Parmi les films de la Cinef, la section dédiée aux films d’écoles, figurait cette année, une jolie animation : Spring Roll Dream. Sa réalisatrice, Mai Vu est vietnamienne, son producteur, Thijme Grol, est hollandais. Tous deux se sont rencontrés il y a un moment à Londres, à l’école, à la NFTS (National Film and Television School), et ont travaillé ensemble sur ce projet parlant de nourriture, de transmission et de non-dits. À Cannes, le film a reçu des mains de Kate Winslet le prix « Lights on Women », créé il y a deux ans par L’Oréal en vue de valoriser le court-métrage d’une réalisatrice en compétition.
Format Court : Comment vous êtes-vous rencontrés tous les deux ?
Mai Vu : À l’école ! Ce film, c’est notre film de diplôme. C’est un travail d’équipe !
Pourquoi avoir avez voulu entrer à la NFTS ?
M.V : Je travaillais dans l’animation et la stop motion depuis un moment, au Vietnam. Après un certain temps, j’ai eu l’impression de faire du sur-place et j’ai voulu explorer l’aspect narratif. C’est pourquoi j’ai cherché un lieu où étudier et j’ai trouvé la National Film and Television School (NFTS), l’endroit parfait !
Pour combiner la narration et l’animation ?
M.V : Oui. C’est aussi l’environnement qui m’a plu. On est encouragé à travailler en équipe. On ne fait pas juste des films personnels, on créé ensemble. Pour moi, faire des films, c’est un travail collectif. Chacun donne de lui-même dans le projet et j’aime ce processus.
Thijme Grol : Oui, moi je viens des Pays-Bas, j’ai étudié à la Netherland Film Academy (NFA) à Amsterdam où j’avais déjà produit des projets d’animation. J’adore vraiment l’animation. J’ai produit plutôt des projets de stop-motion et de 3D. Par la suite, j’ai eu envie d’aller en Angleterre où on trouve plus d’animations, et aussi afin d’être plus proche et plus connecté avec les Etats-Unis.
Comment ça se passe pour la production d’animation ? Cela prend plus de temps, coûte plus d’argent…
T.G. : Oui, je le vis comme une montagne russe où il y a des étapes longues et des sprints. Je préfère quand c’est long car s’il y a un problème on a le temps de le résoudre. Et j’adore aussi l’artisanat (rires) !
M.V : Thijme est très bon pour l’artisanat. C’est un peu comme un talent caché. Parfois sur le décor, il arrive qu’on ait besoin de quelque chose rapidement comme une chaise, par exemple. Mais il n’y a personne car c’est une école de cinéma et on n’a pas assez de gens. On fait la plupart des choses par nous-même même s’il y a plein de départements à l’école. J’en parle alors à Thijme : « Peux-tu faire ceci ? ». Je pars peut-être une heure et il revient avec des chaises très bien faites. C’est le meilleur producteur, il me soutient tellement !
Tu as travaillé sur des séries au Vietnam. Qu’as-tu appris de cette expérience ?
M.V : Oui c’est un autre format. J’ai animé des séries, le procédé est similaire mais différent. J’ai appris à faire des films vers mes 19 ans en autodidacte, sur Internet. J’ai commencé à rencontrer des gens qui faisaient la même chose que moi et on a décidé de faire une série. Deux de mes amis qui créaient des personnages m’ont demandé de rejoindre l’équipe et de réaliser. On a appris comme ça, en faisant. Le flux de travail était énorme. On écrivait le scénario nous-même, on a dû apprendre à être spontané et créatif sur le tournage, c’était amusant !
Spring Roll Dream parle de double identité, de double culture. Quelle a été ton inspiration ?
M.V : Mon inspiration vient de ma famille : j’ai une sœur aux Etats-Unis. Je me suis posée cette question secrète sur ce qu’elle n’aime pas de la culture vietnamienne et sur son départ. Même si le film ne parle pas totalement de ça, je trouvais important de me poser cette question. Dans quelle mesure on grandit avec nos parents, dans quelle mesure ils vivent en nous aujourd’hui ?
Personnellement, en grandissant, il y avait des périodes où j’ai essayé de séparer mon identité de celle de mes parents. En vieillissant, j’ai trouvé une partie d’eux en moi, j’ai alors décidé de respecter mon héritage.
Quel est le pouvoir de la nourriture dans ce court-métrage?
T.G : Le poulet est pour nous une métaphore de notre manière de vivre sa culture. D’abord, les pattes du poulet se cachent de la protagoniste, puis elles sont libres, et elle est libre de revenir à sa culture.
M.V : On voulait travailler avec la nourriture car dans la culture asiatique, les gens sont moins susceptibles de dire « je t’aime », les parents expriment moins leurs sentiments avec les mots. La nourriture y est très forte : elle symbolise une connexion, et l’amour pour les enfants et la famille. C’est aussi universel. L’image finale du garçon qui est enveloppé par la nourriture signifie qu’il est entouré par l’amour de sa famille.
À l’école, Mai, tu as choisi la stop motion comme type d’animation. Quelles qualités associes-tu à ce type d’animation ?
M.V : À l’école, j’ai appris différents types d’animation. Pour moi, il y a des émotions dans la stop motion qui ne peuvent pas être remplacées par d’autres techniques. Je trouve que ça fonctionne parfaitement bien pour l’histoire, lorsque par exemple on fabrique les personnages et qu’on décide de créer une texture pour le grand-père en lui donnant un aspect légèrement rugueux, ça lui donne plus de chaleur. On peut sentir la touche artistique sur le personnage. Il dégage soudainement plus d’émotions. On n’a pas à en faire plus, on a juste à mettre la camera devant la marionnette. C’est le pouvoir de la stop motion : sentir à travers la texture ! Grâce aux marionnettes, on peut exprimer des choses qui ne se disent pas avec les mots. D’ailleurs, on a gardé très peu de dialogues.
Spring Roll Dream est votre film de fin d’études. Comment envisagez-vous la suite ?
M.V : On pensait déjà à notre projet suivant. Le prix qu’on a reçu avec L’Oréal (Lights on Women) était tellement inattendu qu’il nous a donné du courage.
T.G : Ce prix est un honneur. Quand tu débutes, tu as besoin d’argent pour vivre et le logement est cher à Londres. Mai va pouvoir faire quelque chose de nouveau, elle va pouvoir vraiment se concentrer sur un prochain film et son développement. Elle n’aura pas à penser travailler tout de suite quelque part pour payer son loyer, elle pourra se concentrer sur la création.
Penses-tu que ce projet sera un court ?
M.V : Je pensais faire un documentaire sur les immigrants vietnamiens au Royaume-Uni. Une des raisons pour lesquelles je voudrais raconter cette histoire, c’est que je viens du Vietnam mais je venue en avion jusqu’au Royaume-Uni et j’ai étudié dans la meilleure école. La plupart des gens ont dû faire tellement de sacrifices pour venir en Europe, ils voyagent dangereusement, ils laissent leurs familles derrière eux, ils ne peuvent pas revenir. C’est quelque chose auquel je pense pour mon futur projet et j’ai vraiment envie d’explorer l’aspect narratif d’un tel sujet.
Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Laure Dion