Le réalisateur espagnol Albert Serra fait l’actualité avec son film Pacifiction qui nous emmène en Polynésie française dans lequel un haut-fonctionnaire, joué par Benoît Magimel, fait face à des rumeurs de reprise d’essais atomiques. Magnifique, le film est nommé aux César 2023, a été récompensé aux Prix Gaudi et aux Prix du Syndicat de la critique dans deux catégories (Prix du Meilleur film français et Prix singulier).
Par ailleurs, Albert Serra est juré du My French film festival, qui vise à promouvoir le cinéma français en mettant à disposition, grâce à une plateforme, des courts et longs-métrages français contemporains.
Format Court : Pourquoi avoir accepté d’être juré du My French Film Festival ?
Albert Serra : Je voulais être juré de ce festival en raison du respect que j’ai pour la France et le cinéma français. C’est hors de proportion avec ce qui se passe dans les autres pays du monde. Je vois la passion avec laquelle ce festival défend le cinéma français. Cette passion, c’est quelque chose qui me touche.
Avez-vous pu voir les films qui concourent au festival ? Qu’en avez-vous pensé ?
A.S : J’en avais vu quelques uns, mais très peu. Peut-être que, pour mon goût, c’est un peu superficiel. Je suis très obsédé par le côté artistique d’un film et là, ce sont des films qui sont faits pour le public, même, pour certains, pour le grand public et c’est quelque chose qui m’attire un peu moins. Ce sont les films d’une industrie raisonnable, qui ne prend pas beaucoup de risques.
C’est un festival qui cherche à mettre en valeur de jeunes réalisateurs et réalisatrices ; est-ce que vous portez un regard particulier sur la jeune génération de cinéastes ?
A.S : Moi, je pense que les gens aujourd’hui ont très peur de l’échec, plus qu’avant. Il faut qu’un premier film soit immédiatement un succès. Nous, on était plutôt dans le côté underground, on voulait être les plus radicaux, les plus inventifs et les plus choquants. Ça, ce sont des valeurs qui sont aujourd’hui un peu contradictoires avec le succès. Si tu proposes quelque chose qui est un peu inconnu, il n’est pas garanti que tout le monde va le comprendre et l’aimer.
Quel est votre rapport au court et au long-métrage ?
A.S : Mon rapport au cinéma, c’est le long-métrage. Je ne pense pas que les qualités que tu peux développer dans un court-métrage te permettront de développer un bon long-métrage. Ce sont des formats complètement différents et je ne vois pas vraiment le rapport. D’abord, dans un court-métrage, le côté narratif est nul ou devrait l’être, parce qu’en 15 minutes, on n’a pas le temps de développer quelque chose de façon sérieuse. Alors ça peut être des choses visuelles, mais je ne vois pas la compatibilité entre les deux formats.
J’ai commencé avec le numérique, vous savez, quand il y avait des toutes petites caméras. Avec le numérique, faire un court-métrage ou un long-métrage, ça coûte le même prix, si on le fait avec des amis ou des techniciens qui sont un peu généreux. Le coût principal, à l’époque, c’était le développement, la pellicule qui était très chère… Mais tout a changé avec la caméra numérique. Du coup, faire un court-métrage ou un long-métrage, c’est une question d’ambition.
Vous parlez de l’importance de la narration dans le long-métrage, mais, quand on regarde Pacifiction, on a le sentiment que ce n’est pas la seule chose qui vous intéresse…
A.S : Evidemment, je pense que le cinéma contemporain, et surtout le cinéma qui doit être vu sur grand écran, est la rencontre de sensations multiples, qui viennent du son, de l’image, du côté graphique, de l’atmosphère, du côté dramatique, narratif etc. C’est cela qui justifie l’expérience de le voir sur grand écran. C’est un exercice qui peut être un peu plus exigeant que ce que l’on peut trouver sur les plateformes.
Pacifiction a aujourd’hui beaucoup de succès. Qu’est-ce qui, d’après vous, a évolué entre vos débuts de réalisateur et maintenant ?
A.S : Je pense que c’est une évolution cohérente, c’est-à-dire que j’ai amélioré et raffiné des éléments qui, à l’origine étaient déjà là. Au début, c’était des gestes radicaux. Aujourd’hui, en gardant cet esprit, on arrive à le rendre plus sophistiqué, à l’intégrer dans des structures narratives. C’est plutôt une évolution formelle.
Quelle est votre actualité ?
A.S : Je tourne un documentaire. Le sujet est un peu polémique, c’est sur la corrida, sur le torero. Ce film, je le fais avec des toreros qui sont vraiment sérieux. C’est un moment difficile pour la corrida dont les valeurs sont différentes des valeurs contemporaines. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas de lancer une polémique, mais le côté spirituel du torero. Il y a quelque chose qui touche notre sensibilité. C’est un documentaire avec des réalités qui sont un peu violentes.
Avez-vous déjà une date de sortie ?
A.S : Je ne sais pas, parce que comme pour beaucoup de documentaires, la méthodologie change beaucoup. On est subordonné à la disponibilité des toreros.
Avez-vous aussi des projets de film de fiction ?
A.S : Je commence à penser à un autre projet. J’avais décidé, pour me lancer un défi à moi-même, de faire quelque chose en anglais, mais avec un petit budget, pas pour faire un film plus grand. Ce sera le même concept que ce que je faisais avant, mais en anglais. En revanche, je n’en connais pas encore le sujet : je dois encore chercher…
Propos recueillis par Julia Wahl
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