Révélé avec Chroniques de la Poisse, Comme des lapins et Je sors acheter des cigarettes, Osman Cerfon vient de présenter son nouveau court d’animation Aaaah ! en sélection nationale à Clermont-Ferrand. D’ici peu, le film ira se balader du côté de la Berlinale, dans la section Génération. En attendant, on a rendez-vous avec son réalisateur, tenté par l’illustration, mais lui ayant finalement préféré l’animation.
Format Court : Tu as étudié à La Poudrière et Tête-à-tête, que tu as réalisé pour la fin de tes études en 2007, est ton premier film. Il est bien difficile à trouver…
Osman Cerfon : Oui, il est passé à Angers (en 2008) et a bien vécu, mais c’est un film qui était un peu problématique pour moi. Àl’époque, il n’y avait pas beaucoup d’étudiants de La Poudrière qui avaient fait des films en tant que professionnels, à savoir en sortant de l’école et produits par un producteur. Je me disais : “ Si ça se trouve c’est mon dernier film, il faut que je mette tout ce que j’ai et en même temps, il va falloir que j’aille chercher du travail avec… ”. C’était des questions assez parasites. Un film de fin d’études, c’est aussi une anomalie dans notre carrière, c’est le seul moment où l’on va te dire : “Fais ce que tu as envie de faire mais il faut qu’à la fin de l’année, tu aies un film”. Alors que la plupart du temps, tu as une idée, une envie de faire un film, tu sais pourquoi tu veux le faire et ensuite, tu essayes de trouver des sous. C’est une démarche qui est un peu à l’inverse de cette deadline qui ne bouge pas où il faut faire un film. Tout le monde passe par là mais moi ça m’a quand même bloqué. J’ai revu Tête-à-tête il y a un ou deux ans et j’ai tout de même eu un peu de tendresse par rapport au film. C’était mon premier “vrai” film, préacheté par Canal+, ça me faisait une pression en plus.
Est-ce que tu as travaillé avec un graphisme à l’esprit qui a pu t’influencer et faire émerger l’idée du film ?
O.C : D’un point de vue extérieur, les gens me disent que j’ai un univers étrange avec un humour particulier. Pour moi, ce sont des choses naturelles et pas spécialement calculées. J’ai beaucoup de mal à l’identifier. Un film, c’est plutôt quelque chose qui n’est pas calibré. Par exemple, les films estoniens nous paraissent hyper bizarres et c’est souvent ce qui nous séduit, alors que pour un estonien, ils sont normaux. Mes films ont tous un univers différent mais il y a des gens qui reconnaissent mes créations, ça me surprend toujours car ce sont des films qui se suivent mais qui ne se ressemblent pas.
Il y a plusieurs années entre chaque projet que tu réalises mais les deux derniers sont quand même plus rapprochés.
O.C : Oui ça peut être plus court à faire mais je peux, en même temps, être occupé à travailler sur d’autres choses. Pour l’instant je n’ai pas de projets avec lesquels enchaîner, je digère la sortie de Aaaah ! De toute façon, je ne suis pas un réalisateur faisant trois dossiers par an, j’en fais plutôt un tous les trois ans mais dans ces cas-là, l’idée est d’aller au bout et de le financer.
Aaaah ! est un projet présentant une certaine simplicité, notamment avec le fait de ne pas enregistrer des dialogues, comme ça avait pu être le cas par exemple dans Je sors acheter des cigarettes. Est-ce que tu es parti du son pour construire le film autour ?
O.C : Pour le parcours de création, la simplicité est un peu le maître mot. J’avais ce regard sur Je sors acheter des cigarettes qui avait assez bien marché et que j’ai considéré comme un accomplissement de l’univers que je voulais mettre en place en termes de complexité d’écriture, avec plusieurs niveaux de lecture, un jeu d’énigme, semblable à un puzzle. C’était aussi un film personnel et très réfléchi sur chaque plan. Je me suis demandé comment je pouvais tourner la page sans que moi-même, ou quelqu’un d’autre, ne puisse comparer ces deux films, parce que là, je pouvais tomber dans le piège de vouloir surenchérir.
Il y avait dans mes envies l’idée de faire quelque chose d’assez simple, spontané, ce qui n’est pas évident en animation, car les délais pour chaque étape sont souvent longs. Il y avait aussi l’envie d’avoir un contact physique avec mes images, ce côté “sans pression” pour pouvoir le faire de façon la plus libérée possible tout en prenant du recul et en me renouvelant, quitte à revenir à ce que j’ai déjà pu faire. Pour le sujet de Aaaah !, il faut savoir que j’ai deux enfants et à chaque fois qu’étant petits, je les récupérais de l’école, il y avait ce moment de libération où ils hurlaient pour un rien en relâchant leurs nerfs après s’être retenus toute la journée. Alors que les instituteurs nous disaient qu’ils étaient super gentils !
C’était aussi un exercice de style où je voyais cela un peu comme un module où, en fonction du budget qu’on allait avoir, j’allais pouvoir faire le film plus ou moins long. En écrivant le scénario, je pensais qu’il ferait sept minutes et, comme c’est un film qui s’est écrit à l’animatique, je me suis rendu compte que je voulais que les plans soient hyper courts. Le film fait finalement 4 minutes.
Il y a effectivement un rythme qui marche bien avec cette succession de vignettes où ça va très très vite, mais en même temps, le rythme devient aussi angoissant et frénétique.
O.C : Oui et c’est dû au fait que j’ai animé le film avec vingt-cinq images par seconde; c’est ce qui fait cette vibration quasiment explosive. Si on avait été à douze images par seconde, ça aurait été beaucoup plus lent et plus doux. Vingt-cinq images, ça a permis de donner de la nervosité à l’animation même si ça nous a ensuite pris quatre mois pour peindre toutes les images au lieu de deux (rires) ! Ce ne sont pas des choix de production anodins.
Dans la démarche, on retrouve cette liberté que tu avais pour Tête-à-tête. Est-ce qu’à l’époque c’était déjà un film que tu faisais sur papier, en contact avec tes images ?
O.C : Non, justement, Aaaah ! est mon seul film fait de cette façon. J’avais fait mon film de fin d’études à La Poudrière en cartes à gratter sur celluloïd, c’est la dernière fois que j’ai fait de l’animation en étant en contact direct. Ça m’a manqué cette approche car on réalise que toutes les images que l’on produit sont sur disque dur et que la fatigue n’est pas la même. J’avais avec moi deux animateurs que j’ai gardés pour toute la partie peinture et on a pu discuter comme des petites vieilles faisant du tricot avec nos pinceaux sur nos tables lumineuses, ça m’a fait énormément de bien et à eux aussi.
Comment as-tu fonctionné pour le son ?
O.C : J’ai demandé au preneur de son de venir avec moi dans l’école où il y a mes gamins et j’ai échangé avec le directeur qui avait une classe de CM2. On a passé la journée dans l’école, j’avais déjà l’animatique et des voix maquettes.
Vous n’avez pas donné de consignes aux enfants ?
O.C : Ah si, si ! J’ai inventé toutes les scènes en fait. Il y a des enfants que j’ai réellement fait courir, j’ai d’ailleurs pris toute une classe pour ça. Pour certaines scènes, on les a mis en situation, pour d’autres, j’ai juste pris des sons.
Je travaille avec une association qui fait de la pédagogie à l’image. Je suis donc venu une journée avant pour me présenter et faire une petite explication sur la manière dont se fait un film. Au début, j’ai hésité à prendre des voix dirigées pour leurs donner un côté davantage désincarné et plus basique. Ça marche un peu avec le film mais finalement, le fait d’avoir des vraies voix d’enfants donne tout de suite une fragilité et un aspect plus touchant aux personnages. Les voix maquettes avec mes enfants ont pu me faire réaliser la différence entre les deux. Je pense avoir fait le bon choix avec cette fragilité. C’est un film où j’ai pris la décision de faire des choix et de voir après avec ce qu’on avait.
C’était quoi le début, l’envie pour toi ? Comment es-tu venu au film d’animation ? Quand j’ai vu Aaaah ! j’ai pensé qu’il pouvait fonctionner en BD.
O.C : Au début, je pensais faire de l’illustration. J’ai choisi La Poudrière parce que je cherchais une école qui fait faire des exercices de narration. Je voulais raconter des histoires en faisant des images. Je me suis dit que c’était plus facile de revenir à l’illustration en ayant étudié l’animation que l’inverse, puis je me suis pris au jeu. Je me suis rendu compte de la complexité, des enjeux qu’il y a à raconter dans un film, de la difficulté mais surtout de la magie qui peut s’opérer dans cette dimension du temps que tu imposes au spectateur. Ça a ses inconvénients et ses avantages mais j’aime jouer avec ça.
L’animation m’intéressait depuis longtemps mais quand j’ai compris que c’était du travail à la chaîne, j’étais jeune et je voulais tout faire. J’avais de l’ego et je pensais pouvoir faire mes trucs de A à Z. C’est pour ça que je pensais faire de l’illustration. Puis, j’ai été un peu déçu de comprendre que l’illustration n’est pas aussi transversale que je pensais. Quand tu fais l’illustration d’une couverture de livre, tu ne rencontres pas forcément l’auteur. Puis, j’ai fait une année sabbatique pour préparer les concours et je me suis rendu compte que travailler seul, c’était dur. Le fait de pouvoir travailler avec des gens, sur chaque film, c’est super, j’apprends des choses encore. Ce serait un peu moins le cas si je bossais en illustration, même si tu peux te renouveler, approfondir ton style graphique. Essayer de retranscrire des rendus un peu illustrés en animation, c’est un peu plus long, mais c’est vers ça que je tends. La technique définit un peu plus un film qu’un livre.
Sur Aaaah !, tu tentes une nouvelle palette graphique, un style épuré. Tes films sont sur Internet, ce qui donne aux gens la possibilité de les voir et les revoir et donc de capter des choses différentes en fonction des visionnages. C’était quoi l’intérêt pour toi de mettre tes films en ligne ?
O. C : Pour qu’ils soient vus une fois qu’ils ont tourné. Je ne vais pas les mettre tout de suite, si jamais il y a une chaîne qui veut les pré-acheter, il ne faut pas décourager les gens. Il faut privilégier la salle au départ. Mais passé deux ans, il faut qu’ils soient vus. Et je n’ai aucun problème qu’on les voit en petit sur un téléphone. L’expérience en salles reste plus intéressante mais c’est autre chose. Les couleurs d’un iphone mettent en valeur les couleurs du film, ça ne me dérange pas.
Comment se passe ton travail en parallèle ? L’animation, c’est difficile d’en vivre.
O.C : C’est déjà plus facile qu’en BD. On a le statut d’intermittent. Je fais aussi des ateliers, de l’éducation à l’image. Je n’en fais pas énormément. Ça demande un investissement, c’est comme faire un mini-film en une semaine. Tu as une pression, il faut avoir un truc qui marche ! Si j’en faisais un par mois, je n’aurais plus la patience et puis, ce serait une routine. Là, ça m’aère un peu la pratique. J’enseigne pas mal à La Poudrière. J’interviens sur la mise en scène des projets, les films de fin d’étude et sur une résidence d’écriture de séries, je fais le lien entre l’écriture et le passage à l’image.
C’est quoi les éléments qu’il faut travailler, qui ont besoin d’être renforcés, quand on est étudiant en animation ?
O.C : À vrai dire, j’ai trouvé les films de cette promo très bons, bluffants. Je ne sais pas comment les étudiants vont évoluer, ils vont devenir techniciens, ils vont avoir du mal à accoucher d’un projet sans avoir le coup de bâton de l’école, sans cette stimulation. J’ai été vraiment impressionné. Ils avaient tous des raisons assez fortes de faire leurs films. C’est la raison pour laquelle tu fais des films qui est importante, j’ai mis du temps à le comprendre. Je n’ai jamais eu autant de mal à faire des films que quand je ne savais pas pourquoi je les faisais. Ca met tellement de temps à se monter un film, à se faire, que tu as intérêt à savoir pourquoi tu le fais. Comme ça tu as encore plus de chance de le faire !
On a eu l’occasion de mentionner l’idée du long-métrage. Comment te situes-tu par rapport à cela ?
OC : Oui, ça m’intrigue. Je me suis longtemps dit : “Pas le long pour le long”. En animation, tu peux plus vivre du court. Pour moi, ça reste le format roi parce que le plus indépendant. Personne n’attend de se faire du fric avec ton film donc tu peux faire ce que tu veux. C’est aussi là qu’il y a les formes de recherche et d’innovation les plus intéressantes, notamment par rapport aux contraintes économiques que tu n’as pas.
Plus ça va, plus je me rends compte que ça na va pas venir naturellement : un jour, une idée pour un long à venir. Si je veux le faire, il faut vraiment y réfléchir. Je me dis que peut-être on peut l’imaginer comme une fin en soi, mais doucement. Je me dis aussi que si je veux en faire un, ça va mettre cinq ans à se monter, deux ou trois ans à se fabriquer. J’ai plus de quarante ans… Si je veux en faire avant la retraite – bon je ne sais pas si je compte dessus…! Mais j’aimerais bien en faire un dans ma carrière. De toute façon, vu le temps que ça prendra, je ferai sûrement quelques courts entre-temps.
Propos recueillis par Katia Bayer
Retranscription : Agathe Arnaud