Quelques semaines après la rentrée scolaire, sort ce 28 septembre La Cour des miracles de Carine May et Hakim Zouhani, produit et distribué par Haut et Court. Présenté en sélection officielle à Cannes 2022, ce deuxième long métrage du duo de réalisateurs succède à Rue des Cités sélectionné à l’ACID en 2011.
La Cour des miracles, c’est l’histoire de l’école primaire Jacques Prévert, située en Seine Saint Denis. L’avenir de cet établissement est menacé par la sortie de terre d’un nouveau quartier « bobo-écolo » et de l’école qui va avec, qui viendrait « concurrencer » celle de Zahia, la directrice de l’école Jacques Prevert, interprétée par Rachida Brakni. Elle est confrontée aux classes qui ferment, à la volonté des parents d’élèves de mettre leurs enfants dans cette nouvelle école qui va ouvrir, aux enseignants qui fuient, à la hiérarchie qui ne l’appuie pas et qui ne va pas dans son sens.
Pour lutter, Zahia, en quête de mixité sociale, aidée de Marion (interprétée par Anaïde Rozam que l’on verra dans le prochain Roschdy Zem, Les Miens, présenté à Venise cette année), une jeune institutrice qui débarque en région parisienne venu du Puy De Dôme, va créer la première école verte de banlieue. Mais ce ne sera pas sans problèmes car Zahia et Marion vont se heurter aux parents d’élèves et aux doutes de l’équipe pédagogique.
Le duo May-Zouhani a entamé son parcours cinématographique directement par un long-métrage Rue des Cités. Auto-produit, le récit de ce premier film oscillait entre fiction et documentaire. Présenté à l’ACID en 2011, le film se focalisait sur Aubervilliers. Cette ville qui les as vus se consacrer au cinéma était montrée en noir et blanc, devenant le théâtre de la déambulation des deux personnages principaux, Adilse et Mimid, interprétés par Tarek Aggoun et Mourad Boudaoud partis à la recherche du grand-père du premier qui s’est évaporé et dont personne ne semble savoir où il est passé. On suivait à travers leur parcours la vie de leur famille et de leur quartier. Des interviews d’habitants, des poèmes slamés sur la ville d’Aubervilliers venaient s’intercaler entre les différentes séquences.
Le décor du film, la ville, devenait un personnage à part entière, voire le personnage principal tant elle était présente, enveloppant les personnages. On retrouve ce même procédé dans La Cour des miracles. C’est presque l’école qui devient le personnage principal du film. Cette école qui devient de plus en plus verte, de plus en plus attractive au fil du récit et qui finira de nous charmer lors d’une fête de fin d’année annonçant le programme de la rentrée suivante. Ce principe les deux réalisateurs y tiennent. Ils soulignent qu’une de leurs réflexions est de filmer « les espaces, la répartition des gens sur le territoire ».
Dix ans séparent les deux longs-métrages Rue des Cités et La Cour des miracles. Durant cette décennie, le duo aura réalisé quatre courts-métrages : trois à deux et un, Molii, réalisé en compagnie de Mourad Boudaoud et Yassine Qnia, qui mettait en scène Steve Tientcheu en veilleur de nuit de la piscine d’Aubervilliers qui se faisait surprendre et chahuter par des enfants qui s’étaient laissés enfermer dans l’établissement.
En 2013, dans le court-métrage La Virée à Paname, un jeune homme oscillait entre son quartier de banlieue et Paris. Voulant suivre un atelier d’écriture à la capitale, il rentrait finalement chez lui, préférant s’inspirer des échanges de ses amis au kebab, beaucoup plus riches pour ses écrits. On sentait déjà émaner de ces deux premières œuvres une volonté de donner un regard poétique sur la banlieue. Leur court suivant, Pièce rapportée (2016), nous projetait dans un futur pas si lointain, en 2050, où un homme sortant de prison se voyait confronter à un produit de la modernité : un robot-humanoïde à son image, venu pour le remplacer. Dernier court réalisé par le duo, Master of the Classe, racontait avec douceur et humour, la première inspection qu’allait subir un jeune enseignant. Ce court-métrage annonçait déjà une volonté de raconter autrement la banlieue et l’école.
Pour La Cour des miracles qui fait l’actualité ce mercredi, il aura aussi fallu reconstituer un collectif. Pour cela, les deux réalisateurs ont réuni un casting hétéroclite, des acteurs d’horizons différents, pour raconter qu’une école, une équipe pédagogique, reste peut-être l’un des derniers endroits, comme l’explique Carine May où les enseignants « se retrouvent à travailler ensemble sans vraiment s’être choisis ».
Font partie de ce casting : Rachida Brakni et Anaide Rozam donc mais aussi le rappeur Disiz jouant Fabrice qui, dans une délicieuse mise en abîme, interprète un rappeur ayant abandonné le rap pour devenir instituteur, Mourad Bouadaoud, collaborateur de longue date du tandem May-Zouhani, présent dans Rue des Cités et dans La Virée à Paname (et que l’on verra dans le prochain Gondry). Sebastien Chassagne qui jouait déjà l’enseignant dans Master of the Classe. Ils sont rejoint par Raphaël Quenard (Les Mauvais garçons, Fragile, La Troisième guerre, Coupez !, …) qui s’improvise instituteur-spécialiste en arts martiaux, Yann Papin joue un professeur à tendance dépressive, Leonie Simaga campe, elle, une institutrice plus conservatrice et sur la réserve quant au virage pris par sa directrice. Et enfin Gilbert Melki, que l’on retrouve ici dans le rôle d’un ancien cadre que rien n’amenait de prime abord vers l’enseignement. À travers ce casting et ce film, Carine May et Hakim Zouhani poursuivent leur collaboration avec leur famille artistique qu’ils se sont créés au fil des années tout en s’entourant de nouveaux venus.
Avant de faire du cinéma, Carine May était professeur des écoles et Hakim Zouhani animait des ateliers autour du cinéma à l’OMJA (Organisation en Mouvement des Jeunesses d’Aubervilliers). Avec La Cour des miracles, ils montrent qu’une autre façon d’enseigner est possible, qu’une autre façon de voir et filmer la banlieue l’est également. Parlant de sujets de société sans tomber dans le bon sentiment, cette comédie sensible et engagée sur l’école, généreuse et plaisante, nous amène vers un récit touchant et drôle. Avec légèreté et sensibilité, Carine May et Hakim Zouhani confirme ce qu’ils avaient initié dans La Virée à Paname et leur autres courts-métrages : montrer un regard sensible et poétique sur notre société actuelle.