Lors de la 37ème édition du Festival de Brest, le jeune réalisateur Max Lesage a remporté le prix Bref Cinéma de la meilleure réalisation dans la catégorie « Compétition Bretagne ». À cette occasion, le lauréat s’est exprimé sur son parcours, son approche d’écriture et plus particulièrement sur son troisième court-métrage Titou pour lequel il a été primé. L’histoire tourne autour de Titou, un jeune homme plein d’ambitions qui souhaite réaliser des clips de rap. Il embarque son ami rappeur avec lui pour aller dans la maison de sa grand-mère, récemment décédée, afin de créer un morceau et d’en tourner le clip. À leur arrivée, les deux jeunes hommes découvrent que l’aide soignante de la défunte squatte la maison, une rencontre qui signe le début d’une suite de mésaventures qui vont perturber le tournage et mettre à l’épreuve le jeune réalisateur.
Format Court: Quel est ton parcours dans le cinéma ?
Max Lesage : Mon amour du cinéma a vraiment commencé quand j’étais au lycée. C’était un établissement qui proposait une option cinéma. C’était très chouette, on avait 8h de cinéma par semaine, on faisait des sorties à Cannes, à Belfort… Et on a fait des films aussi. C’est vraiment le début de tout, et comme j’étais aussi à l’internat, c’était très immersif. J’ai ensuite fait un an dans une école de cinéma mais ça ne m’a pas beaucoup plu car c’était très axé sur les aspects techniques et les cours sur la mise en scène étaient peu intéressants. Je pense que c’était une bonne formation pour être technicien mais ça ne me convenait pas.
C’est après que tu es parti au Sénégal ?
M.L: Oui exactement. J’étais entré en contact avec un anthropologue qui m’a ensuite proposé de le suivre au Sénégal dans le cadre d’une mission pour le CNRS; l’idée était d’aller faire des images des peuples nomades dans le désert du Ferlo. Finalement, ça n’a rien donné d’exploitable mais ça a été très formateur, ça m’a fait comprendre que l’école de cinéma n’était pas un passage obligatoire en vérité.
À quel moment t’es-tu familiarisé avec les aspects techniques du filmage ?
M.L: À vrai dire, je connaissais déjà la technique que j’avais apprise au lycée, et puis de manière générale, je suis plus concentré sur la mise en scène que là dessus, même si je connais les bases évidemment. Je ne me sentirais pas de tourner un film tout seul maintenant avec du gros matériel par exemple.
Pourtant, la photographie est remarquable dans Titou. Tu as travaillé seul ?
M.L: Non, j’ai travaillé avec Mathias Godron que j’ai rencontré à l’école de cinéma, je lui ai fait confiance parce qu’on savait déjà ce qu’on voulait à l’image, on avait beaucoup de références en commun pour ce projet. On avait en tête les films d’été de Éric Rohmer évidemment, et d’autres films comme ceux de Guillaume Brac par exemple.
Au-delà du film d’été, Titou représente principalement une mise en abîme du tournage et du travail artistique en général. Est-ce que tu as écrit le personnage du réalisateur comme un double de ta personne ?
M.L.: Au début ce n’était pas tant explicite, mais au fil du tournage c’est vraiment devenu mon double, c’est vrai. Son caractère n’est pas le mien bien sûr, je suis beaucoup moins colérique (rires) ! Mais il est vrai qu’on a tous vécu ces péripéties de tournage qui conduisent à des choses improvisées par la force des choses. Le plateau de cinéma, c’est un endroit où tout peut arriver et je trouvais que ca se prêtait particulièrement à la comédie.
Ce n’est pas la première fois que tu travailles avec ton frère. Comment est-ce de diriger quelqu’un avec qui on a une relation aussi intime dans la vraie vie ?
M.L: Je commence à avoir l’habitude parce que ça n’est pas le premier tournage qu’on fait ensemble (rires) ! Après le Sénégal, j’ai tourné avec lui un film expérimental en super 8 qui s’appelle Conatus. On a tourné dans une décharge sauvage située à 20km de Paris qui s’étale sur des milliers de kilomètres avec des montagnes de déchets en plein milieu de la nature, et bien sûr, tout ça est parfaitement illégal. J’ai tourné dans une décharge parce que je voulais parler d’un mec obnubilé par des images d’objets de surconsommation. Pour en revenir à mon frère, bien sûr, il y a parfois des aspects personnels qui ressortent. On se connait très bien, on connait les attentes et les réactions de l’autre. D’ailleurs, on trouve de plus en plus notre équilibre au fil des projets, ça va dans le bon sens.
Comment est-ce que tu écris tes projets ?
M.L.: Je n’ai pas de co-scénaristes. Je travaille surtout avec les retours des personnes à qui je demande un avis. Il ne faut pas non plus trop multiplier les opinions parce que ça peut finir par embrouiller plus qu’autre chose (rires) !
Penses-tu en premier les plans ou l’histoire ?
ML: Les deux vont ensemble je trouve. Il est vrai qu’un plan est souvent à l’origine du projet et à partir de là, le scénario se déroule autour et fait jaillir d’autres images ensuite. J’aime que les deux collaborent parce que sinon je trouve qu’on ressent au scénario que l’histoire prime au detriment du reste, et dans ces moments-là, le projet manquera très certainement d’images fortes.
Dans Titou, tu intègres beaucoup de codes de ta génération : les drones, les kebabs, le rap etc .. Est-ce par envie de filmer ce que tu connais, ce qui t’entoure ?
ML: C’est tout simplement des choses qui gravitent autour de l’univers du rap. Ce que je représente dans Titou est ce qui se passe vraiment dans les petites cessions studios. Le rappeur que Titou croise dans Paris, par exemple, est rappeur dans la vie. Il est arrivé avec l’attitude, le style et tout, on a commencé à filmer directement parce qu’il était déjà prêt (rires) ! Mais pour en revenir aux codes, il est evident que Titou est un film qui gravite autour de cet univers du rap mais en même temps, il a été très influencé par les duos iconiques du cinéma et de la littérature. Par exemple, je voyais dans ce duo quelque chose qui rappelait Don Quichotte et son écuyer. La relation entre les deux est très touchante, mais en même temps très conflictuelle. Le livre date du début du XVIIème, et pourtant c’est toujours une référence absolue en terme de duo, je trouve. Don Quichotte est un homme qui se rêve chevalier, Titou est semblable à lui car il aspire à avoir sa place dans le monde du rap et veut faire les choses en grand. Il rêve beaucoup et parfois n’arrive pas forcément à regarder la réalité en face. L’histoire de Titou n’est rien de plus, rien de moins que celle de deux losers qui veulent faire comme les rappeurs qu’ils trouvent très stylés. Ce qu’ils sont fait partie intégrante de la dimension comique pour moi, avant même les péripéties de l’histoire.
Quels sont tes projets futurs ?
ML: J’ai plusieurs projets en cours qui sont en attente car on cherche des financements. Je prépare un court-métrage que je vais tourner dans les Vosges prochainement, et un deuxième qui sera à Paris ou Strasbourg. J’ai aussi des longs qui sont écrits mais qui ne sont pas en état d’être tournés.
Tu te sentirais prêt à passer aux longs-métrages ?
ML: J’aimerais ! Mais au stade actuel, je ne pense pas que ça soit possible. Il faut encore quelques autres petits projets pour avoir des financements plus rapidement et passer plus vite dans les commissions. Mais si j’avais un financement demain, oui j’aimerais tourner un long. J’ai d’ailleurs un scénario que j’ai écrit en arrivant à Paris et que je n’ai pas cessé de retravailler depuis. L’histoire tourne autour d’un personnage jeune dont je me sens très proche, donc le projet me tient à coeur. Je pourrais faire un film personnel peut-être, mais à l’heure actuelle, je ne me sentirais pas capable de réaliser une grande commande sur un film historique ou quelque chose comme ça. De plus, faire une commande quand on est jeune, et pas encore très installé dans le milieu, revient à prendre le risque de se faire manger par les producteurs et de ne plus avoir l’occasion de proposer quelque chose de vraiment personnel.
Ton film a reçu le prix de Bref Cinéma ce qui le rendra disponible sur la plateforme. Il y a peu de plateformes qui mettent en avant les courts-métrages. Est-ce que ça pourrait évoluer selon toi ?
M.L.: Oui, c’est vrai que Bref cinéma est l’une des seules plateforme entièrement dédiéee au court métrage, il y a aussi Arte et Canal+ par exemple, mais ça reste restreint. Je pense que ça va se développer, le court métrage a pris un tel essor ces dernières années… Avant, ce format était principalement considéré comme un exercice. Même s’il y a de grands réalisateurs qui ont fait des courts métrages que j’adore, je pense que ça n’avait pas la même place qu’aujourd’hui.
Quels sont les trois films qui t’ont marqué et qui ont influencé ton cinéma, notamment pour Titou ?
ML: Alors, il y a L’épouvantail (1973) de Jerry Schatzberg avec Al Pacino qui livre une performance incroyable selon moi, Zabriskie Point (1970) d’Antonioni, un film sur l’Amérique et les hippies qui se passe dans le désert sur fond de pink floyd, et Punch-Drunk love (2001) de Paul Thomas Anderson.
Propos recueillis par Anouk Ait Ouadda