Précieux est le premier film professionnel de Paul Mas. Filmé en stop-motion, ce court-métrage d’animation qui concourait pour les César 2022 nous fait entrer dans la dure réalité de la cour de récréation. Là où les moqueries, les jugements et la conformation sociale commencent à naître. Nous avons rencontré le jeune cinéaste. Il revient sur son parcours et ses deux premiers films qui laissent entrevoir une carrière prometteuse.
Format Court : Être nommé aux César à 25 ans, pour son premier film, c’est un très bon début. Qu’as-tu ressenti à l’annonce de la nomination ?
Paul Mas : C’est la première fois que je suis sélectionné dans une compétition plus institutionnelle, plus suivie également par le grand public. Ce n’est pas du tout le même registre que les festivals d’animation dans lesquels j’ai pu précédemment présenter mes films. Le milieu de l’animation est bien spécifique et un peu niche. Ça fait à la fois très plaisir d’être légitimé par une telle instance que celle des César, et en même temps c’est totalement différent de ce dont j’ai l’habitude.
Connaissais-tu déjà le travail des réalisateurs en lice avec toi ?
P.M. : Pas tous. J’ai fait la même école, l’EMCA, que Marine Laclotte, la réalisatrice de Folie douce, folie dure (ayant reçu depuis notre entretien le César du meilleur court d’animation 2022). Elle était en troisième année, et moi en première. Elle avait réalisé le film FrancK Krabi, sur un type avec des crabes. Il y avait une collaboration entre les première et troisième années, et on pouvait aller donner un coup de main aux réalisateurs. Et en vrai, on voulait tous travailler avec Marine parce que le projet était génial. Du coup, c’est hyper marrant de se recroiser maintenant.
Justement en parlant d’école, peux-tu dresser ton parcours en quelques mots ?
P.M. : L’animation en stop motion, c’est quelque chose que je pratique depuis un long moment. C’était vraiment une baffe que j’ai prise quand j’étais ado, vers 13-14 ans. J’ai regardé le making of de L‘Étrange Noël de Monsieur Jack (de Henry Selick) et j’ai été totalement fasciné par la manière de faire le film. Des personnages sortaient de moules en plâtre, et je trouvais ça totalement fou. Du coup, j’ai commencé à en faire moi-même en regardant des tutoriels sur Internet, et je me suis installé un petit atelier dans ma cave. D’ailleurs c’est drôle parce que je n’ai jamais trop changé de lieu : j’y ai réalisé mon premier court-métrage pour le bac et je continue à y travailler aujourd’hui.
J’ai commencé en faisant des marionnettes, j’expérimentais les techniques, je dessinais un peu aussi. Mais c’est vrai qu’en arrivant à l’EMCA, j’ai rapidement confirmé mon choix de la stop motion. Tout le monde dessinait incroyablement bien, et je n’avais aucune envie de me mettre en compétition avec les autres étudiants. Et comme assez peu de personnes faisaient de la stop motion, je me suis dit que c’était pour moi. C’est une technique tellement riche et exigeante que je m’aperçois que j’en suis vraiment qu’au début de mon apprentissage, et que j’ai encore un milliard de choses à apprendre. Je pense qu’une vie, ce n’est même pas suffisant, mais de toute manière je ne me vois pas faire autre chose.
D’ailleurs en sortant de l’EMCA, j’étais content d’avoir terminé mon film de fin d’étude Children, mais je ne me voyais pas forcément en réaliser d’autres. Je voulais surtout travailler en tant que technicien. Du coup, j’ai fait des stages notamment sur La Mort Père et Fils (de Denis Walgenwitz et Winshluss), un film produit chez Je Suis Bien Content. Puis après, j’ai essayé de faire de la stop motion pour d’autres réalisateurs, mais ce n’était pas évident. Du coup, j’ai entamé le travail sur Précieux. Faire un nouveau film à ce moment-là, c’était surtout l’opportunité d’avoir un job. J’ai commencé et puis finalement, j’ai eu d’autres opportunités après.
Dans tes deux films, tu traites de l’enfance et surtout de l’univers terrible de la cour de récréation. Pourquoi ?
P.M. : Ce n’est pas tant l’enfance et l’école que la différence, l’altérité, et le comportement de l’individu face au groupe. Mais j’aime situer mes films à cette période car l’enfance, c’est le moment où on l’apprend pour la première fois. Et finalement, l’apprentissage du rapport et de la conformation au groupe est assez brutal à cet âge. Après on grandit, on intègre ces principes, qu’ils soient bons ou mauvais. On fait avec.
Mais Précieux est loin d’être un film pour enfants. Pendant l’écriture, plus je me remémorais mon expérience personnelle et plus j’interrogeais les personnes autour de moi, plus je réalisais la violence et la dureté des situations que tout un chacun a pu vivre au moins une fois durant son enfance, à plus ou moins grand degré. Ce n’est vraiment pas drôle du tout. Je pense que ces conversations ont servi à nourrir le ton du film. Finalement, les adultes sont plus touchés quand ces rapports de force concernent des enfants, ça leur va droit au cœur. Mais finalement, est-ce réellement moins dur après ?
Dans ton précédent film Children (2016), la fin est violente et radicale. On en vient à la mort. Finalement, tu t’es adouci dans Précieux, pourquoi ?
P.M. : Avec un peu de recul, je trouve que mon film de fin d’études est vraiment sombre. J’ai l’impression que sur les premiers films, tous les réalisateurs ont une tendance à augmenter le curseur de dureté. Ça s’inscrit certainement dans une peur de ne pas être légitime. Pour Précieux, je ne trouve pas que la fin soit si horrible. C’est révoltant, mais c’est aussi la vie.
Dans Children, je joue beaucoup sur les questions de moralité. Je n’ai pas envie de provoquer ça, parce que je n’ai pas envie de prendre le spectateur en otage. Mais l’idée, c’est effectivement de prendre un petit biais sur les choses, de laisser entrevoir un autre angle. Je montre des réalités plurielles. J’aime bien les zones grises morales.
Est-ce plus facile d’aborder ces sujets par le biais de l’animation ?
P.M. : Je ne crois pas que l’animation en tant que médium permette d’aborder certains sujets plus facilement que d’autres.
Une seule fois pendant la réalisation, je me suis fait la réflexion que l’animation était plus pratique. Mais ça ne concernait pas le sujet en lui-même, uniquement le jeu des acteurs : les cabines de la piscine. Dans cette scène du film un petit garçon et une petite fille se retrouvent seuls dans une cabine. Le petit garçon est en serviette et fait une crise d’angoisse car il a oublié son maillot. La petite fille essaie de le consoler, et ce moment-là, la serviette du petit garçon tombe et il se retrouve nu.
Honnêtement, j’aurais été incapable de demander ça à deux jeunes enfants en live. Ça aurait été hyper gênant pour moi, certainement traumatisant pour eux. En réalité, dans Précieux, le live aurait rendu le rapport aux comédiens très compliqué. Ici, je trouve que l’animation est plus accommodante.
As-tu déjà d’autres projets en tête ou te laisses-tu un peu de temps ?
P.M. : En ce moment je travaille sur un Short Cut, un court-métrage d’une minute, pour Arte sur les oiseaux d’Hitchcock. Après Précieux, pendant le confinement, j’en ai profité pour renforcer un peu mon atelier. Comme tout le monde à cette période, j’ai regardé beaucoup de films. Je me suis d’ailleurs rendu compte que les films vers lesquels je me tournais naturellement étaient des films fantastiques et assez grand public, avec des codes bien particuliers. Du coup, j’ai commencé à travailler sur un nouveau projet qui mélange stop-motion, science-fiction, comédie… C’est génial parce que j’apprends de nouvelles manières de faire des histoires, de nouveaux codes et c’est super excitant ! J’espère qu’on trouvera les financements pour produire le film.
Propos recueillis par Anne-Sophie Bertrand