Un film de famille fait en famille
Cristèle Alves Meira revient de son petit village portugais avec un film de famille bouleversant. Son premier long-métrage Alma Viva, sélectionné en compétition à la Semaine de la Critique au festival de Cannes, raconte l’histoire d’une famille d’un village du Nord-Est du Portugal traversée par le deuil. La grand-mère, sorcière du village, meurt dans son sommeil aux côtés de sa petite-fille qui vit sa peine avec intensité et solitude, puis le fantôme rôde dans le village et cristallise autour de lui la douleur et la colère de la famille. La petite-fille, qui apprenait avec sa grand-mère à communiquer avec les morts, possède les mêmes dons et devra à son tour porter la charge des passeuses dans l’au-delà. S’abat alors sur elle tous les ressentiments du village sur sa grand-mère, personnage singulier, femme forte et indépendante, effrayante et aimée. Alma Viva traite du sort réservé aux femmes seules dans un Portugal que la réalisatrice décrit sans concession.
Ce premier long est le portrait d’un pays encore très habité par la superstition et très abîmé par la crise, mais Cristèle Alves Meira s’éloigne du réalisme naturaliste et de son habituel misérabilisme. Son film se défait des catégories de genre – il n’est pas fantastique ni social, ou il est des deux. Grâce au regard sincère que pose la réalisatrice sur ce village, il aboutit à un récit nuancé et une image magnifiée et naturelle.
Cristèle Alves Meira filmait déjà ce lieu familier pour la réalisatrice franco-portugaise dans Invisivel Heroi, un court-métrage qui avait été sélectionné à la Semaine de la Critique en 2019. On retrouve dans son long-métrage la qualité qui fait de cette réalisatrice une autrice au travail intéressant : Cristèle Alves Meira pose un regard tendre et familier sur ce qu’elle filme, sa famille, son pays, sa fille. Elle parvient à créer avec son sujet une étonnante intimité qu’elle transmet chaleureusement à son public. La réalisatrice choisit de jouer avec des professionnels et des non-professionnels et la direction d’acteur est très impressionnante. Parce qu’elle a décidé de faire ce film en communauté, avec sa famille et une équipe technique qu’elle connaissait déjà bien, Alma Viva est un film de famille surtout fait en famille.
Sa mise en scène, sobre, précise et surtout sensible, plonge le spectateur dans le deuil avec la jeune fille. L’image parvient à l’intimité de ses personnages et des lieux sans en forcer le passage par une brillante maîtrise des paysages et des portraits. C’est surtout le portrait de Lua Michel qui émeut : jeune actrice au grand talent et surtout fille de Cristèle Alves Meira, elle crée un personnage vibrant qui touche son public par sa sincérité. Dans Tchau Tchau, son précédent court-métrage, la réalisatrice filmait déjà sa fille dans un film qui lui-aussi racontait le deuil d’une famille mais en temps de Covid (dans un entretien avec Format Court, elle raconte d’ailleurs son passage du court au long).
Alma Viva réchauffe le cœur et fait froid dans le dos. C’est un film avec des fantômes, des rituels de sorcière, des scènes de possession. C’est aussi un film de famille, glaçant dans ce qu’il dépeint des relations humaines parce que le deuil est pénible. Il révèle le pire en l’humain, la douleur, la colère. Mais, par la force d’amour de la petite-fille, la famille résiste contre vents et marées et dans la pénibilité trouve son harmonie. Au travers de son deuil, on assiste aux déchirements d’une fratrie qui subit la haine d’un village ravagé par la crise. D’un point de vue subjectif très discret, le film se construit dans ce regard d’enfant. Deux yeux féroces comme candides observent le monde des adultes par le judas de la porte avant de se porter vers ciel qui soutient son regard dans un dernier plan majestueux.
Article associé : l‘interview de la réalisatrice