Elle a débuté dans L’Enfant des Dardenne. Premier rôle, premier Cannes. Déborah François, jurée au festival Le Court en dit long à Paris, raconte son apprentissage sur le plateau des frères, ce qui l’intéresse chez les acteurs. Comédienne, elle vient de passer à la réalisation avec son premier court, Mouton noir, conçu dans le cadre des Talents Adami (cherchant à valoriser des jeunes comédiens entre 18 et 30 ans). Son film a été diffusé à Cannes avec ceux d’autres comédiens passés à la réalisation spécialement pour ce projet : Aïssa Maïga, Pascale Arbillot et Raphaël Personnaz. Rencontre au café du coin, en mode pluvieux, avant la remise des prix du Court en dit long.
Format Court : L’Enfant des Frères Dardenne est ton premier projet, tu n’as jamais tourné dans un court-métrage. En termes de jeu, est-ce que ce passage par le court a pu te manquer dans ton parcours ou bien, suite à L’Enfant, ça ne t’a jamais été proposé ou intéressée ?
Déborah François : Je pense que c’est un peu des deux. On m’en a proposé très peu par rapport à d’autres comédiens, et au début de ma carrière presque pas. L’effet “film des Frères Dardenne” a sans doute compté effectivement. Les quelques fois où j’ai pu dire oui à des courts, je ne pouvais pas les faires parce que j’étais en tournage en même temps ou bien parce que ça ne s’est finalement pas fait.
Tu es venue assez rapidement à Paris mais tu es belge. Pourtant les réalisateurs belges ne font pas forcément appel à toi. Est-ce que cela te manque ? Est-ce que ton premier film a été ton unique expérience en Belgique ?
D.F : Non ! Après mon premier film j’ai tourné Les Fourmis rouges de Stephan Carpiaux mais aussi My Queen Karo, un film avec Dorothée Van Den Berghe, en Belgique. En fait, on a fait appel à moi mais petit à petit. J’ai l’impression d’avoir fait un chemin inverse car c’est avec le temps que l’on a su que j’étais belge. Pendant longtemps il y avait marqué : “comédienne française née en Belgique” sur Allociné ! En réalité, ça ne me gêne pas trop car cette histoire de nationalité, ça ne me touche pas beaucoup, je ne suis pas vexée si on me dit que je suis une actrice française car on me voit dans des films français. Les gens qui sont dans le métier pourraient être informés là-dessus mais finalement, pour ceux qui voient les films et le public, une comédienne est une comédienne. Ca me semble bien de privilégier les gens qui sont chez nous. C’est ce qui permet à autant de comédiens belges, d’au final se faire remarquer, de travailler en Belgique comme en France et, si ce n’est pas le cas, de travailler au moins en Belgique. Peut-être qu’il y a aussi une crainte financière. Il y a cette idée, quelque part, que les Cécile de France, Marie Gillain, même moi et plein d’autres comédiennes, devraient coûter beaucoup parce qu’elles sont en France, alors que les comédiens n’ont pas tous le même cachet et que celui-ci ne dépend pas d’où ils vivent mais de ce qu’ils ont fait.
Pour autant, est-ce que tu serais sensible à l’idée qu’un jeune auteur fasse appel à toi ? Est-ce que tu peux trouver le temps nécessaire pour jouer dans un court-métrage en soutenant aussi les premiers pas des réalisateurs ?
D.F : Oui, bien sûr ! Ça dépend du scénario et du projet. Souvent, je me dis que l’erreur qu’on peut faire dans les premiers courts-métrages ou les premiers films, c’est de ne pas consacrer assez de temps à l’écriture. On a tellement envie d’être sur le tournage, de le faire, qu’on se dit que ce n’est pas grave alors que si, en vrai c’est grave (rires) ! Par contre, il m’est arrivé plein de fois de faire des premiers films. Cet été, je repars faire un premier film, un premier long d’une réalisatrice qui a déjà fait plusieurs courts-métrages.
Ça fait bientôt 20 ans que tu travailles, tu viens de passer à la réalisation avec ton court Mouton noir mis en place avec l’Adami. Te souviens-tu des conseils qu’ont pu te donner les frères Dardenne, en termes de jeu, de placement précis par rapport à la caméra ? Est-ce qu’il y avait plutôt une part d’improvisation ?
D.F : Ce n’est pas de l’improvisation, c’est beaucoup des répétitions où l’on peut chercher en étant libre de nos mouvements naturels. Une fois que cela est décidé, c’est vraiment de la précision à refaire des gestes jusqu’à que cela soit parfait tout en gardant cette fraîcheur pendant des dizaines de prises. C’est vraiment un mélange des deux, en deux temps.
Tu as l’impression que ça a été un bon apprentissage pour la suite ?
D.F : C’était incroyable ! On n’apprend jamais autant la patience, la précision, la minutie avec le fait que nos gestes doivent être toujours les mêmes, puisque l’on a des rendez-vous avec la caméra. C’est une chorégraphie entre les acteurs et la caméra malgré tout. C’est la meilleure des écoles, après ça on n’a plus jamais peur de faire un plan-séquence ou beaucoup de prises. Ne pas être précis dans les gestes que l’on fait, ne pas faire de bons raccords, on n’en a pas le droit. C’est les règles d’un naturalisme ultra travaillé, il n’y a pas meilleur entraînement.
Est-ce que tu as partagé cette expérience avec les comédiennes qui ont travaillé avec eux ?
D.F : Avec Émilie (Dequenne), on n’a jamais vraiment parlé de la manière dont leurs tournages se passaient mais je sais qu’on se reconnait car il y a quelque chose de commun, et peut-être qu’ils nous ont choisies car on avait cela en commun, j’imagine… C’est des petits échanges de regards où l’on se dit : “Tiens, ça c’est les frères”. On sait qu’on sait. C’est l’école Dardenne, l’exigence tout en restant toujours très bienveillant pour l’être humain bien sûr, sinon on ne suivrait pas les frères.
Quand tu regardes un film d’un regard critique, te focalises-tu sur le travail des comédiens ou essayes-tu de prendre de la distance ?
D.F : Si je ne crois pas aux comédiens, ça me bloque complètement et je suis incapable de passer au-delà. Il faut que je puisse croire que c’est la vraie vie, en me disant que cette personne existe, aussi bizarre soit-elle. Si je me dis que cette personne n’existe pas ou qu’elle est en train de me mentir, c’est impossible pour moi. Ca peut tout autant être une personne qui provoque un réel choc à travers un show dans lequel je rentre, me retrouvant emportée par l’interprétation parce que c’est du cinéma tel The Greatest Showman. Sur La La Land, on ne se dit pas que les gens vont se mettre à faire des claquettes, mais on se retrouve emporté par l’entertainment et le show proposé. Si je vois les artifices et la personne en train de me vendre ce qu’elle n’est pas, ça me gâche toute l’histoire car je ne peux plus en être touchée. Tout d’un coup, ça devient un comédien qui joue quelque chose et ça m’indiffère totalement, ce n’est plus la vraie vie.
Comment Mouton noir s’est mis en place avec Adami ? Est-ce toi qui leur a suggéré ce passage à la réalisation ? Quels ont été les défis de ce projet ?
D.F : Ce n’est pas l’Adami qui a fait appel à moi, mais la production De l’Autre Côté du Périph’ (DACP). Tout était un défi, tout ce que je n’avais jamais fait, c’est-à-dire l’avant et l’après-tournage. Il me fallait être à la hauteur et je me suis mis moi-même une petite pression car personne ne m’a appris la réalisation et j’ai dû déduire ce qu’il fallait faire. J’ai vu des films et j’ai vu des gens faire des films.
Certaines personnes diront que c’est la meilleure des écoles et que tu n’as pas besoin de faire la Fémis ou l’IAD pour apprendre à tourner ou à jouer…
D.F : C’est comme dans tout, je pense, Il y a des gens qui sont naturellement doués pour faire des trucs et ça se voit, ils sont très jeunes et ils font des choses incroyables. À côté, il y a ceux qui peuvent arriver, avec beaucoup de travail, à faire des super trucs. Pour moi, c’est soit une question de don soit de travail, voire des deux.
Est-ce qu’avec les autres comédiens de la collection Adami, vous avez pu échanger sur la manière dont vous avez travaillé ? Est-ce que la pandémie vous a posé des difficultés à ce niveau ? Et est-ce que, dans l’absolu, tu as envie de continuer de faire des films ?
D.F : C’était après la pandémie mais on a quand même eu peur d’avoir des gros problèmes. Heureusement, on en a été un peu épargné. Avant ça, on était chacun dans notre coin sur d’autres tournages donc on n’a pas pu échanger. C’est à Cannes qu’on s’est retrouvé pour parler un peu, j’en avais un peu discuté avant avec Aïssa car on se connaît dans la vie, mais ça a eu lieu après pour les autres. On a tous vécu ça de manière très différente des tournages, même pour ce qui est de la préparation et de la post-production. Et oui, j’ai carrément envie de continuer !
Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Eliott Witterkerth