Glaçante, presque déserte, Churchill est une petite ville du nord du Canada aux abords de la baie d’Hudson. C’est ici que les ours polaires migrent chaque année en attendant que la banquise se forme.
Le film Churchill, Polar Bear Town de Annabelle Amoros, en lice pour le César du meilleur court documentaire 2023, débute par une interview, gros plan, cadre fixe. L’histoire est celle d’une attaque d’ours polaire. La survivante témoigne face caméra. Simplement, en laissant vivre le plan, la scène, le spectateur entre dans l’imaginaire de Churchill. Les ours sont présents, mais on ne les voit pas. Une équipe de tournage se déplace à Churchill et récolte plusieurs entretiens sur des histoires liées à ces attaques. Ce tournage suit le film en fil rouge. L’intrigue se construit sur cette fascination pour l’animal sauvage. Cette attraction dépasse les simples habitants de Churchill, l’ours polaire attire les touristes et les caméras.
Avec habilité, la réalisatrice laisse vivre le hors-champ, c’est à dire l’absence de l’ours. Les cadres sont larges et laissent percevoir la grandeur des espaces naturels de cette ville face à l’installation de l’homme. De ces lieux née une poésie solitaire et impassible. Dans le froid, se meuvent les quelques êtres vivants de Churchill, ceux qui ne sont pas ours. La réalisatrice filme cette ville telle une tentative de cohabitation. Il y a une langueur dans l’attachement de ces plans. Une lenteur qui nous immerge dans la ville jusqu’à apercevoir un centre de détention dédié aux ours. Ainsi, le premier et le dernier ours à apparaître à l’écran sont piégés et emprisonnés. Quant aux autres, filmés en liberté, ils sont admirés par des touristes aventureux ou alors mis en fuite par les patrouilleurs de la ville. La réalisatrice suit ces patrouilleurs. Depuis leur voiture, la caméra quadrille la ville. Leurs discussions : banales. L’intrigue : où est l’ours ? Dans la glace environnante, la caméra suit la traque de ces bêtes. Depuis la voiture ou l’hélicoptère omniprésent qui survole la ville, Churchill est en surveillance permanente. Puis, la nuit s’installe, celle du 31 octobre ? Où les ours viennent majoritairement en ville. À nouveau, la patrouille s’immisce dans le récit. Des paroles guident le cadre dans la nuit noire. Où sommes-nous ? Où sont-ils ? Une fois de plus, Annabelle Amoros joue sur le hors-champ et sur ce que l’on ne peut voir. L’humain est perdu, nous spectateurs aussi. Churchill, Polar Bear Town, est la fascination errante d’une ville à la périphérie du monde sauvage. La réalisatrice filme calmement la vie tout comme son absence. Cette langueur initiale se retrouve dans les scènes suivantes. La neige est hypnotique, tout comme l’atmosphère mise en place.
Finalement, le film questionne la place de l’Homme face à la nature. L’humain s’introduit sur des espaces naturels qui lui sont hostiles, et tente de conquérir chaque parcelle de terrain qui lui est possible. Qu’en est-il de la faune et de la flore ? Comment peuvent-elles cohabiter avec nous ? L’ours ne représente que cet espace naturel diminué au fur et à mesure que l’homme s’installe sur Terre. Cet ours représente le vivant que l’homme tente de capturer, d’enfermer et de restreindre. Quand tel n’est pas le cas, ce n’est autre que pour le fétichiser et créer la convoitise. Un habitant se déguise même en ours polaire telle une mascotte locale.
La vie à Churchill est paisible à en croire la scène finale de loto, mais l’instrumentalisation de cette chasse à l’ours est bien présente. Le film nous entraîne dans cette intrigue de la traque, une errance à travers ces espaces de solitude, des déambulations nocturnes, en quête d’histoires, d’animal, de vie …