Carlos Segundo est cinéaste, scénariste producteur et professeur de cinéma au nord-est du Brésil, dans la ville de Natal. Il a réalisé Sideral, un court-métrage génial, co-produit par Les Valseurs, qui faisait partie de la sélection officielle de Cannes 2021 et qui pourrait bien se retrouver aux prochains Oscars. Le film a obtenu le prix du scénario à notre Festival Format Court en novembre passé. Il raconte avec humour l’histoire d’une mère de famille, femme de ménage de son état, cherchant un autre avenir et une place dans l’espace.
Par bonne chance, le réalisateur était de passage à Paris la semaine passée et a pu présenter son film lors de la diffusion de notre palmarès au Studio des Ursulines (Paris, 5ème). L’occasion était trouvée pour parler avec lui de créativité, des femmes, du Brésil et d’universalisme.
Format Court : Sideral comporte des choix esthétiques forts comme le noir et blanc et la mise en scène. À quoi ressemblait le film au départ et comment as-tu écrit ce projet ?
Carlos Segundo : J’aime beaucoup penser mon cinéma comme du cinéma d’auteur, donc j’aime beaucoup contrôler les deux principaux axes de réalisation que sont le scénario et la mise en scène. Je pars d’une idée, d’une situation avec ces éléments, et je commence à penser aux possibles schémas que je vais parcourir. Au début, je ne sais pas vraiment quel chemin aboutira, alors c’est un petit peu chaotique lors de l’écriture. À partir du moment où je trouve les personnages et les autres éléments qui vont définir ce schéma, je peux penser en même temps la forme du film et sa narration. C’est pour cela que Sideral est différent, par exemple, de mon long-métrage Fendas. J’utilise le format de cadre 4/3 qui enferme davantage les personnages et le noir et blanc pour penser la symbolique entre les femmes et les hommes. C’est un autre type de relation à l’image et non une écriture classique d’un scénario puis de l’image.
Est-ce que le film pourrait avoir une dimension autobiographique qui passerait par le personnage de Felipe, le petit garçon ?
C.S. : C’est possible ! Après la première séance du film, je me suis demandé d’où venait cette histoire et je me suis rendu compte que ma mère avait en réalité fait les mêmes mouvements. Elle vivait au Brésil, elle a déménagé en Angleterre il y a 20 ans avec moi et est sortie de relations très violentes symboliquement. Il y a donc bien quelque chose d’autobiographique mais plus du côté de la mère que du garçon. Je crois beaucoup dans cette relation entre le passé et le présent de la pensée créative, on ne peut pas vraiment capturer ce qui émerge de notre inconscient. L’histoire de ma mère, c’est l’histoire de cette femme dans la fusée.
Tu es de São Paulo mais tu vis à Natal, là où se passe également l’intrigue du film et où se trouve une base aérospatiale. Est-ce que l’idée du film était aussi de jouer le jeu d’une dimension historique ou bien au contraire c’était simplement un procédé narratif fictionnel ?
C.S. : La base de Natal existe toujours, on l’utilise pour faire des lancements de petites fusées. C’est une ville qui a accueilli beaucoup de Nord-Américains car elle servait de base pendant la Seconde Guerre mondiale. Il y a une atmosphère à la fois très riche et sèche parce qu’on parle d’une région très particulière du Brésil du point de vue du climat, de sa nature. Travailler ce film-là, dans ce territoire-là, c’était pour moi très important car cette relation familiale mais aussi de travail est totalement différente avec São Paulo, par exemple. Cette histoire spécifique ne pourrait donc pas être la même ailleurs.
Tu es aussi professeur de cinéma à Natal. Comment transmettre aux étudiants la place et l’importance du court-métrage avec ton regard ?
C.S. : Je pense que le court-métrage n’est pas un escalier pour le long-métrage, tout comme les contes et les romans : il a ses propres valeurs. C’est ainsi que j’essaye de transmettre ses valeurs aux étudiants. Le Brésil a connu un moment très, très délicat il y a au moins cinq ans. Il n’y avait pas de ressources ni de fonds pour le long-métrage et pour le court-métrage, il était quasiment impossible d’avoir d’aides du gouvernement…
Comment faire dans ces cas-là ? Se tourner vers des co-producteurs étrangers ?
C.S. : Travailler avec les co-producteurs étrangers oui, mais avec créativité. Si on avait fait Sideral aux États-Unis, on aurait utilisé des effets et filmé réellement une fusée en train de décoller alors qu’on cherche plutôt des façons différentes de créer un monde narratif et de travailler l’imagination du public, s’intéresser à l’absence plus qu’à la présence. Et cette absence est aussi dans le scénario : l’absence de la femme peut faire toute la différence dans le monde des hommes. Dans mes quatre films précédents, je travaille cet univers féminin que j’aime beaucoup.
Il y a différentes manières de penser la co-production. La première c’est d’avoir un peu plus d’argent pour faire le film en ouvrant en même temps un nouvel espace de distribution, et nous sommes là grâce à ça. La deuxième, c’est justement d’apporter différents regards et points de vue, spécialement avec Justin (Pechberty) et Damien (Megherbi), des Valseurs, qui travaillent avec beaucoup de réalisateurs et réalisatrices. À plusieurs, on cherche, regarde, filme, décale, choisit, supprime. Le travail de montage, de finalisation, qu’on fait ensemble marche très bien et m’aide beaucoup a penser à l’universalisation du film.
Tes projets, From Time to Time, I Burn et Subcutâneo présentent, comme Sideral et Fendas, la même particularité de suivre un personnage central féminin solitaire dans son quotidien. Est-ce une volonté d’émanciper le regard sur ces femmes qu’on ne voit pas ?
C.S. : J’aime beaucoup chercher une puissance dans l’ordinaire de la vie. Tous les personnages de ces différents films vivent une vie très ordinaire : une femme faisant des épilations, une professeure de physique quantique, une autre qui fait de la photo mais n’est pas une grande artiste… Quand on a un personnage ordinaire, simple, s’il a quelque chose de puissant pour le public, c’est plus fort, parce qu’on n’imagine pas qu’il y a de la poésie et de la folie en lui. J’aime trouver la limite entre les possibles et l’impossible de la vie autour de ces personnages. L’univers féminin est un univers vraiment riche et en même temps j’essaye d’apprendre. Je suis un homme cis, hétérosexuel, donc j’essaye d’apprendre sur cet univers en ouvrant la possibilité d’un dialogue entre mon univers masculin et le féminin. Toute ma vie, j’ai été entouré de femmes, avec ma mère, ma grand-mère, mes deux sœurs, un père totalement absent et un grand-père que je ne connais pas. Il y a quelque chose qui traverse ma vie et c’est totalement parti de ces rencontres. J’ai été avec cette famille féminine pendant toute ma vie, c’est comme ça…
Sideral est une intrigue simple mais possède une part de fantastique, avec cette fusée dans laquelle on projette des choses. Raconter des histoires, toutes différentes, chez toi, c’est quelque chose qui te semble important ?
C.S. : Les films sont différents mais leur essence est simple. Je ne sais plus quel l’écrivain brésilien a dit : « Avant de transformer le monde, on doit d’abord nettoyer notre chambre ». Le cinéma, particulièrement au Brésil, a longtemps été un art très cher dont seuls les riches pouvaient faire partie. En ce moment, il y a beaucoup de réalisateurs – dont je fais partie – qui viennent de la périphérie et qui aimeraient s’exprimer. Je pense que c’est un moment très spécial au Brésil. Malgré cette période politique, il y a une puissance, une énergie qui pense pour les femmes, les hommes, les personnes trans, gays, et noires. C’est le moment de parler de notre territoire mais de le faire aussi en universalisant, parce que l’histoire humaine se croise toujours. Sideral est un film particulier mais dans son essence, il peut toucher quelqu’un en Turquie, en Syrie, etc. Il y a dedans quelque chose d’universel mais avec un point de vue brésilien. En même temps que je pense à l’histoire, à la narration brésilienne, j’aime penser la manière dont elle peut être en connexion avec le monde. En ce moment, je travaille au Brésil car il y a beaucoup d’histoires à raconter dans notre pays.
Tes œuvres présentent souvent un rythme prenant le temps de s’installer, avec peu de mouvements de caméra et de plans. Dans cette industrie où tout doit aller vite, surtout dans le court-métrage où il « faut » être efficace, d’où cela te vient-il ?
C.S. : Dans le court-métrage, normalement, il y a beaucoup de choses qui arrivent dans un petit espace, c’est pour ça qu’on a besoin de trouver l’essence du film. Je vois parfois des films qui essayent de parler de plusieurs choses et qui se perdent complètement dans cette essence. Si on trouve le sens, on peut travailler davantage l’action, la narration et les plans. On peut aussi donner aux spectateurs la possibilité de regarder et d’avoir cette expérience réelle, vive, de la relation entre les yeux, les oreilles, l’image et le son. Le ton du film est celui du film, pas celui de la vie. Je travaille le cinéma comme le miroir de la vie. Il y a un ton spécifique dans chaque film que j’aborde.
Propos recueillis avec Katia Bayer, avec la complicité d’Eliott Witterkerth et de Paul Lhiabastres. Retranscription : Eliott Witterkerth
Article associé : la critique du film