Grand Prix de la compétition internationale du Festival de Clermont, Mo Harawe nous emmène en Somalie dans son dernier court-métrage de 28 minutes, Will My Parents Come To See Me ?. On suit une policière qui, dans sa voiture, enfile son uniforme avant d’accompagner un prisonnier, Farah, qui s’apprête à être exécuté. Si le court-métrage adopte d’abord la posture du condamné à mort en plaçant la caméra derrière les barreaux ou encore en décomposant par un montage méticuleux sa visite médicale, on suivra subtilement le sort de la policière à sa charge, que le système va lentement affecter.
Néanmoins, toute expression de désespoir ou d’indignation nous est refusée. En effet, le calme voire la froideur de Farah et de ses accompagnants lors de sa funeste journée précédant sa mise à mort est interprétée par le jeu intense des deux acteurs principaux, Xaliimo Cali Xasan et Shucayb Abdirahman Cabdi – tous deux non professionnels – dont l’attitude sobre et taciturne face à la gravité de la situation se révèle extrêmement déstabilisante. Certes, les mouvements de caméra sont rares et ainsi précieux ; ce n’est que lors du repas et de la scène de fin que l’on remarquera deux importants travellings, des mouvements qui semblent donner vie au destin du condamné à mort. A la manière d’Omar El Zohairy dans Plumes (2022), la caméra est souvent “laissée là”, observant d’un œil distant les personnages évoluer dans l’espace. La direction artistique, très sombre, opère un magnifique usage de la lumière naturelle qui parcellise le corps des individus.
“Demain est le jour où ton âme sera libérée” lui dit l’imam lors d’un plan-séquence à la cantine filmé de profil. Mais Farah n’écoute plus car Farah n’est déjà plus là. Ses réactions, dont l’indifférence apparente pourrait choquer, paraissent opaques au monde extérieur. Cette opacité est d’ailleurs exprimée par les différentes perspectives sonores qui s’amenuisent au fur et à mesure, jusqu’à n’être à la fin, qu’un cri étouffé. Le prisonnier stoïque s’effondrera-t-il ? Car Mo Harawe, jusqu’au bout, nous refuse tout sentimentalisme ; il nous prive des supplications, des larmes et des hurlements de Farah sur le point d’être exécuté.
Le sentiment de malaise croissant vient de notre impuissance, notre passivité, notre ignorance voire notre acceptation de la situation, qu’un dernier regard caméra de la policière, seule dans la nuit noire, achèvera. Il se demandait si ses parents allaient venir le voir une dernière fois, mais c’est tout seul qu’il mourra, un sac sur la tête sur cette plaine désertique emplie de désolation. Dans le cadre, il était pourtant toujours accompagné, mais c’est dans la trajectoire fatale de Farah organisée mécaniquement par le système judiciaire que l’aliénation et l’absurdité du système révèlent leur ampleur tragique.
On ne pourra s’empêcher de penser à Farah comme le Meursault de L’Etranger de Camus, non pas dans son attitude face à la mort mais dans le vide existentiel que son histoire, qui est celle de tant d’autres condamnés à mort, crée. Dénonçant l’absurdité du système, le réalisateur Mo Harawe (qui a fui la Somalie en 2009 pour rejoindre l’Autriche) file un conte philosophique oscillant entre un engagement politique assumé et un nihilisme désabusé. Le Grand Prix en compétition internationale du festival de Clermont Ferrand est amplement mérité pour un cinéaste à suivre de près.
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