Quand la mer quitte la terre, que font les hommes ?
La mer d’Aral, entre le Kazakhstan au nord et l’Ouzbékistan, est maintenant un désert ; le sable a remplacé l’eau. Les bateaux de pêche sont devenus des épaves et les filets se sont desséchés. Alors, que sont devenus les pêcheurs ?
Le court-métrage de Daniel Asadi Faezi et Mila Zhluktenko, Aralkum (co-produit par l’Allemagne et l’Ouzbékistan), sélectionné au FIPADOC, le Festival International du Documentaire qui a lieu en ce moment à Biarritz, convie dans cet univers désertifié et pourtant foisonnant en imaginaire. L’ouverture – un tableau en aquarelle d’un paysage asséché – nous invite à contempler le décor. Alors que nos yeux cherchent des vagues, du bleu, des animaux marins, ils se heurtent au beige du sable et aux poissons dans des bocaux. Avec la mer, la faune a, elle aussi, disparu. Seuls sont restés les hommes…
Le film déroute, joue entre les genres du documentaire : de l’éducation pédagogique sur les origines de la vie à l’élan lyrique en passant par le style naturaliste. Le sujet, la disparition de la mer, se dessine en creux. Semblant prendre pour thème central le vide, le documentaire trouble le spectateur qui ne saisit pas immédiatement de quoi il est exactement question. Comment faire quand le sujet du documentaire est absent ?
Aralkum pourrait être un film de deuil, il tient en son cœur l’absence de la mer et la peine de ceux qui l’ont connue. Les objets de la mer sont morts alors que les hommes vivent encore. Dans des plans immobiles, ils apparaissent avec toute leur sécheresse comme des cadavres figés dans le sable et dans le temps ; tandis que le vieux pêcheur marche sans but dans ses pensées. Comment parler à sa petite fille d’une mer qu’elle n’a pas connue, qui était pourtant là ? Le vieux pêcheur endeuillé contemple l’horizon d’un regard empli de souvenirs où les vagues apportaient richesses au village. Accompagné par le fantôme de la mer, il monte encore au-devant du bateau de pêche abandonné, rouillé par le temps, poli par le sable, oublié par les vivants. Le navire fantôme n’a pas perdu son capitaine qui nous rappelle le « tempestaire » d’Epstein. Le vieil homme de la mer a le pouvoir d’évoquer les vagues. Par son regard sur l’horizon, celles qui ont quitté la terre reviennent à reculons. Il est le conteur silencieux, celui qui par ses souvenirs du passé raconte la mémoire du lieu. Les réalisateurs donnent corps à une allégorie apocalyptique. En effet, si l’eau a quitté la mer, les oiseaux et les arbres ont fui, à quand la disparition de l’homme ?
This is the way the world ends
Not with a bang but a whimper.
T.S Eliot, The Hollow Men
Notre monde se termine, non pas dans un vacarme retentissant mais dans un murmure imperceptible. Fable sur le dérèglement climatique, Aralkum provoque une sourde inquiétude : notre environnement devient hostile. Appauvri de son système naturel, il est en déperdition. La désertification de la mer d’Aral est l’une des catastrophes environnementales les plus dévastatrices du XXème siècle. Les fleuves qui l’alimentaient sont détournés pour la culture intense du coton au début de l’ère soviétique. L’avidité capitaliste conduit tristement à l’appauvrissement de nos terres. Aralkum n’est pas dénonciateur, il interroge simplement : comment vivre dans un climat qui nous retire ce qui nous permet de vivre ? La dernière pêche de la mer d’Aral était bien maigre, un poisson à partager pour quatre familles. La faim résonne maintenant dans ce lieu où seul le vent chante en soulevant quelques grains de sable.