Dans l’effervescence des films montrés au Festival de Cannes cette année, Brutalia, Days of Labour a particulièrement retenu notre attention. Présenté lors de la Semaine de la Critique 2021, ce court-métrage du réalisateur grec Manolis Mavris a d’ailleurs remporté le prix Canal +.
Il est difficile de classer le genre de Brutalia : film de genre, docu-fiction, surréalisme ou réalité poignante ? Dans ce court-métrage, Manolis Mavris nous emmène à la découverte d’une ruche dont on ne peut évaluer ni l’époque ni le lieu. Nous rentrons dans cet environnement au son des coups de pioche et du bruit – quelque peu anxiogène – d’un essaim. Anna est l’une des abeilles de la ruche. C’est elle que l’on suit pendant les 26 minutes du film. On la retrouve seule, souvent isolée dans son environnement ou simplement par la caméra. À certains moments, au contraire, elle est totalement emportée par la logique de groupe, exécutant ce que l’on attend d’elle, enfin plutôt de ce que l’on attend des abeilles de manière générale. La ruche est un régime matriarcal, régi par la Reine. Cette dernière est facilement identifiable : assez grande, les cheveux longs, elle est généralement vêtue d’habits d’apparat, majestueux. Elle a de nombreux pouvoirs, notamment celui de lire les pensées de ses « filles » et de les priver du droit de donner naissance.
Les abeilles, quant à elles, s’organisent hiérarchiquement autour de la reine. Elles portent des tenues militaires et des perruques noires avec une coupe au carré et une frange. De loin, il est impossible de les différencier. Elles sont standardisées. Et même de près, elles sont impassibles, concentrées sur les tâches qui leur sont confiées : servantes, bâtisseuses, nourrices, gardiennes ou glaneuses… La vie de chacune d’entre elles est d’ailleurs relative au nombre de tâches qui leur ont été confiées. Les faux-bourdons, eux, apparaissent oisifs et un peu patauds. Mais pareil, ils n’ont qu’une seule mission : être en bonne condition physique et mentale pour féconder la Reine. Ainsi, tous les protagonistes s’activent à la préservation de l’organisation de cette société. Après tout, comme l’explique la voix-off : “Chaque abeille est responsable de la vie sur la planète.”
Les plans de Manolis Mavris sont millimétrés et s’enchaînent à la perfection comme les ballets et les parades de ces abeilles. Ce qui est intéressant dans ce court-métrage, c’est que la satire est amenée par le biais du cadrage, de l’expression corporelle du personnage principal et de l’absurdité exagérée de certaines séquences. La musique joue d’ailleurs un rôle prépondérant dans ces dernières et renforce le côté risible de la situation – à l’instar des cartoons – comme par exemple Les Indes Galantes dans un moment de procession ou Hummelflug lors d’une compétition entre faux-bourdons. On ne peut pas s’empêcher de sourire de ces moments; ni à l’inverse de faire le rapprochement avec nos sociétés contemporaines. Cette empathie est permise par les gestes et réactions d’Anna qui, elle, semble beaucoup plus “humaine”. Malgré une volonté de se conformer au groupe, de répondre au protocole et aux règles, son regard et ses émotions la trahissent. Ses mouvements sont toujours en contretemps de ceux du groupe. Elle n’a pas le même tempo que ses semblables, passant du ralenti à l’accélération, à la lassitude et à la mélancolie ou au contraire à la violence orchestrée. Certaines scènes se révèlent désarmantes : les accouchements, l’élection de la nouvelle reine, la reproduction, la lapidation ou simplement le port des armes et de l’uniforme montrent une société dans laquelle il n’y pas de place pour la compassion et les sentiments, où tout n’est que masque et rôle. Une société dont l’extrême brutalité ne semble servir qu’au maintien d’un équilibre précaire. Mais jusqu’où peut-on le supporter ?
Brutalia, Days of Labour est assez remarquable par son esthétisme très léché, Manolis Mavris ne laissant aucun plan au hasard. Le récit – assez bien ficelé – permet de questionner de nombreux thèmes de société. Les ramifications sont intéressantes car implicites, ce qui laisse la totale possibilité au spectateur de mûrir une réflexion singulière par rapport à son propre vécu.
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