Dans une esthétique très poussée, Story Chen reprend à son compte le genre post-apocalyptique en suivant l’itinérance d’une jeune femme dans une ville dévastée par la montée des eaux. Un parcours entre rêve et réalité version 2050, Palme d’or à Cannes 2022.
Suite à la chute d’un astéroïde dans l’océan pacifique, le niveau de la mer monte drastiquement et entraine des tsunamis à répétitions. Les habitants des côtes chinoises ont rejoint le centre du pays tandis que certains, par choix ou par ignorance, restent exposés à la catastrophe. Parmi eux, une jeune femme : Nian.
Allégorie flagrante des conséquences de notre réchauffement climatique, Story Chen transpose les raisons d’une hausse brutale du niveau de la mer pour questionner davantage les impacts sociologiques qui pourrait avoir lieu en cas d’effondrement.
Au coeur de cette ville aux allures de ville fantôme, toutes les dynamiques se croisent sans forcément se rencontrer. Des retardataires qui réunissent dans l’urgence leurs affaires jusqu’à ceux qui, s’avouant condamnés, préfèrent passer le reste de leur temps à festoyer dans l’euphorie de groupe et l’alcool ; de son côté, la jeune Nian décide de retrouver son ami d’enfance pour un dernier adieu.
Dans ce quotidien post-apocalyptique où on vole les informations aux détours de conversations, le film met en lumière la contradiction entre ceux qui partent et ceux qui restent. Cette co-présence de deux générations, de deux mentalités (les « pour », les « contre ») est toujours symptomatique des grands bouleversements. La confusion règne et chacun trouve sa vérité là où il le peut. Les vieux qui ont leur vie derrière eux face à la jeunesse qui continue d’avoir foi en son avenir malgré la désolation ; comme Tian, jeune peintre, qui trouve son inspiration en réalisant des croquis de bâtiments délabrés.
Mais quelque chose retient Nian. Une part d’elle semble ne pas vouloir prendre en compte les facteurs qui l’environnent, mais l’utilisation des plans larges n’a de cesse de la ramener à son contexte. À l’abri ou exposée, elle semble toujours en décalage entre les réponses qu’elle vient chercher et le cadre hostile qui est le sien. Dans une forme de résistance passive, elle semble vouloir tenir tête aux éléments.
Chantiers interrompus, appartements déserts, infrastructures croulantes… La civilisation disparaît pendant que la nature dans toute son âpreté reprend ses droits et nous rappelle combien elle peut être inhospitalière. Prise dans ce compte à rebours, Nian tente de recoller les morceaux dans cet espace-temps où les souvenirs ont disparu et le futur n’a plus sa place.
Son amitié vouée à l’échec avec le jeune Tian ne fait que renforcer la dimension fatidique de la nature sur notre humaine condition. Cette différence d’échelle remet les enjeux humains à leur juste place, infiniment petits et vains, comparés aux conséquences démesurées du macrocosme qui nous entoure. Mère Nature ne fait que rappeler que c’est elle qui aura le dernier mot.
Ainsi, la quête de la jeune Nian laisse place au désoeuvrement, les tons bleutés envahissent progressivement l’image, annonçant la catastrophe à venir. Le décorum de cette société à l’arrêt, où Dieu aurait fait comme « pause », un sentiment de déjà-vu nous traverse et peuvent faire songer aux images glaçantes de Tchernobyl après l’explosion. Ces quartiers et ces immeubles soudainement dépeuplés où on voyait le café encore fumant, montre la réaction quasi instinctive des êtres humains face à une catastrophe de grande échelle : la fuite et le chacun pour soi.
Dans ce face-à-face avec le néant, quand l’espoir laisse place au regret, le rêve et l’imagination prennent le relais. Nageuse depuis l’enfance, Nian rejoint les baigneurs qui attendent l’ultime vague, renvoyant ainsi à la scène d’ouverture avec ces invocations qui égrènent les chapelets du Sort : « What next for them now ? »
Augustin Passard