Invitée en décembre au Forum des images (Paris) dans le cadre du Carrefour du cinéma d’animation, l’animatrice et réalisatrice suédoise Niki Lindroth von Bahr est à l’origine de plusieurs courts-métrages remarqués et primés dont Something to remember programmé en novembre lors de la séance suédoise de notre festival. Alors que The House, co-réalisé avec Emma de Swaef, Marc Roels et Paloma Baeza, est diffusé depuis quelques jours sur Netflix, l’animatrice nous parle avec humour et lucidité de son métier, de ses difficultés et de cette case courte qui lui va si bien.
Format Court : À quoi ressemblent vos scénarios ?
Niki Lindroth von Bahr : Je n’écris que rarement, sinon jamais, le scénario en premier. Généralement, je commence à travailler avec des storyboards dès le début. Ce ne sont que des images. Tous mes films ont commencé avec un endroit, plutôt qu’avec des personnages ou des histoires. Je choisis un endroit, une atmosphère, une situation, et je commence à réfléchir à l’histoire à partir de là.
La dernière édition du festival Format Court proposait un focus sur la Suède, qui incluait votre film mais aussi Las Palmas de Johannes Nyholm…
NLVB : Je suis son amie et collègue depuis longtemps. Je dirais qu’il est l’un des artistes les plus intéressants en Suède. J’ai d’ailleurs participé à la production de Las Palmas, et il a fait la voix d’un des personnages d’un de mes cours précédents, Bath House, un des méchants. Je lui ai proposé mon aide pour son film Puppetboy, et j’ai fait partie de l’équipe de production pour Las Palmas. Nous nous soutenons mutuellement depuis longtemps.
Diriez-vous que le monde de l’animation est petit en Suède ?
NLVB : Le monde de l’animation y est si petit qu’il est presque inexistant. Je suis en contact avec des professionnels de l’animation à Stockholm, et je dirais que c’est une communauté très restreinte et dispersée. Il y a quelques groupes, mais pour être parfaitement honnête, je fais de l’animation moi-même, mais je ne suis pas très impliquée dans cette communauté en général. Je ne regarde pas tant d’animation que ça dans mon temps libre. Je regarde beaucoup de films, et je connais beaucoup de personnes qui travaillent dans la prise de vue réelle, mais je pense que ce genre de films m’intéresse plus que la technique même de l’animation en tant que forme artistique. C’est aussi parce que le monde de l’animation est petit, mais celui de l’animation image par image l’est encore plus. Je crois qu’en quelque sorte, il n’y a que moi qui la pratique. Même si j’apprécie communiquer sur mon expérience sur le financement de l’animation, le savoir technique en lui-même est très peu partagé.
Comment l’expliquez-vous ?
NLVB : L’animation image par image est très difficile, chronophage et onéreuse. Il faut souvent avoir beaucoup d’argent, ce qui n’est généralement pas le cas, et puis il faut pouvoir gérer tout un tas d’éléments tout au long du processus, liés à la structuration, la réalisation, l’écriture, le montage… C’est un travail difficile et je comprends tout à fait que, dans un monde où tout s’accélère (même si c’est un peu un lieu commun), presque tous les aspects techniques et liés à la connaissance vont de plus en plus vite. Dans l’animation image par image, il faut savoir travailler très vite pour chaque image du film… Sans doute ce n’est pas une pratique très moderne.
En voyant vos films, on se rend compte que les lèvres de vos personnages ne bougent presque pas, et vous travaillez beaucoup avec la voix off. C’est très intéressant et en rupture. Avez-vous déjà été tentée d’animer aussi les bouches de vos personnages ?
NLVB : Dans l’un de mes futurs projets, réalisé avec Netflix, on aura des bouches animées. Mais c’est une option technique qui ne m’était pas possible financièrement jusque-là, parce que quand vous fabriquez vous-mêmes les marionnettes, c’est difficile d’y ajouter du mouvement. Ça devient un peu brouillon si vous ne faites pas appel à des professionnels, alors j’ai préféré utiliser les mouvements du corps plutôt que de la bouche. Dans The Burden, certains des personnages avaient une bouche animée, mais ça dépend vraiment du type de production. Avant la production avec Netflix, mon budget était le plus souvent dérisoire. L’enjeu en animation, c’est d’essayer de faire de la magie à partir de rien. Parfois, il faut savoir prioriser.
Recevez-vous de l’aide de l’État désormais ?
NLVB : Oui, j’ai reçu de l’argent du Swedish Film Institute, et c’est super, ils sont très généreux envers moi. Je suis très reconnaissante de cela. Et en même temps, l’animation image par image est tellement onéreuse. Il n’y a pas de raccourcis possibles dans la production. De temps en temps, je peux me permettre d’engager un(e) assistant(e), mais je ne pourrais pas vraiment me salarier moi-même. Je dois faire certains choix. En ayant des enfants, et plus le temps passe, plus ça devient compliqué. Des fois, je dois passer des semaines entières au sous-sol pour travailler (rires), et chaque heure est consacrée à mes projets en cours.
Vous parlez de votre sous-sol, travaillez-vous chez vous ?
NLVB : Non, non, c’est un autre sous-sol (rires). Je connais beaucoup de gens qui travaillent chez eux pour des questions d’argent ou de confort, mais j’en mourrais (rires). J’ai vraiment besoin de garder une séparation entre le travail et le temps libre. Même si j’ai très peu de temps libre, c’est très important pour moi.
Vos films me font penser à l’esprit des contes de notre enfance. Vous disiez que l’animation est pour vous une méthode, mais que vous en regardiez assez peu, au contraire des prises de vue réelles. Avez-vous déjà été tentée par le genre frictionnel ?
NLVB : D’une certaine manière, je n’y suis pas opposée du tout, je serais clairement intéressée par cette idée. Mais en même temps, être une réalisatrice en situation de prise de vue réelle revient à être en charge d’un grand groupe de personnes, dans un espace-temps limité. C’est une vraie responsabilité. Je ne suis pas sûre d’avoir ça en moi. C’est plus facile d’être agréable quand on a plus de temps pour tourner, quand on fait plus de choses soi-même. Même si j’adore les films en prise de vue réelle, je pense que, puisque j’ai été artiste-sculptrice et que j’ai exposé dans des galeries, je pense que si je devais sortir de l’animation, je me tournerais plutôt vers une carrière d’artiste. Je me sens très tactile et j’aime créer des choses avec mes mains. Cet intérêt est plus fort chez moi que celui de la réalisation, vous voyez ?
Format Court est un site dédié aux courts-métrages. Que vous apprend ce format et notamment sa création en auto-production avec un budget limité ?
NLVB : Travailler avec un format court est très intéressant. On réalise de fait qu’en faisant des courts-métrages, mais aussi en participant à des jury de festivals de courts-métrages (que ce soit des films animés ou en prise de vues réelles) le court-métrage est un format assez compliqué. On veut raconter quelque chose, et en même temps, on ne peut pas trop en faire. Il y a beaucoup de pièges dans la manière de raconter une histoire. Beaucoup de gens essaient de raconter l’histoire d’un long-métrage dans le format d’un court-métrage. La difficulté réside dans le fait d’arriver à gérer cette durée limitée du court-métrage. Quand on arrive à trouver une histoire qui rentre parfaitement dans le format, ça peut être encore plus puissant qu’un long métrage, et c’est très satisfaisant. On peut en dire tellement en seulement quelques minutes. Les images et les sons peuvent être très forts. On se rend compte de la valeur de chaque seconde et de chaque plan. Puisque rien n’est gratuit, il faut être très exigeant sur ce qu’on montre dans un temps aussi limité. On apprend beaucoup sur la narration en travaillant sur des courts-métrages, plus encore que sur les longs-métrages.
Est-ce la raison pour laquelle vous avez préféré réaliser des courts-métrages ?
NLVB : Il y a aussi l’aspect financier évident !
Bien sûr ! Mais dans l’animation en particulier, il faut bien en commencer par là !
NLVB : Exactement. Ce que j’aime, c’est que dans l’animation, il est considéré acceptable de continuer à travailler sur des courts-métrages pendant toute sa carrière. Le court-métrage est l’attraction principale. Au contraire, dans les grands festivals centrés sur les films en prise de vues réelles, on a l’impression d’être à la table des enfants ! C’est comme si on vous demandait si vous allez enfin faire quelque chose de sérieux la prochaine fois ! On vous rappelle toujours que ce n’est que le début.
Dans mes premiers films, il y avait aussi du dialogue, mais c’est vrai que dans les deux derniers, en choisissant de faire des personnages chantants, ça permettait de troubler l’identification entre soi et le personnage. On ne sait pas si c’est un homme ou une femme. Avec les animaux, on entre dans l’universel : ça peut être n’importe qui.
Et pourtant, ils ont des pieds et des mains humains ?
NLVB : Au début, c’est vrai, j’ai commencé à les faire ressembler à des humains. Bien sûr, leurs histoires, elles-mêmes, sont des histoires humaines. En parlant d’histoires sombres d’une manière un peu décalée et avec des animaux, je voulais créer un filtre un peu absurde. Des fois, c’est un peu triste, mais c’est aussi légèrement humoristique. Je crois que j’ai voulu appâter le public vers des histoires plus sombres avec mes animaux mignons et bébêtes. Mais en même temps, je suis passée d’une représentation très humaine des corps de mes animaux vers quelque chose de plus zoomorphe. J’ai essayé de faire rentrer ces corps animaux dans des vêtements humains, comme les jeans, ce qui devenait encore plus absurde. Mettre une cravate et un costume sur un escargot ou un scarabée, je crois que ça ajoute quelque chose. On ressent tous et toutes à un moment donné que toute cette civilisation nous est un peu imposée, qu’elle est un ajout, alors que nous sommes des animaux à l’intérieur, en tant qu’humains.
Dessiniez-vous ces animaux directement habillés ou est-ce que c’est venu avec le temps ? Pensez-vous que ça ajoute un côté amusant ou bizarre ?
NLVB : Je ne sais pas si c’était délibéré, mais j’ai été de plus en plus intéressée à utiliser des animaux qui ressemblent de plus en plus à des animaux, mais aussi à utiliser des animaux qu’on attend moins (comme des escargots ou des larves) par rapport à des animaux plus habituels (comme les lapins, par exemple) pour représenter les humains dans les cultures enfantines.
Si on considère cette culture, on voit aussi que votre animation a évolué. Les cheveux ne bougeaient pas, les personnages ressemblaient plus à des poupées, et en dix ans, votre animation s’est transformée…
NLVB : Oui, elle s’est améliorée, et c’est une question d’apprentissage de la technique. Dans Tord and Tord, c’était la toute première fois que je faisais de l’animation, je n’avais jamais essayé avant. C’était très statique, et de manière délibérée, parce que je ne savais pas comment m’y prendre. Au début, j’ai beaucoup pratiqué l’animation moi-même, mais en même temps, la fabrication des marionnettes, la réalisation et l’écriture, tout ça est très épuisant. Quand le moment de l’animation, de la véritable performance arrive, on est tellement fatigué·e (rires), que c’est plus agréable de mettre son argent dans le travail d’un bon animateur, clairement.
Connaissiez-vous déjà le travail d’Emma de Swaef et Marc James Roels avec qui vous avez collaboré sur The House ?
NLVB : Oui, Ce Magnifique gâteau est un des meilleurs films que j’ai vus, c’est vraiment incroyable, j’étais déjà une grande fan de leur travail. Le travail de Paloma Baeza aussi est super. J’étais très heureuse de travailler avec eux, c’était un honneur. Ce projet est assez unique, c’est un des premiers projets en image par image de cette ampleur sur Netflix, avec des réalisateurs de plusieurs nationalités. Je suis très, très heureuse d’y avoir participé !
Interview : Katia Bayer
Retransciption : Eliott Witterkerth
Remerciements : Diana-Odile Lestage (Forum des images)