Jakub Gomółka est étudiant au département de réalisation de l’École nationale polonaise de cinéma de Lodz. Son court-métrage, Father.Son, est sélectionné dans la catégorie Jeune Création au FIPADOC 2023. On y rencontre Mariusz et son fils qui sortent tous deux de prison. C’est avec sincérité qu’il tente de montrer l’impact que le système carcéral porte sur leur vie, sur leur relation père-fils.
Format Court : Comment ton projet est-il né ?
Jakub Gomółka : Il est né en septembre 2020. J’ai vu une amie avec qui j’étudiais avant, elle avait un boulot à me proposer. On devait se rencontrer pour parler des détails et puis on a discuté un peu de nous et elle m’a raconté qu’elle travaillait dans un centre de réinsertion pour détenus et j’ai pensé : “c’est super, je cherche un sujet pour mon court-métrage”. Je lui ai demandé si je pouvais faire un film à propos de ce lieu. Deux mois après, j’ai visité pour la première fois le centre. J’ai fait de la documentation, j’ai parlé avec les anciens détenus là-bas. C’est un petit centre : deux étages, dix chambres, maximum 20 personnes à la fois. J’y suis revenu avec mon chef op et nous avons commencé à tourner immédiatement là-bas, 15 minutes après être arrivés. Je ne savais pas quoi faire, j’avais un peu peur des gars. C’est une peur normale, on est éduqué avec ces mythes comme quoi les détenus sont des tueurs, violeurs, etc. J’ai décidé qu’on devait commencer à tourner et que ça nous aiderait à les rencontrer, à les comprendre. Je me suis dit qu’il ne fallait pas démarrer par la conversation mais plutôt par des images. On y a passé une semaine la première fois, on devait y rester plus longtemps mais on n’était pas assez prêt pour cette expérience. On nous racontait beaucoup d’histoires terribles. On passait toute la journée avec eux, on dormait dans une chambre du centre et on n’avait plus accès à notre vie normale (la famille, les copines). On était constamment dans le centre. Après 6 ou 7 jours et un entretien très puissant avec le personnage principal du court-métrage, on était assis sur un canapé avec mon chef op et on a commencé à pleurer. On a eu besoin de rentrer chez nous, d’analyser ce qui s’était passé. Quand on y est retourné, on était plus préparé mentalement.
La première fois que tu es allé au centre, tu as expérimenté la vie là-bas et tu as filmé immédiatement ?
J.G. : On cherchait les personnages du film, il y avait 15 personnes dans le centre et chacun avait sa propre histoire. On devait décider d’une structure narrative : est-ce qu’on voulait parler de 5 personnes ou de manière plus classique d’un seul personnage ? Après avoir rencontré Mariusz, on a décidé de faire un film à propos de lui. Il nous a dit que son fils allait quitter une prison dans un mois et on a su que ce serait notre histoire, un père et un fils qui quittent la prison. Dans la première partie du court, il y a une scène dans la cuisine où ils se retrouvent après huit ans. J’ai aussi ce sentiment que Mariusz était très ouvert et qu’il nous permettait de rentrer dans sa vie. J’ai passé deux semaines avec Mariusz et son fils. Ils savaient qu’on faisait le film aussi pour eux. Ils nous ont permis de les approcher parce qu’ils savaient que nos intentions étaient bonnes.
Je ne savais pas que j’allais faire un film sur une relation père et fils. J’aurais refusé si quelqu’un m’avait demandé de filmer mes retrouvailles avec mon père huit ans plus tard ! Mais ils ont accepté. On a discuté de mes idées, de mes intentions. On a parlé de leur exclusion sociale et j’ai dit qu’avec ce court-métrage, je voulais leur donner une voix : “ce n’est pas seulement mon film, c’est aussi le vôtre”. Ils ont accepté autour de ce contrat, ils nous ont donné accès à leur vie.
Comment les as-tu approchés avec la caméra ?
J.G : C’était le résultat de notre travail sur la confiance. Je voulais montrer que le système en Pologne rend dépendant à la prison, il augmente la pauvreté. En prison, tu as un lit, tu as de la nourriture et tu sais ce qui t’attend le lendemain. En dehors, tu n’es plus sûr de rien. Quand tu viens de ce monde, tous les jours sont un combat. Parfois, la prison n’est pas trop mal pour eux, ils ont une vie normale avec des gens qui les comprennent.
Il y a deux sujets dans ton film : une relation entre un père et un fils et le centre pour anciens détenus. Comment as-tu trouvé l’équilibre entre les deux ?
J.G : Je n’avais pas de scénario pour ce film. Le film s’est écrit grâce à des conversations avec mes personnages : je leur disais ce dont j’avais besoin, ce que je voulais, et ils me disaient ce qu’ils imaginaient. Mariusz était très conscient des images qu’on avait tournées, il avait ce court métrage en tête même avant qu’on commence le tournage. Et c’était incroyable pour moi car on travaillait ensemble sur le même film, sur les mêmes matériaux.
Comment sentais-tu que c’était le moment de prendre la caméra et de filmer?
J.G : On a essayé de tourner de façon précise, pour utiliser la caméra juste au moment où ça nous sentait important. On a eu sept heures environ de rushs, ce qui n’est pas beaucoup. Au début on avait une sorte de scénario, on imaginait tourner par exemple une interview et dans ce cas là, on prendrait la caméra. On la sortait principalement lors des interviews, mais dans les moments d’observation, on avait peu d’images parce qu’on ne pensait pas que cela ferait partie du film. C’était une question d’intuition.
Quand on fait du documentaire, on cherche la vérité. Comment ton intuition, ta subjectivité, influe-t-elle au tournage?
J.G : Je pense que tout le monde a un point de vue sur quelque chose. Tous réalisateurs ont leur propre esthétique, leurs sujets de prédilection. Quand tu vas dans un endroit, tu sens dans ton corps ce qui te touche ou pas. C’est très important de raconter une histoire si tu l’aimes, si tu t’identifies aux personnages. À la première de mon film, une amie m’a dit qu’elle sentait que c’était mon film, elle l’a comparé à ma personne et elle a senti que j’en étais l’auteur. Je crois que c’est très important de trouver une relation entre son esprit et l’image à l’écran. Ça fait partie de cette vérité, de cette authenticité, le fait de tourner avec ses yeux.
As-tu choisi ce sujet parce qu’il te parlait ? Parce qu’il résonnait en toi ?
J.G : J’ai d’abord pensé que ce serait une bonne aventure d’aller dans le centre. Puis, quand j’ai rencontré ces anciens détenus, j’ai senti une résonance. Pour moi, ce film traite d’un combat quotidien, du fait de lutter tous les jours avec le monde autour de nous. J’ai pensé que c’était ma vie aussi, dans des conditions différentes.
Est-ce que tu as d’autres projets ?
J.G : En ce moment, j’essaye de travailler avec le matériel que je n’ai pas gardé pour le court-métrage. Je veux faire un film avec ce que j’ai tourné et des images d’archives. J’ai le sentiment que ça pourrait être un bon film. Je n’ai choisi pour Father.Son que des images avec Mariusz et son fils alors que les autres sont bien. Il y a d’autres bons personnages mais ce sera un film plus expérimental.
Pourquoi avoir choisi de conclure le film avec des images de prison?
J.G : Pendant tout le film, on est avec eux hors de la prison. Mais la prison est quelque chose de maudit, toujours en train de les attendre, même si elle est vide. C’est dans leur esprit.
Propos recueillis par Garance Alegria et Agathe Arnaud