À l’occasion de la 37ème édition du Festival de Brest, Johanna Caraire, réalisatrice de Sardine, lauréat du Prix de la jeunesse, est revenue sur son parcours, ses débuts en réalisation et sur la conception de son premier court métrage. Le film raconte l’histoire de Eve, jeune trentenaire qui se rend sur l’ile-caillou de Lanzarote alors que s’y déroule un festival local : l’Enterrement de la Sardine. Eve essaye désespérément de devenir mère, mais sa paisible retraite, supposée lui donner l’occasion de méditer au sujet de sa situation, se transforme en vacances entre amies quand ses copines débarquent pour la rejoindre. Sardine est également diffusé ces jours-ci à Clermont-Ferrand, en compétition nationale.
Format Court : Comment es-tu passée à la réalisation ?
Johanna Caraire : Initialement, je travaille comme directrice artistique au FIFIB (Festival International du film Indépendant de Bordeaux) que Pauline Reiffers et moi-même avons fondé en 2012. Avant de me lancer dans ce domaine, j’avais l’habitude de réaliser des courts métrages en autoproduction avec des amies, mais nous le faisions avant tout pour nous. De plus, j’ai une formation en arts plastiques donc j’avais déjà un certain rapport à l’image, mais l’envie de raconter des histoires est venue très récemment. Je pense que ce désir est venu avec l’âge et les choses que j’ai vécues, il y a eu un moment de ma vie où j’ai eu une envie assez viscérale de raconter des histoires.
Comment est né le projet de Sardine ?
J.C : Au départ, je voulais tourner un documentaire sur mes amies. Mais quand j’ai commencé à filmer et à monter les images, je me suis rendu compte que je ne pourrai pas aller aussi loin que je le voulais avec elles. Je captais des moments où elles se montraient vulnérables, elle me confiaient des choses intimes sur leur rapport au corps, à la sexualité et j’ai eu peur qu’elles n’aient peut-être pas tout à fait conscience de ce que représentait la diffusion du film. J’ai donc préféré le fictionnaliser. La distance de la fiction m’a permis d’aller où je voulais.
Combien de temps à mis le projet pour prendre forme ?
J.C : De l’écriture à la présentation en salle, le projet a mis quatre ans à voir le jour. J’ai co-écrit le scénario avec Delphine Gleize. Ensuite, j’ai essayé pendant un moment de faire deux choses à la fois, mais ça a échoué parce je me suis retrouvée en définitif à faire les choses à moitié. Je faisais le montage du film un jour par semaine et je travaillais sur mes projets avec le FIFIB le reste du temps. Le problème est que je pensais en permanence au film, ça m’obsédait, et je n’arrivais pas à bien faire mon travail. D’un autre coté je n’avais pas non plus le temps de me consacrer pleinement au film, ce qui a ralenti le processus.
Est-ce que tu as travaillé avec un.e monteur.euse ?
J.C : Oui j’ai travaillé avec Dinah Ekchajzer, une monteuse formidable qui a amené les images d’archives qu’on voit au début et à la fin du film. C’est elle qui a eu l’idée de la légende qui n’était pas dans le scénario au départ. Initialement, je voulais filmer la fête du Lanzarote comme un documentaire, mais le Covid a contrecarré nos plans ! On a donc recréé le Festival de la Sardine mais malheureusement, on a été très limité dans la figuration à cause du couvre-feu. C’est pour ça qu’on a eu recours aux images d’archives pour que les spectateurs aient un aperçu de la fête en conditions réelles avec la foule qui la caractérise habituellement.
Quel est ton ressenti de cette première expérience en tant que réalisatrice ?
J.C : J’avoue m’être pris une petite claque (rires) ! Premièrement, je ne suis pas quelqu’un qui aime la technique. J’avais heureusement un super chef opérateur parce que je perds patience assez vite (rires) ! Il y a beaucoup de choses qui vont très lentement sur un plateau, et puis, il y a surtout beaucoup de gens ! Tout le monde vient te demander ton avis, tu te sens acculée de toutes parts ! Je me rends compte que je n’aime pas tant le principe du réalisateur tout puissant qui a le droit de vie et de mort sur tous. J’aime mieux m’entourer de gens compétents en qui je peux avoir confiance et qui travaillent de leur côté et me laissent surtout me concentrer sur la mise en scène.
Le projet était-il très écrit ou as-tu laissé de la place pour l’improvisation ?
J.C : Il y a certaines choses qui étaient très cadrées. Par exemple, j’avais déjà réfléchi aux lieux et aux costumes qui étaient très importants pour moi. Concernant le jeu des actrices, elle devaient s’en tenir au texte mais on discutait beaucoup ensemble et elles faisaient des propositions. Je laissais souvent la caméra tourner aussi, les filles continuaient de parler en improvisant et on voyait où ça menait. Là ou j’ai eu beaucoup de chance, c’est que les actrices se connaissaient et étaient amies dans la vraie vie, ce qui m’a permis de retrouver la complicité que je voulais capter au départ avec mes propres amies.
L’amitié entre femmes est-il un sujet qui t’intéresse particulièrement ?
J.C: Oui, beaucoup. Je trouve qu’en somme, il y a une sous-représentation de l’amitié féminine à l’âge adulte. C’est assez présent à l’adolescence mais ensuite, sauf quelques exceptions, le cinéma français est assez pauvre dans ce domaine-là. C’est toujours un peu cliché, et plus l’âge avance moins on en voit. L’amitié est un sujet très fort, pour moi, c’est la chose qui transcende tous les humains. On ne peut pas tellement échapper à la famille. Dans les rapports amoureux, on choisit mais on subit aussi, tandis que l’amitié est vraiment un endroit qui peut réparer les souffrances de ces autres rapports qui sont, d’une certaine manière, un peu des injonctions à être ensemble.
Pourquoi as-tu abordé la question des règles et de l’accouchement, et en avoir fait le sujet principal de Sardine ?
J.C: Les règles m’ont toujours beaucoup impressionnée, et cependant c’est un sujet encore assez tabou dans la société. Pourtant, les femmes en parlent normalement dans leur vie. Un jour, une de mes connaissances masculines m’a fait part de son choc après avoir vu du sang dans les toilettes, et je me suis demandé pourquoi ce genre de visions n’était pas plus représentées, comment ça pouvait encore surprendre. Ce qui m’interroge surtout, c’est que ça soit ce sang-là qui choque, alors qu’on baigne dans les représentations sanglantes ; dans les tableaux, dans tous les films… Personne n’est choqué de quelqu’un qui saigne du nez, mais le sang des règles est comme passé sous silence.
Pourquoi avoir employé la métaphore du volcan pour représenter les règles ?
J.C: Parce que je trouve ça d’une grande violence, en fait, d’avoir un vagin entre les jambes. La maternité et la fertilité sont toujours symbolisées par des fleurs et une nature verdoyante, mais pour moi, ce qu’elles représentent n’est pas forcément quelque chose de doux. C’est pour ça que j’ai eu envie d’aller sur cette île aride où rien ne pousse. Je voulais représenter la peur d’être stérile et en même temps la peur d’être enceinte. Parce qu’en fin de compte, aucun des deux ne va parfaitement de soi. Cela peut sembler paradoxal, mais je ne trouve pas du tout naturel le fait d’enfanter. Les femmes ont en elles une machine qui est aussi incroyable qu’elle est flippante. C’est pour ça que j’ai représenté la fertilité sous le signe de la violence. Selon moi, ces phénomènes sont plus de l’ordre du jaillissement que du miracle de mère nature.
Propos recueillis par Anouk Ait Ouadda