À l’occasion de l’avant-première de Tout fout le camp à l’Étrange Festival 2022, Sébastien Betbeder revient sur la genèse de son nouveau long-métrage, sorti mi-septembre. Accompagné de son collègue et ami, le comédien Thomas Sciméca, ils évoquent ensemble leur complémentarité, mais aussi leurs tentatives dans le travail, l’élaboration des personnages et le « hors-cinéma » de Sciméca. Zoom sur le fonctionnement d’un binôme qui grandit ensemble de film en film.
Format Court : Qu’est-ce que cela vous fait que les spectateurs découvrent Tout fout le camp dans le cadre de l’Étrange Festival ?
Sébastien Betbeder : C’est sans doute le film qui se prêtait le plus au film de genre. Il y a un côté gore peut-être, dû à l’accident de voiture qui survient au premier tiers du film, il y a cette parenthèse assez surprenante où les personnages sont dans une sorte d’errance. Les films de genre sont des films qui sortent un peu des sentiers battus et c’est bien que la programmation de l’Etrange l’étende aussi à des films qui ne tombent pas dans le genre absolument.
En 2019, vous avez réalisé Jusqu’à l’os qui semble être un travail préparatoire de Tout fout le camp. Est-ce que ce court-métrage a encouragé le passage au long ?
S.B : Complètement. Le désir du film est né pendant le tournage de Jusqu’à l’os. Je me disais que j’avais envie de développer cette histoire avec ces personnages, de passer plus de temps avec eux. Il y a une phrase d’Usé (Nicolas Belvalette NDLR) dans Tout fout le camp qui dit : « J’avais pas envie que ça s’arrête, j’ai envie qu’on continue à être ensemble ». Donc voilà, je n’avais pas envie que ça s’arrête (rires) !
Dans votre filmographie, on peut voir que vous passez souvent par le court-métrage. Par exemple, il y a eu Inupiluk qui a donné plus tard Voyage au Groenland. Cela fait-il partie de votre processus de création ? Est-ce pour vous une façon de tester un sujet, de voir ce qu’il rend à l’image avant un passage éventuel au long ?
S.B : Pas toujours, mais dans le cas d’Inupiluk oui, c’est assez proche du rapport de Jusqu’à l’os à Tout fout le camp. Les deux courts-métrages sont des films qui n’étaient pas prémédités, ils se sont faits très vite, dans une impulsion assez immédiate. Dans le cas de Inupiluk, le frère de mon producteur, qui est explorateur et qui a invité deux de ses meilleurs amis inuits en France, m’a proposé de faire un film sur ce voyage. J’ai écrit en deux semaines, on a tourné et à la fin du projet, les deux inuits, Ole et Adam, ont proposé d’inverser la situation et c’est cette invitation au Groenland qui a déclenché l’idée de passer à l’acte et de fabriquer un long-métrage après. Pour Jusqu’à l’os, c’était un peu pareil : quand j’ai fait le court, je ne soupçonnais pas du tout que cela pouvait donner lieu à un long-métrage, ou plutôt qu’il y aurait cette suite. Quand la question s’est posée, il était évident de ne pas refaire Jusqu’à l’os en faisant Tout fout le camp, mais le défi était de présenter à nouveau ces personnages et de reprendre en l’espace d’un quart d’heure le récit de Jusqu’à l’os pour pouvoir continuer l’histoire et partir ailleurs ensuite. Je me suis dit : « les dix minutes de Tout fout le camp qui reprennent un peu le principe de Jusqu’à l’os, je vais les penser comme un remake du court ». Il y a un jeu intéressant à faire avec les différences entre le début de Tout fout le camp et celui de Jusqu’à l’os.
Et vous, Thomas Sciméca, quel est votre rapport au court-métrage ?
Thomas Sciméca : J’aime bien continuer à en faire parce que c’est un autre rythme, c’est l’occasion de tenter plus de choses. On a une forme de liberté un peu plus vaste, un peu plus grande que sur un long. On n’a pas la même pression non plus… Ça permet de faire des projets qui sont parfois complètement inattendus et qui ne peuvent pas forcément se développer en long, et puis c’est l’occasion de découvrir toujours de nouvelles cibles.
Ça vous arrive encore de recevoir des propositions de courts ? De la part de jeunes réalisateurs.trices en particulier ?
T.S : Oui ! Mais les gens ont tendance à m’appeler pour ce qu’ils connaissent déjà de moi. Les courts que je reçois sont souvent soit très burlesques soit très fantastiques… Cette liberté de ton dont je parlais fait qu’ils poussent le curseur encore plus loin avec moi en pensant que je ne sais faire que du burlesque. Au contraire, ils devraient avoir un imaginaire un peu plus fort que ce qu’ils ont pu voir, ce qui les empêcherait de sombrer parfois dans la facilité ou les stéréotypes.
Ça les rassure peut-être ?
T.S : Pourquoi pas, mais pour un acteur c’est lassant. J’ai déjà fait Inupiluk (rires) !
L’envie première de Jusqu’à l’os, c’était surtout d’approcher le personnage d’Usé et son parcours atypique (un chanteur indépendant qui s’est présenté aux élections municipales d’Amiens en 2014 NDLR) qui est déjà cinématographique à la base.
S.B : Je connaissais déjà sa musique et le parti qu’il avait créé (le Parti sans cible) mais je ne l’avais jamais vu sur scène et c’est en le voyant en concert que je me suis dit : « j’ai envie de filmer ce type ». Puis, je me suis rappelé toute cette histoire de campagne électorale, il m’est apparu alors évident et presque naturel qu’il y avaiit un film à faire ! Dans le même instant, j’ai aussi réalisé qu’il y avait une ressemblance, une certaine gémellité avec Thomas et j’ai pensé au duo comique qui pourrait naître de cette rencontre.
Dans votre cinéma, on retrouve justement cette dimension un peu artisanale. Lorsque le projet d’Inupiluk s’est présenté, vous l’avez saisi au vol et vous l’avez mené à bien rapidement en acceptant des conditions financières pouvant être parfois délicates. C’est ce qu’on retrouve dans Jusqu’à l’os et Tout fout le camp : avec peu de moyens, on arrive toujours à faire du cinéma.
S.B : C’est un film qui a été difficile à financer et qu’on a fait avec assez peu de moyens, mais c’était possible parce qu’il y avait cette foi dans l’esthétique du bricolage qu’appelait le projet. Au-delà du budget que j’ai réussi à réunir pour le film, c’est un projet qui a été rendu possible grâce à la confiance des comédiens et des collaborateurs avec qui j’ai travaillé, qui ont été prêts à partir dans ce genre d’aventure. Mais oui, c’est bricolé à plein d’endroits ! Même dans l’utilisation d’effets spéciaux, qui sont des effets spéciaux de tournage pour l’essentiel.
Dans la même veine, on sent également les influences d’un certain type de cinéma, plutôt anti-conformiste. Lors de cette errance des personnages en rase campagne et des rencontres qu’ils font, on peut songer aux Valseuses de Bertrand Blier.
S.B : Il y a clairement cette référence au cinéma des années 70-80, qui est un cinéma que moi, j’ai découvert à la télé. Je pensais beaucoup aux comédies avec Pierre Richard et Gérard Depardieu, qui ne font pas partie des références en terme de films art et essai mais je voulais retrouver ce plaisir que j’avais dans l’enfance face à ces films-là, avec des personnages marginaux, candides. On parlait pas mal de Rozier avec Thomas et, j’ai souvent pensé au personnage de Pierre Richard dans Les Naufragés de l’île de la Tortue, en le dirigeant.
Depuis le temps que vous travaillez ensemble, est-ce qu’il y aurait justement un personnage de « Thomas » qui serait un fil conducteur entre Inupiluk, Voyage au Groenland, Jusqu’à l’os et Tout fout le camp ?
S.B : En soi, on a fait deux courts ensemble qui était liés au Voyage au Groenland donc c’était un peu normal de continuer ce personnage-là et après… Oui, c’est un motif d’engueulade entre nous (rires) ! Thomas me disait : « pourquoi tu continues d’appeler mon personnage Thomas ? ». En fait, il y a un rapport au réel qui est très prégnant dans l’écriture de Tout fout le camp et Jusqu’à l’os, ne serait-ce que par l’expérience d’Usé qui joue son propre rôle. Pour Thomas, je souhaitais qu’il vienne avec ce que je connais de lui et de notre relation amicale. Le fait qu’on se connaisse bien permet d’aller assez loin dans le travail, parce que Thomas me laisse aussi utiliser des choses de lui qui sont presque hors-cinéma mais qui au final font complètement partie de son travail de comédien.
T.S : Finalement, c’est pas mal. Dans Voyage au Groenland, il fallait apporter de la confusion ; ici, ce n’était pas le cas alors je me demandais pourquoi on continue à appeler le personnage Thomas.
S.B : Par rapport au personnage de Voyage au Groenland et Inupiluk, c’est un personnage qui a beaucoup grandi, qui se pose d’autres questions. Moi j’ai grandi, Thomas a grandi et j’aime bien l’idée qu’on grandisse ensemble.
Vous avez un peu le même fonctionnement qu’une troupe de théâtre, en quelque sorte.
S.B : Oui, il y a un peu de ça ! Après, moi j’adore retravailler avec des comédiens et tu gagnes quand même énormément de temps. C’est passionnant de grandir ensemble mais aussi de pouvoir essayer de nouvelles choses quand on en a tenté avant à d’autres endroits. Ça permet d’aller ailleurs… Et je ne travaille pas de la même manière avec Thomas qu’avec un comédien que j’ai rencontré trois semaines avant le début du tournage. C’est un peu pareil avec une équipe technique aussi, il y a des raccourcis qu’on s’autorise à prendre.
Thomas, Jonathan Capdevielle, Vincent Macaigne, Marc Fraize… La plupart des comédiens avec lesquels vous travaillez viennent du théâtre essentiellement. Pourquoi ?
S.B : Je vais très souvent au théâtre. Le spectacle vivant en général me fascine et je fais très souvent appel à des comédiens qui ont cette expérience du théâtre et qui sont assez à l’aise pour passer d’un territoire à l’autre. Je ne sais pour quelle raison j’en viens à les choisir, mais il y a chez eux quelque chose qui m’attire, qui me porte aussi.
Et vous, Thomas, la réalisation ne vous a jamais attiré ?
T.S : Si, bien sûr. J’ai même deux histoires qui sont en cours d’écriture mais je ne trouve pas toujours le temps de les finaliser. Comme j’écris déjà dans les Chiens de Navarre, certains m’ont encouragé à pousser un peu plus loin. J’ai une comédie sentimentale en cours d’écriture et une autre histoire que j’ai tiré d’un spectacle que j’ai mis en scène au Conservatoire.
Sébastien, vous venez aussi de réaliser un court-métrage, Planète triste.
S.B : Oui. C’est drôle mais c’est aussi un film qui n’était pas vraiment prévu, c’était une invitation venant du cinéma Le Luxy à Ivry, de la Mairie et du Lycée Romain Rolland. On peut même dire qu’il y a des liens avec Tout fout le camp dans le sens où les lycéens jouent leur propre rôle dans le film, comme Usé. J’aime bien cette collision entre la fiction et le réel. Ce que ça permet, ce que ça produit. C’est un film que j’ai eu beaucoup de plaisir à faire.
Il tranche avec le reste de votre production, mais on retrouve cet intérêt pour la comédie de situation. Vous êtes parti des élèves pour écrire le film ?
S.B : Le film était assez écrit à l’origine mais il y a eu évidemment la rencontre avec les lycéens qui a bousculé mes certitudes ! Il y a eu tout un travail préparatoire de discussions avec eux, durant lequel je leur demandais de me raconter leurs vies, leurs aspirations, leurs doutes, leurs craintes quant à l’avenir. Toutes ces réflexions, je les ai intégrées à l’histoire de Planète triste.
C’est un projet que vous auriez envie de pousser un peu plus à l’avenir ?
S.B : J’aime beaucoup l’idée de ce personnage (Grégoire Tachnakian) qui réalise des courts-métrages et qui tend vers le long-métrage sans jamais y parvenir. Ça m’intéresse assez de le faire revenir dans un autre format que le court-métrage, pourquoi pas. Là, je viens de tourner un moyen-métrage qui est une sorte de miroir un peu déformé de Planète triste où le personnage principal s’appelle Mimi (le film s’intitulera Mimi de Douarnenez) et est une jeune fille qui travaille dans un cinéma d’art et d’essai. Le film raconte le moment où elle reçoit un réalisateur qui vient présenter son film et les moments qu’ils vont passer ensemble : de son arrivée dans la ville en fin d’après-midi, la soirée jusqu’au petit matin. C’est encore une fois un moyen-métrage qui parle du cinéma et qui met en son coeur un personnage qui est réalisateur.
Propos recueillis par Augustin Passard