Parmi les courts-métrages sélectionnés aux Oscars 2021, un film français se démarque par son audace esthétique et narrative, Genius Loci. Son réalisateur, Adrien Merigeau revient d’Irlande où il a travaillé avec Tomm Moore sur Le Secret de Kells (2009) et sur Le Chant de la mer (2014). Son dernier film, Genius Loci, a remporté le Prix Format Court à notre festival de novembre, le Prix Audi à la Berlinale et une Mention spéciale au Festival de Clermont-Ferrand en 2020 et déborde de couleurs et d’idées.
Dans une effervescence bigarrée, l’aventure de Reine entraîne le spectateur dans un périple plein de poésie et de surprises. En pleine confusion, la jeune fille quitte l’appartement de sa sœur, s’enfuit dans la nuit noire, erre dans les rues de la ville où, partout, le chaos la poursuit et l’assaille. Comme un mauvais esprit, il va prendre possession d’elle. Le fantastique ne cesse de faire intrusion dans ce périple urbain comme dans l’image. Formes, lignes et couleurs envahissent les décors, les personnages et les objets dans de folles expériences kaléidoscopiques et restituent ainsi la confusion existentielle que traverse Reine. Proche de l’expressionnisme et du cubisme – Adrien Merigeau confie s’être inspiré de Paul Klee, Gustav Klimt ou encore Pablo Picasso – le film déconstruit les codes traditionnels de représentation. Dans un mouvement constant de transformation, les objets et les êtres se délitent peu à peu. Ils sont comme abandonnés et dépouillés de leur première fonction, tous habités par le même esprit. Prise dans le flot des métamorphoses, Reine est en quête d’identité et nous embarque dans cette aventure où même les images se transforment. Parfois, les dessins ne sont que de simples esquisses imaginaires qui font irruption dans le vagabondage de Reine. L’image peut aussi prendre l’allure de croquis chinés sur un carnet. À d’autres moments, comme surpris au détour d’une image, le film éblouit par d’immenses tableaux flamboyant de couleurs.
Dans ce joli désordre des images, se cache une vraie cohérence. Pour mieux la saisir, il faut comprendre comment le film s’est élaboré. L’originalité du film est liée à l’expérience collective qui lui a permis de voir le jour. Adrien Merigeau a beaucoup compté sur l’aide de ses collaborateurs – parmi eux, le dessinateur de bandes dessinées Brecht Evens, à l’origine de nombreux décors du film. Genius Loci est une œuvre d’une grande liberté où différents auteurs ont pu s’exprimer pleinement, comme Céline Devaux, réalisatrice du Repas Dominical (César du meilleur court-métrage d’animation en 2016) qui a entièrement mis en images une séquence. Alan Holly, son ami et collaborateur avec qui il avait réalisé en 2009 son premier film, Old Fangs, a pu apporter lui aussi ses propres idées, dessins sous forme de croquis assemblés les uns par dessus les autres dans une apparente confusion des événements. Enfin et surtout, la famille d’Adrien Merigeau, Lê Quan Ninh et Théo Merigeau, ont, quant à eux, participé à la réalisation du film en écrivant la partition musicale. Faite de distorsions, d’accords à la fois dérangeants et mélodieux, la musique fait corps avec les images. Elle propose un travail d’écoute des sons de la ville inédit. Réarrangés, ils forment une mélodie étrange, douce ou violente. “La musique, ça peut être des sons tout simplement” propose une amie de Reine après un concert inopiné d’orgue dans une église déserte. Genius Loci est un film fantastique, chamarré dans lequel la magie se cache dans du papier et de l’encre, tout simplement.
Article associé : l’interview du réalisateur