Des maisons de poupées grandeur nature glissent, comme posées sur d’imposants rails, dans un décor d’une neige presque trop propre pour être prise au sérieux. On comprend que nous sommes en Suède – grâce à la langue si on a l’oreille, et sinon grâce à une carte placardée dans une chambre d’enfants pour nous ôter de tous doutes -, et dans une ville minière grâce à une splendide succession de plans panoramiques sur celle-ci. Le tout est enrobé, dans ses pointes, d’une voix féminine qui chantonne la poésie d’une ville de vapeur. En dehors de quelques repères glanés dans ses cadres, Ovan Gruvan circule, d’un point de vue spectateur, en terres inconnues. C’est bien là la qualité fondamentale de ce petit film: s’en remettre entièrement à la curiosité et à l’attention de son spectateur, et à se défausser du directement narratif. Non pas parce que “ce que ça raconte” est accessoire (au contraire !), mais parce que le film se révèle tout entier dans ses formes.
Le point de départ est la ville de Kiruna, siège de l’une des plus grandes mines de fer du monde, située au nord-ouest de la Suède, et témoin de la catastrophe climatique en cours. Conséquence absurde de l’exploitation des sols, la ville et ses habitants, économiquement sous dépendance de la prospérité de la minière, sont contraints à être déplacés sous cause d’effondrement, de la façon la plus littérale qui soit: en plus de refonder les frontières de la ville à quelques kilomètres à l’ouest, plusieurs bâtisses sont elles aussi littéralement déplacées par convois exceptionnels. De là la trouvaille de ces maisons qui se déplacent seules, fantomatiques, comme dans un décor de Miyazaki. Ce que viennent corroborer d’autres aspects du film, tous pris dans cette tension entre éléments empreints de poésie et effroi légitime face à la destruction d’un monde. Sans perdre, jamais, de l’aspect inéluctablement comique des situations – et sans rentrer, non plus, dans une tendance d’un cinéma de création écolo-dystopique qui en oublierait son réel.
Ovan Gruvan matérialise une idée abstraite (le déplacement) en inscrivant systématiquement le déplacement dans ses images. Par cette ouverture, brillante, sur les lampadaires déracinés, dont l’écho se trouve dans les variations de lumières, celles naturelles qui signifient les déplacements du jour, et celles artificielles qui clignotent au rebord des fenêtres la nuit. Et surtout grâce à ses mouvements sonores, avec cette chanson qui ouvre et ferme le film, sa ligne de synthétiseur métalliques, les pas trop artificiels sur la neige et surtout le son burlesque avec laquelle une maison se déplace. Si cette expansion d’artifices peut parfois desservir un film d’une densité créative trop étouffante et austère pour ses douze minutes de temps en nous refusant un vrai accès au sensible, on ne peut s’empêcher de voir Ovan Gruvan autrement que comme un recueil de belles idées merveilleusement exécutées.
Ovan Gruvan est le premier film du duo d’auteurices Lova Karlsson et Théo Audoire, sélectionné en compétition nationale à Clermont-Ferrand. Le court-métrage est produit par le GREC, tremplin précieux pour la production de premiers films et pour accompagner la singularité de la création contemporaine.