de cette attitude.
Ce thème est en effet central dans Will My Parents Come to See Me ? , mais également dans Life On The Horn, un de vos courts-métrages réalisé en 2020. Les individus tentent de survivre dans une misère absolue, créée par une catastrophe chimique sur laquelle ils n’ont aucun contrôle. Tous deux sont tournés en Somalie, un pays dont vous êtes originaire mais où vous ne vivez plus. Comment se passa le tournage ?
M.H : En réalité, c’était plutôt facile, car nous avions beaucoup de temps et que les gens nous ont beaucoup aidés, même si le pays ne possède pas d’infrastructures cinématographiques. Le cinéma est moins considéré que la poésie ou la littérature, qui sont plus importants en Somalie. 90% des gens, dans les deux films, jouaient pour la première fois de leur vie dans un court-métrage. Tous les gens derrière la caméra étaient présents sur les deux tournages, et la plupart n’appartenaient pas au milieu du cinéma. Une fois que nous avions tout rassemblé, tourner s’est révélé assez simple, Dieu merci (rires) !
Tous vos acteurs sont non-professionnels. Saviez-vous les acteurs que vous vouliez, ou avez-vous organisé des castings ?
M.H : Nous n’avons pas fait de casting traditionnel. En Somalie, les gens ne comprennent pas ce concept, car ils n’ont pas la vocation de devenir acteurs. On a fait une sorte de “street-casting”, où j’ai contacté des connaissances en leur disant ce que je recherchais, et ces gens connaissaient d’autres gens susceptibles d’être intéressés… C’est nous qui sommes venus vers les gens, et on s’est arrangés après coup. Parfois ils déclinent, parfois ils acceptent. Trouver le casting est une aventure. Je pense que la moitié du travail du film s’opère à travers les acteurs. Si leur jeu ne fonctionne pas, rien ne fonctionne.
Vous dites que le travail d’acteur n’est pas vu comme une voie d’avenir pour les Somaliens. Pensez vous que l’émergence et la visibilité croissante du cinéma des pays africains sur la scène internationale va changer la donne ?
M.H : J’espère bien ! Mais on verra comment les choses évoluent. Je ne pense pas que quelques films de Somalie vont changer énormément de choses, mais j’espère que des gens vont les voir et se dire qu’ils veulent être acteurs, ou du moins qu’ils veulent entrer dans le milieu du cinéma.
Une question plus technique : dans Life On The Horn et Will My Parents Come to See Me ?, il y a beaucoup de lumière naturelle, qui façonne les formes et la texture des éléments. La lumière naturelle peut se révéler très compliquée sur un tournage, car elle est très instable. Comment avez-vous géré cela ?
M.H : Nous avions beaucoup de temps, donc nous pouvions attendre. Dans Life On The Horn, nous tournions moins de quatre heures par jour pendant des mois. Nous pouvions vraiment choisir à quelle heure nous voulions tourner, et je pouvais choisir où placer exactement la caméra, les acteurs… Grâce au temps que nous disposions, les éléments se sont unis dans un tout. Travailler avec de la lumière naturelle, même si on est restreints, nous offre d’autres opportunités. Ça fait beaucoup réfléchir sur ce qui vraiment important dans un film. Le plus important, c’est le sentiment qui s’en émane, cette fusion entre les acteurs, la lumière, les petits détails dans le cadre. Tout ça donne une sorte d’émotion qui n’est pas rationnelle, qu’on ne peut décrire avec des mots. Plus on a de temps, plus on peut prioriser certaines choses. En parlant de lumière, je n’ai peut-être pas besoin de voir le visage, les yeux de la personne, parce que je comprends déjà l’émotion derrière. En travaillant avec une autre lumière, j’aurai peut-être choisi le choix le plus normal, d’éclairer les visages. Dans Will My Parents Come To See Me ?, quand la femme part en voiture à la fin, il y a ce plan de profil. On ne voit pas réellement ses yeux, et je me souviens qu’on avait tourné au coucher de soleil. On n’avait pas besoin de lumière, car on savait ce qu’elle ressentait au moment qu’elle partait du lieu d’exécution.
La musique, in et off, a une place très importante, même si elle est plus présente dans Life On the Horn que dans Will My Parents Come To See Me ?. Comment la considérez vous ?
M.H : La musique est très importante pour moi ; elle induit des émotions et rythme la narration. Parfois, j’ai l’impression que mes films en deviennent presque des films musicaux. Certes, il n’y a pas de partition précise, mais la musique donne parfois des émotions que je ne veux pas exprimer dans une scène. Je ne veux pas que les spectateurs se sentent détruits, tristes par une scène, alors j’opère une musique allant à contre-courant des émotions attendues.
Vos personnages traversent une crise existentielle, et se retrouvent face à des situations absurdes, dans un décor désolé de fin du monde. Quelle relation entretenez-vous avec ce sentiment d’absence de sens dans le monde, ces questionnements mélancoliques ?
M.H : Ils font partie de la vie. Quand on prend de la distance par rapport à beaucoup de situations de la vie quotidienne, on réalise qu’elles n’ont aucun sens. Deux personnes qui discutent ensemble sont absurdes, quand on les regarde de près avec toute notre conscience. Je n’ai pas vraiment de prise de position sur ça, c’est un questionnement qui me vient naturellement. Le comportement des Hommes est absurde. Si on met une caméra dans un café et qu’on regarde les vidéos, rien ne fait sens. Mais sur le moment, que l’instant soit triste ou mélancolique, ça a du sens pour les personnes qui sont dans ce café. Tout est une question de perspective.
Est-ce que l’art apporte ce sens ? Avons-nous même besoin de ces significations ?
M.H : Je ne sais vraiment pas. C’est différent pour tout le monde, mais je suppose qu’à la fin, tout a un sens pour celui qui observe de l’intérieur. La personne qui crée doit trouver du sens dans ce qu’elle crée. Faire des films doit avoir un sens, qu’il soit abstrait, ou qu’on ne le comprenne même pas.
Vous avez dit que pour Will My Parents Come To See Me ?, vous avez collecté des histoires de condamnés à mort pour créer le récit du protagoniste. Comment avez-vous récolté ces fragments ?
M.H : Il s’agissait plus d’écouter les gens qui furent confrontés à cela, qui eux-mêmes connaissaient des histoires… Je parlais avec eux, je les écoutais, pour créer cette histoire universelle.
Après avoir gagné le Grand Prix international du Festival de Clermont-Ferrand, qu’est-ce qui changera pour vous et quels sont vos projets futurs ?
M.H : Je n’en ai aucune idée ! En réalité, j’espère que peu de choses vont changer dans ma vie (rires) ! Je suis satisfait de ma situation actuelle. Je vais réaliser un long-métrage cette année, on croise les doigts, c’est mon projet !
Propos recueillis par Mona Affholder
Article associé : la critique du film