C’est la deuxième fois qu’Azadeh Moussavi a présenté l’un de ses courts-métrages au Festival de Clermont-Ferrand. 48 Hours date de 2022, The Visit a été réalisé en 2020. Cette cinéaste passée par le documentaire parle de ce qu’elle connaît : la prison, la séparation, la souffrance au sein d’une même famille. Ses films s’inspirent de sa vie et du passé de son père journaliste emprisonné en Iran quand elle n’était encore qu’une enfant. Au moment de notre rencontre, le cinéaste Jafar Panahi venait de commencer une grève de la faim (depuis, il a été libéré). De passage en France, Azadeh Moussavi défend comme son aîné la jeunesse, la société, les femmes et le courage.
Format Court : Tes films sont très autobiographiques..
Azadeh Moussavi : Mes films sont liés à moi. Quand j’avais 3 ans, mon père, qui était journaliste, est allé en prison à cause de ses articles. A ce moment-là, la situation en Iran était compliquée, il y avait beaucoup d’exécutions et un enfant qui commence à connaître ses parents sent des choses. Nous étions très inquiets pour mon père. Il a été en prison durant deux années mais, pour moi, ça n’a pas duré que ce temps-là car ça continue de nous impacter aujourd’hui. De mon ressenti, une personne allant en prison, surtout un prisonnier politique, ce n’est pas juste quelqu’un d’emprisonné. C’est toute une famille qui est impactée par cela. C’est le cas pour la nôtre. Par cela, j’avais envie de raconter cette situation qui me préoccupe et qui agit comme une thérapie. J’ai écrit trois histoires et j’ai réalisé pour l’instant les deux premières (The Visit et 48 Hours). La troisième suivra. Quand j’ai commencé à écrire le scénario de 48 Hours, je me suis demandé si je devais faire ce film car il s’agissait de mon histoire et qu’elle était liée à la révolution qui a fait de l’Iran une République islamique, je me suis dit que ça pouvait être un sujet déjà ancien. Je me suis rendue compte qu’il était encore très présent dans notre société iranienne.
Actuellement, ma génération parle de politique en souhaitant simplement une société libérée, mais nous sommes considérés comme des protagonistes sur le plan politique. Aujourd’hui, c’est la première fois que je participe à un festival international sans foulard et je ne sais pas si dès mon retour en Iran, j’aurais des problèmes à cause de ce geste social. Ça me rappelle la situation de mon père, je suis là pour agir et faire ma politique tout en risquant potentiellement des conséquences qui me porteront préjudice.
Avant 48 Hours, tu as réalisé The Visit. Dans ces deux films, on s’intéresse à un moment précis, presque ordinaire, d’une tranche de vie entre une mère et sa petite fille qui doivent faire face à l’incarcération de leur mari et père. Pourquoi ce choix de centrer le film autour de ce lien très fort ?
A.M. : La personnalité de ma mère était comme ça. Elle pensait que, quoiqu’il arrive, pour les enfants, tout devait être comme si de rien n’était. On pourrait la comparer aux personnages du film La vita è bella de Roberto Benigni qui se passe dans les camps mais où il s’agit de terrains de jeu pour l’enfant. Il y a des histoires, des choses qui arrivent dans notre vie et qui ont un impact très fort. La prison, pour moi, c’était cela. Mon père était en prison et il y a eu tellement de choses émotionnelles qui sont arrivées à notre famille, à moi-même et à ma mère, que ça perdure encore aujourd’hui.
Dans quelle mesure cela peut encore avoir des conséquences ?
A.M. : Ma mère me dit à chaque fois : “on a commis des actes qui ont eu un impact sur notre vie; ton père est allé en prison, essaye de ne pas faire ce genre de choses”. Et si on me pose la question en tant qu’artiste vivant dans une société où la loi règne, on sait que si on commet un délit on peut aller en prison. En Iran, il n’y a pas de règles, on ne sait pas à quel moment on touche le gouvernement iranien et si c’est répréhensible ou non. En tant qu’artiste, je me pose tout le temps la question pour savoir si je peux faire ceci ou parler de cela car je n’ai pas envie de faire revivre la même chose à ma famille. C’est pour ça que c’est toujours là, avec moi.
Tu as fait du documentaire avant de réaliser des courts-métrages de fiction. Qu’est-ce que ce genre a pu t’apprendre, comment a-t-il formé ton regard ?
A.M. : Aujourd’hui, même si je fais de la fiction, toutes mes idées viennent du documentaire. C’est pour moi très important de garder ce lien avec la société et de me ressourcer dans des problématiques qui lui appartiennent. Je suis activiste bénévole dans plusieurs ONG et toutes mes histoires, mes écrits et mes réalisations, viennent d’histoires vraies. Je me sens toujours documentariste.
Est-ce que tu envisages de réaliser un long-métrage par la suite ? Est-ce que tu penses déjà à la manière dont tu pourrais récupérer des fonds pour le faire ?
A.M. : Oui, ça fait quelques années que j’envisage de faire deux scénarios de longs-métrages, mais je sais qu’aujourd’hui, en Iran, ce n’est pas possible car la situation de la société est très tendue. J’attends que ça se calme un peu. C’est pour ça que j’attends pour réaliser mes films, notamment ma troisième idée pour ma trilogie. Et pourquoi pas réaliser des documentaires jusqu’au moment où je pourrais constater que la situation est bonne pour réaliser mon film dans la continuité de mes courts-métrages.
Es-tu en contact avec la nouvelle génération qui souhaitent raconter la société iranienne d’aujourd’hui ou d’hier ?
A.M. : Je crois beaucoup en cette génération. C’est même elle qui a lancé le mouvement de “Femme, Vie, Liberté” en Iran. Ce sont des gens qui n’ont pas peur comme nous avons pu avoir peur. Je suis très optimiste pour l’avenir du cinéma et de la société iranienne. Il faut soutenir le cinéma indépendant iranien parce que le gouvernement met tout en œuvre pour étouffer les nouvelles voix.
Est-ce que cet engagement n’est pas parfois trop lourd à porter au regard, par exemple, d’un Occidental qui peut t’identifier dès lors comme une porte-parole alors que ce n’est pas forcément ta revendication première ?
A.M. : Les revendications de la jeune génération en Iran, surtout vis-à-vis des femmes iraniennes, sont l’une de mes préoccupations. Mes films sont des préoccupations sur la société iranienne, c’est pour ça que je parle de ces sujets. Je pense que c’est le moment de dire ouvertement que ce sont des choses qui nous touchent et qu’on a envie d’en parler librement.
Tahereh Saeedi a récemment, dans une lettre destinée à son mari Jafar Panahi, témoigné de l’emprisonnement et de la difficulté de vivre la prison au quotidien. Comment as-tu accueilli cette lettre étant donné que tu traites d’aspects similaires dans ton cinéma ?
A.M. : Dans les deux films que j’ai pu faire, je n’ai jamais parlé directement de prisonniers mais de leurs familles, des femmes qui vivent avec eux. Cette lettre est bouleversante, c’est à ce moment-là qu’on voit la vie de ceux qui vivent avec les prisonniers, c’est un moyen de les mettre en lumière. J’ai toujours voulu faire des documentaires sur les gens qui sont en dehors des prisons, de m’intéresser à ceux qui sont impactés par ce départ-là.
La journaliste, ayant publié pour la première fois la photo de Mahsa Amini, et qui a par la suite déclenché le mouvement “Femme, Vie, Liberté”, est aujourd’hui en prison. Sa sœur jumelle, avec qui elle était très proche, est désormais un peu perdue dans la société et j’ai de ce fait l’envie de faire des films sur elle et cette situation. Le temps m’a manqué car tout va très vite lorsque quelqu’un est incarcéré, mais si je pouvais le faire je ne ferais que des documentaires sur ces gens-là.
Propos recueillis par Katia Bayer.
Remerciements, traduction : Alireza Mirzaee. Retranscription : Eliott Witterkerth
Article associé : la critique du film
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