Après un passage par les lettres, les Arts Décoratifs et le clip, la réalisatrice et peintre Marie Larrivé signe un premier film professionnel marquant, Noir-Soleil, programmé à la dernière Semaine de la Critique. Lors de cet entretien effectué à Cannes, la jeune femme travaillant actuellement sur le prochain film de Claude Barras, évoque l’émotion, le père parti, la peinture, l’apprentissage et le désir de fiction. Rencontre.
Format Court : Quel est ton lien à l’animation ? Comment es-tu arrivée aux Arts-Déco ?
Marie Larrivé : Dès le lycée, j’ai eu envie de faire quelque chose de créatif, de transmettre des émotions par la fiction. Je n’avais pas d’idées très précises sur la manière de le faire, que ce soit par le cinéma ou le dessin par exemple. Ça s’est construit par hasard. J’ai commencé des études de lettres, j’ai rencontré une fille qui était aux Arts-Déco et ce qu’elle m’en a dit m’a donné envie de me lancer. À ce moment, j’avais perdu le désir de fiction, je faisais beaucoup d’analyses, je ne ressentais plus de plaisir face au roman. Du coup, ce côté libre et ludique que j’avais perdu dans la façon dont j’étudiais la littérature me faisait rêver.
J’ai eu très envie d’entrer dans cette école parce que ça offrait plein de possibilités mais je n’étais pas décidée sur ce que j’allais faire. Le secteur de l’animation m’a paru être celui où je pouvais expérimenter un peu de tout.
À l’école, j’ai fait des films plus expérimentaux. Le gros de mon secteur, c’était l’animation mais je faisais de la peinture à côté. J’aimais bien l’idée de ne pas me contraindre à une narration, de jouer plus avec la matière et la lumière. Depuis l’école, je me suis rendue compte que j’avais plus envie de revenir à la narration qui correspondait plus à mes études antérieures.
Les aspects visuel et narratif marchent assez bien dans ton film. Qu’est-ce qui s’est passé depuis ta sortie en 2013 ? Est-ce que le sujet de ton film réclamait du temps ?
M.L. : Quand je suis sortie, j’avais envie de faire beaucoup de choses très vite. On m’a proposé du clip, de la commande. Le clip, c’est pas mal parce que ça permet de réaliser rapidement, c’est une durée courte, maintenant, il y a des aides du CNC pour ce format. J’ai fait pas mal de clips, ça m’a aidée techniquement. Aux Arts-Déco, on n’apprend pas assez la technique du coup, on ne se sent pas assez légitime pour y aller, du coup, ça m’a décomplexée. Après avoir fait un certain nombre de choses courtes, je me suis dit que je pouvais prendre le temps pour faire un film long, je n’étais plus dans l’urgence de produire pour produire. J’avais besoin de prendre du temps pour écrire.
C’est quoi la limite du clip ?
M.L. : On ne peut pas aller au bout de son travail créatif. On reste toujours en surface par rapport à la narration. Même si y a une histoire, on est quand même limité par la musique. On essaye d’être cohérent avec le travail préexistant, on est au service du musicien mais on ne peut jamais aller jusqu’au bout et même le format de 3 minutes, c’est court. On doit quand même rester dans quelque chose de visuel et c’est dur de transmettre des vraies émotions. Il y a des frustrations qui donnent envie de faire un film quelques années plus tard !
Quel a été le point de départ de ton film ?
M.L. : À un moment, j’en ai eu marre du clip, je me suis remise à la peinture. J’ai fait toute une série « Eldorado » et je me suis dit qu’il y avait une histoire à raconter à travers les images de paysages idylliques du sud de l’Italie. À cette époque, un volcan qui commençait à gronder, il me semblait qu’il y avait une histoire à raconter. Je voulais aller plus loin, insérer de de la musique, transmettre une émotion plus précise que juste illustrer l’émergence d’une catastrophe. (…) Le film s’est construit dans le temps car l’écriture a été très longue. Au début, j’avais envie de retranscrire des émotions assez floues liées à des souvenirs de vacances et à des histoires familiales. Petit à petit, ça s’est entremêlé et au fil du temps, je me suis rendue compte que l’histoire traitait aussi d’hommes absents, qui s’étaient enfuis…J’ai fait beaucoup d’aller-retour entre des idées visuelles et la mélancolie. J’avais envie de raconter l’absence du père. (…) Je pense que Noir-Soleil comporte plusieurs couches : le film de genre, le film intimiste, le film très visuel,… .
Ton titre oppose la lumière et l’ombre, le tragique et l’idyllique, …
M.L. : Le titre, c’était un horizon d’écriture. Je me suis dit que j’allais essayer d’écrire autour de cette alternance. Je me suis un peu inspirée de vacances avec mes parents, en Italie. A 12 ans, à Palerme, on a visité les Catacombes des Capucins, c’est un endroit où des corps sont conservés, momifiés. Il y a une petite fille qui a l’air endormie. Ça m’avait fort marquée, ce côté sous-terre, dans l’ombre, mystérieux, ça ne m’a pas rebutée, je trouvais ça beau quelque part, je m’étais demandée quelle était l’histoire de cette petite fille. Ensuite, on remonte, il fait très chaud, c’est la vie. J’avais envie de raconter cette émotion-là.
Comment as-tu construit ton image ?
M.L. : Je suis retournée à Naples pour faire beaucoup de repérages. J’avais besoin de décors concrets, de savoir où mes personnages allaient, ce qu’ils faisaient. Je regarde énormément de peintures au quotidien, j’ai l’habitude de regarder les paysages par le biais de la peinture. J’ai articulé le film comme un carnet de voyage en peinture. J’aime partir sur des bases photo pour m’imprégner des lieux et garder la peinture pour plus tard, quitte à transformer ce que je dessine.
Quelles difficultés as-tu rencontrées sur ce film ?
M.L. : À la moitié du travail, j’ai senti que j’étais trop gentille avec les personnages. Je n’osais pas rendre le personnage du père dur. C’était ma première expérience d’écriture, malgré moi je voulais faire bien. Je souhaitais que quelque chose de positif ressorte du film, j’allais vers des trucs un peu clichés. J’ai dû lutter contre la tendance du happy end, de la conclusion trop fermée, j’ai dû apprendre à composer avec les dits et les non-dits.
Qu’est-ce qui t’intéresse dans la forme du court ?
M.L. : Ça permet d’aller au bout de ce qu’on veut visuellement parce qu’on n’a pas la contrainte d’un long-métrage où on doit faire davantage de sacrifices. C’est aussi une étape vers le long.
Qu’as-tu le sentiment d’avoir appris avec ce film ?
M.L. : Aux Arts-Déco, on a une vision assez conceptuelle de l’animation et du court-métrage mais on n’a pas vraiment de cours de scénario du coup, je ne me sentais pas capable de raconter une histoire. En travaillant, je me suis rendue compte que maintenant que j’en suis capable et que ça m’ouvre plein de portes.
Propos recueillis par Katia Bayer
Article associé : la critique du film