Ce vendredi-là, Marine Laclotte repartait de la cérémonie des César avec un trophée pour son court-métrage Folie douce, folie dure. Ce documentaire animé raconte le quotidien d’un hôpital psychiatrique avec douceur et justesse. On en ressort ému et avec le sentiment fort de mieux comprendre ceux qui, d’habitude, nous font peur. Le regard tendre que Marine Laclotte leur porte dresse un portrait sincère. Pourtant, seules les prises de son sont réelles !
Format Court : Est-ce que tu peux me décrire en quelques mots ton parcours avant ce film ainsi que tes envies de cinéma ?
Marine Laclotte : Lorsque je suis sortie de l’école (EMCA, Angoulême), j’ai été sélectionné par Tant Mieux Prod et France Télévision pour réaliser un court métrage pour la saison 02 de la collection « En sortant de l’école », qui produit chaque année 13 films de courts métrages rendant hommage à un.e poète.sse. français.e.
Cette belle expérience m’a permis de rencontrer beaucoup de professionnels de l’animation, dont Christian Pfohl de Lardux Films, qui a produit Folie douce, folie dure. C’est en 2015 que j’ai commencé à écrire ce film, après avoir livré mon court-métrage Papier Buvard, basé sur le poème du même nom de Robert Desnos.
J’ai mis 4 ans à fabriquer Folie douce, folie dure, entre la première aide à l’écriture et la livraison du film. Mais cette fabrication a été entrecoupée d’autres expériences en tant que technicienne sur de beaux projets qui m’ont nourrie. J’ai même eu le plaisir de porter la casquette de superviseuse artistique et technique sur la saison 6 d’« En sortant de l’école », 4 ans après y avoir participé moi-même en tant que réalisatrice. J’ai eu beaucoup de chance dans mon parcours, j’ai rencontré les bonnes personnes et elles m’ont fait confiance très vite.
Mes envies de cinéma sont liées à mon envie de raconter des histoires ! Et ce plaisir-là, je l’ai en moi depuis ma petite enfance ! J’ai commencé le théâtre à trois ans et j’ai arrêté lorsque notre troupe s’est décousue, à 18 ans, puisque nous nous envolions tous, après le baccalauréat vers des études différentes, à Lille pour moi, à ce moment-là…en DMA Cinéma d’animation à l’ESAAT. Puis, j’ai rencontré la forme de « documentaire animé » grâce à un atelier organisé par l’EMCA, lorsque j’étais en deuxième année. Il nous a été proposé de faire un court métrage en collaboration avec un étudiant du CREADOC (Master de documentaire). À ce moment-là, j’ai réalisé Ginette, un court-métrage de 4 minutes, avec Benoît Allard. Il avait au préalable réalisé un documentaire sonore qui interrogeait différentes femmes sur leur place dans le milieu paysan. Ginette, l’une d’entre elles, m’a beaucoup touchée. J’ai ressenti toutes ses émotions simplement grâce au son, à sa voix, à sa façon de parler…
J’ai fabriqué l’image animée sur un nouveau montage que Benoît avait remanié pour les besoins du film. J’ai adoré travailler comme ça, à partir d’enregistrements réels. J’ai senti très vite l’intérêt de l’animation pour transposer une émotion en image, pour faire revivre un souvenir, ainsi que les jeux de mises en scène que me permettait ce format. Je m’étais libérée des codes classiques de mise en scène pour inventer un langage graphique qui interagissait avec la voix qui témoigne. La combinaison du dessin en mouvement et du son documentaire était alors très forte, à mon sens. Je me suis dit à ce moment-là que je recommencerais dès que possible à travailler ainsi, en m’offrant cette fois la chance d’aller à la rencontre des personnes dont parle le film.
Comment as-tu trouvé le sujet de Folie douce, folie dure ? D’où vient ton envie de filmer ce lieu et ces personnes ?
M. L. : Ce sujet était évident pour moi. Mon film de fin d’étude Franck Krabbi abordait déjà la douce folie, à travers le portrait d’un homme obsessionnel et isolé dans son monde poétique et décalé.
J’ai grandi à Cadillac, en Gironde. Cette ville abrite un grand hôpital psychiatrique dans lequel ma mère travaille comme assistante sociale. Depuis l’enfance, elle me raconte les personnes qu’elle accompagne, avec un discours attendri. A Cadillac, des personnes un peu étranges ou différentes se promènent dans les rues et, la plupart du temps, les passants s’en écartent. Mais, en quête de lien social et souvent tout sourire, ces personnes venaient discuter avec ma mère qui échangeait avec eux très naturellement. Je me suis vite rendue compte qu’il n’y avait pas de danger. Ce film, c’était aussi un prétexte pour aller moi-même à la rencontre de ces personnes. J’avais le sentiment que je ferais de belles rencontres !
Comment se sont passées les rencontres avec les gens de l’hôpital ?
M.L. : Je suis allée à la rencontre de plusieurs institutions et de plusieurs cadres de santé en leur sein, pour cibler les unités de soins qui m’intéressaient.
Globalement, le projet était très bien accueilli, notamment parce qu’il s’agissait d’un documentaire animé et que le dessin allait protéger les personnes de leur propre image et décaler un peu le regard.
Ensuite, les équipes soignantes ont été très accueillantes. J’ai compris rapidement que cela leur faisait aussi du bien qu’un film se propose de poser un regard valorisant sur leurs métiers.
Les personnes en soins ont été plutôt très contentes de voir de nouveaux visages, surtout que nous étions « neutres ». Nous n’étions pas là pour porter un regard médical sur elles. Nous avons pu assez vite faire partie du paysage quotidien sans que cela ne soit perturbant, je crois, et faire connaissance.
Tu n’apparais pas du tout dans le film. Tu t’effaces pour faire le portrait du lieu et des personnes qui l’habitent. Pourquoi ce choix ?
M.L. : C’est vrai. Je ne souhaitais pas mettre en scène ma rencontre avec ces personnes, mais plutôt les éclairer, eux : raconter leur quotidien, partager leur sensibilité, leur rire…à travers le film. Ces personnes m’ont touchées… et me touchent encore. C’est ça que j’ai souhaité partager avec le public.
Comment s’est passée la concrétisation du film : le tournage, l’écriture, puis le dessin et la réalisation ? La recherche de financements impose souvent de travailler selon un schéma classique d’étapes de réalisation. Comment cela s’est-il passé pour toi ?
M.L. : En effet, c’est toute la difficulté de ce format. On a besoin de tourner pour pouvoir écrire et c’est une étape qui coûte ! Mais c’est déjà ce que connaît le monde du documentaire, j’imagine. Il y a une phrase que j’aime bien qui dit : « En fiction, le scénario fait le récit ; en documentaire le vécu fait le scénario. ». C’est une façon de travailler que j’ai découvert grâce à ce film et dans laquelle je me retrouve, mais c’est sûr que pour obtenir des financements, ça ne simplifie pas la tâche.
Pour le tournage, j’avais reçu une aide à l’écriture de la région Poitou-Charentes, mais pas celle du CNC. Je pense que mon dossier, rédigé avant le tournage, devait laisser trop de flou sur ce que contiendrait le film. Pour couvrir les dépenses du tournage, j’ai alors réalisé une campagne de crowdfunding. La campagne a bien marché, mais j’ai trouvé cette démarche très difficile. Pour que ça décolle, il faut activer son premier cercle qui est forcément celui de la famille et des ami.e.s. En vrai, c’est un peu culpabilisant de demander de l’argent à ces personnes-là. Puis petit à petit, un grand nombre d’associations et/ou de familles de personnes ayant des troubles mentaux, des soignants ou autres personnes sensibles au sujet, ont participé à la campagne en accompagnant leurs dons de messages très touchants et encourageant ma démarche. À ce moment-là, j’ai pris un peu peur. Je n’avais encore rien fait et énormément de personnes croyaient déjà au projet. J’ai réalisé que c’était quand même une sacrée responsabilité de faire ce film.
Par la suite et une fois que nous avions la matière sonore, le film a été assez bien financé. Au niveau des chaînes TV, nous n’avons pas réussi à signer de pré-achat, surtout à cause du format qui ne rentrait ni dans la case de court métrage d’animation (qui ne finance que de la fiction pour certaines chaînes), ni dans celle du documentaire, puisque c’était de l’animation. Le film était un peu hors catégorie…Mais j’ose imaginer que les choses ont évolué et que les chaînes décloisonnent un peu leurs cases !
Avais-tu d’autres supports sur lesquels t’appuyer pour dessiner comme des photos, des textes ? Ou est-ce que le dessin s’est inventé tout seul en partant seulement du son ?
M.L. : Lors du tournage, je n’ai capté que du son. Pas de photos, pas de vidéos, et très peu de dessins car je n’avais pas le temps de faire des croquis ! Finalement, ces choix ont servi le film, je pense. Une fois que nous avons monté la bande-son du film avec le merveilleux monteur de documentaires Claude Clorennec, j’ai fabriqué l’animatique directement sur le son. Toutes mes émotions étaient intactes, ravivées par nos prises de sons, très immersives. Tout me revenait en mémoire, les visages, les lieux, les gestes…Ma mémoire évacuait le superflu pour ne reconstruire que l’essentiel. C’est ce qui a guidé ma mise en scène.
Tu as fait le choix – audacieux – de partir du son comme seul matériel de réel enregistré et d’ajouter “par-dessus” des images dessinées. Pourquoi avoir choisi le format du documentaire animé ?
M.L. : J’ai choisi ce format avant tout parce que c’est ce que j’aime faire. Le dessin en mouvement, c’est mon moyen d’expression, mon langage cinématographique. Mais pour ce film, le dessin était d’autant plus justifié qu’il m’a permis de mettre en images des sensations ressenties. Ces représentations graphiques nous permettent d’entrer en empathie plus facilement que l’image filmée, sans filtre. C’est la magie de l’animation !
Ton dessin est un peu caricatural, il est très inventif et s’éloigne souvent d’une représentation classique du réel. Est-ce que tu considères pour autant ton film comme un documentaire “naturaliste”, qui se rapproche au mieux de la réalité ?
M.L. : Un film propose forcément un regard subjectif. Ici, c’est mon regard sur ces personnes. J’ai essayé d’être juste et de ne pas dénaturer ou porter préjudice à leur image. D’ailleurs, j’ai eu beaucoup de mal à me lâcher sur le style de dessin, sur les design des personnages. Je dessinais des personnes qui existent et j’avais cette responsabilité-là, de ne pas les caricaturer justement. Mais sans parler du « style graphique », je crois que ce qui confère au film une certaine « justesse », ce sont les gestes, les regards, les expressions des corps, des visages, les sensations…que j’ai observés attentivement pendant le tournage et que j’ai pris grand soin de mettre en scène dans le film.
Propos recueillis par Agathe Arnaud