Sacré personnage, dynamique et riant tout le temps, Valerio Ferrara a remporté à 26 ans le Premier Prix de la Cinef avec son film de fin d’études Il Barbiere Complottista, une comédie sur le complotisme incarnée par un barbier parano. Le jour même de la remise des prix, il est revenu sur son parcours, son intérêt pour le travail d’équipe, l’instinct, le casting sauvage et Marco Bellocchio.
Format Court : Tu as fini il y a 2 mois tes études à Rome, au Centro sperimentale di cinematografia. Qu’y as-tu appris ?
Valerio Ferrara : L’école a été très importante pour moi. C’est un lieu de travail à l’image de l’industrie du cinéma. À l’université, on fait parfois des choses sans comprendre, qui n’ont pas de sens. Ici, on créé ensemble, on forme une équipe, on travaille sur la même idée. Cela m’a aidé durant mes trois années à l’école : créer une équipe et travailler avec elle. On se connait très bien, on se voit tous les jours, on est six par classe. C’est l’atout majeur de l’école : les relations humaines à travers la création d’une équipe. On a évidemment une approche pratique. On étudie le cinéma dans une école où il y a eu Roberto Rossellini ou encore Marco Bellocchio.
Quand on arrive à l’école, les professeurs nous montrent les meilleures productions qui en sont sorties. Fulvio Risuleo était notre référence. En arrivant, on a regardé ses deux films Lievito Madre (3ème Prix à la Cinéfondation 2014) et Varicella (sélectionné à la Semaine de la Critique 2015). J’ai vraiment aimé ses films, son approche. Je l’ai rencontré il y a peut-être deux mois. Il m’a beaucoup parlé de l’expérience de Cannes et c’est important, je pense. Il a peut-être 8 ans de plus que moi, il a beaucoup d’expérience, il en est à son troisième film.
Dans Il Barbiere Complottista, tu abordes la paranoïa, l’obsession. On en parle ?
V.F. : Le film traite de la théorie du complot. On a créé des nouvelles théories car on ne voulait pas porter le poids de théories déjà existantes, on préférait faire quelque chose d’universel. On voulait que le public ressente de l’empathie envers le héros conspirationniste. C’était la difficulté. Si nous avions commencé à partir d’une réelle théorie, vous auriez peut-être été très loin du vrai sujet. Nous avons donc imaginé une histoire autour de lampadaires clignotants, source de théories invraisemblables.
Tu dis « nous », il s’agit de l’équipe ?
V.F. : Oui l’équipe, comme je disais, ce que j’ai appris à l’école, c’est le fait de travailler tous ensemble. C’est quelque chose qu’on a expérimenté durant le travail et le tournage. On est allé à des manifestations de conspirationnistes à Rome, c’était très intéressant.
Pour toi, c’était important d’observer et de rencontrer de vrais conspirationnistes pour alimenter et enrichir ton scénario ?
V.F. : Oui, pour écrire de la comédie, il faut commencer à partir de la réalité. Je suis allé au commissariat pour observer ce qui s’y passait car on créé de la fiction à partir de la réalité. L’inspecteur que j’ai rencontré m’a tout raconté, tu peux être enfermé le soir, tu ne pas voir ta famille, subir un interrogatoire. Pour rendre l’interprétation crédible, j’ai besoin de comprendre tout le fonctionnement et d’avoir le maximum d’informations possibles.
Connaissais-tu tes acteurs avant qu’ils ne jouent pour toi ?
V.F. : Lucio Patanè, l’acteur principal, je l’ai rencontré à l’université. Je faisais un stage sur un tournage. Il était acteur, moi j’étais très discret, une sorte de fantôme qui n’existe pas réellement. Je me souviens que Lucio m’a vu, m’a remarqué. Il a ce visage typique des « gens normaux ». C’est typiquement l’homme qu’on rencontre au supermarché, au métro, au cinéma, au camping.
C’est important de s’identifier au personnage ?
V.F. : Exactement. J’ai fait aussi du casting sauvage. J’ai vu un des acteurs dans le rétroviseur de ma moto. J’étais devant lui et j’ai fait marche arrière pour me mettre devant lui. Il a cru que j’essayais de lui voler sa montre (rires) ! J’ai dû crier : « Non, non s’il vous plait, je veux faire un casting avec vous car vous avez le visage typique du romain ». Il m’a dit : « Mais je viens de Sardaigne » avec un accent romain, ce qui était étrange ! Je lui ai dit que je m’en fichais, on a fait le casting et c’était le bon.
On a discuté avec des membres du jury qui sont très curieux de voir ce que certains réalisateurs de la sélection vont faire par la suite. Comment considères-tu ce Premier Prix de la Cinef ? Penses-tu que tu feras d’autres court-métrages ?
V.F. : J’ai commencé ce travail car je veux faire des films. Je savais que les court-métrages étaient la première étape en quelque sorte. Je pense que c’est une obligation de passer par là et que tous les gens qui veulent réaliser des films doivent en faire. C’est un moyen de prouver ce que tu es capable de faire, comme par exemple travailler avec les acteurs. Je veux vraiment faire des long-métrages. Je ne veux pas trop réfléchir, je veux juste essayer. Il y a beaucoup de pression pour les longs-métrages mais aussi pour les courts : on veut juste s’amuser et raconter des histoires sur notre génération, sur ce qu’on voit. Pour le moment, je ne pense pas beaucoup à ça, c’est instinctif. Je veux juste raconter des histoires, et je pense que je dois suivre mon instinct.
Quelle est la chose principale que tu as apprise sur ce film ?
V.F. : Comment fonctionne un gros film. Sur ce court-métrage, on avait 19 acteurs dont un enfant. On avait environ 10 à 12 lieux de tournages et 4 semaines de pré-production.
Tu nous as parlé des photos de ces grands réalisateurs à l’entrée de ton école. As-tu eu un mentor ou des conseils délivrés par un professionnel ?
V.F. : Marco Bellocchio m’a donné beaucoup d’énergie. Il a cette école Fondazione Fare Cinema à Bobbio dans le nord-ouest de l’Italie. Ils sélectionnent 15 réalisateurs qui le suivent dans ses courts-métrages. En gros, on l’observe dans l’écriture et sur le tournage, on nous attribue différentes tâches. J’ai été chanceux car on m’a choisi pour être proche de lui. Puis, il y a eu le confinement qui m’a donné beaucoup d’énergie. J’ai eu le temps pour me retrouver avec moi-même, lire, .… On a eu aussi d’importantes réunions sur Zoom avec des réalisateurs qui avaient pour le coup plus de temps que d’habitude et qui m’ont beaucoup apporté. C’est à ce moment que j’ai écrit un message au producteur de Marco en lui demandant : « J’ai tout l’été de libre, je peux vous aider gratuitement ? ». Il a répondu : « Non pas gratuitement, viens et tu seras l’assistant de Marco ». J’ai dit : « Pourquoi pas ? » (Rires)
Ça a été mon énergie car quand j’étais là, il faisait le montage du court-métrage qu’on avait fait l’année dernière. Il faisait la pré-production de son film Marx peut attendre, il travaillait sur sa série, … Moi, j’ai 26 ans et je suis une merde à côté de lui, je perds mon temps. À mon âge, il avait déjà fait tout ce qu’un réalisateur peut faire (rires) !
Quelle est la valeur, la qualité des court-métrages pour toi ?
V.F. : Je crois vraiment aux court-métrages. Ils permettent de partager des choses rapidement, les gens peuvent en regarder partout, c’est plus accessible et c’est vraiment démocratique : chacun peut s’exprimer à travers un court-métrage. Je pense donc qu’il est très important d’en faire un pour un réalisateur.
Le registre comique/tragi-comique est très intéressant dans ton travail, est-ce quelque chose que tu vas continuer à creuser ?
V.F. : J’ai grandi avec les comédies italiennes, j’en regarde depuis que j’ai 11 ans. C’est quelque chose que j’ai en moi je pense, j’appréhende certaines scènes à travers cette approche comique. J’aime vraiment notre histoire du cinéma portée par Vittorio De Sica, Federico Fellini, tout ce monde-là. Leurs films sont accessibles. C’est quelque chose d’important pour moi. On ne doit pas faire un film juste pour son ego de réalisateur ou juste pour faire un film, non. Un film est quelque chose qui doit rester en mémoire.
Propos recueillis par Katia Bayer en collaboration avec Anne-Sophie Bertrand. Retranscription : Laure Dion
Article associé : la critique du film