Le réalisateur Loïc Barché vient de connaître sa première nomination aux César. Son film L’Aventure atomique, le troisième produit par ses amis de Punchline Cinéma, est en lice pour le César du meilleur court-métrage 2021. Format Court est allé à sa rencontre où, en dehors du nucléaire, il a été question de l’Algérie, des Trente Glorieuses, mais aussi des… vélibs et des Playmobil.
L’Aventure atomique est votre troisième film après Le Commencement et Goliath. Tous les trois ont été produits par Punchline Cinéma. C’est votre première nomination aux César. Comment avez-vous réagi ?
Loïc Barché : C’est un grand honneur. Ça me fait extrêmement plaisir. Je trouve que c’est très émouvant d’y aller avec Lucas Tothe et Sylvain Lagrillère. Leur premier film, c’était mon premier film – Le Commencement. Avec Sylvain, on habitait dans le même village, on faisait des films ensemble au lycée. On prenait la caméra des parents ou du lycée. On faisait du cinéma presque comme on en fait aujourd’hui. Il y avait déjà marqué « réalisé par moi, produit par Sylvain ». C’est super d’avoir fait ce trajet avec eux et c’est très émouvant de repenser à la période où on était ados et qu’on avait envie de vivre ce qu’on vit aujourd’hui. Je suis fier de cette sélection et je suis d’autant plus heureux de la vivre avec eux.
Dans L’Aventure atomique, vous racontez le périple de sept soldats français envoyés en mission en 1961 dans le désert algérien pour analyser les effets des radiations provoquées par un essai nucléaire. Tous vos personnages se trouvent ainsi dissimulés dans des scaphandres anti-radiation pendant la quasi totalité du film, au point où il est souvent impossible de les distinguer à l’écran. C’est un choix de mise en scène plutôt osé.
L.B. : Le film mise sur un rapport aux personnages qui est étrange. C’est un peu des Playmobil. On ne sait pas toujours qui est qui. Il y a une espèce de disparition de la personnalité de chaque personnage derrière le scaphandre et ce qu’ils sont en train de vivre. Plus ils avancent et moins ils sont eux-mêmes, presque. Les combinaisons, les casques, la manière de filmer, tout est allé dans le sens d’un film où les personnages seraient des forces de vie un peu déclinantes. On a compensé ça par une mobilité plus grande de la caméra, une manière de filmer les paysages en plans larges et un langage de mise en scène qui prendrait beaucoup du discours du film en charge.
On y retrouve tout de même cette idée d’antagonisme entre deux personnages principaux. Une idée qui caractérise beaucoup vos précédents films.
L.B. : C’est quelque chose que j’aime beaucoup dans le cinéma, faire des personnages qui sont très marqués par une idée. Une grande idée dont ils pensent qu’elle va les sauver mais qui au final risque plutôt de les détruire. Le fait de montrer un personnage jusqu’au-boutiste, qui croit tellement en ce qu’il fait qu’il ne va jamais changer d’avis, c’est beaucoup plus réaliste je pense, que de faire une espèce de twist moral qui mettrait le spectateur à l’aise. Ce dernier cas de figure, on a davantage l’habitude de le voir, mais ça ne correspond pas à grand chose, j’ai l’impression. En revanche, montrer des salauds, des salauds qui détruisent le monde, c’est ça qui fait partie, pour moi, des enjeux du cinéma.
On remarque également dans votre filmographie un attachement pour les grands espaces, que ce soit la plage et la mer dans Goliath, les prairies dans Le Commencement ou maintenant le désert dans L’Aventure atomique. Des paysages tantôt sublimes tantôt menaçants qui semblent littéralement « engloutir » les personnages.
L.B. : Chaque fois, la question du territoire, de l’endroit où on va faire le film, intervient très tôt. C’est presque aussi un des déclencheurs qui va déterminer le film ou pas. Que ce soit dans Goliath ou L’Aventure atomique, c’était pour ça que je faisais les films. C’était pour tourner dans ces endroits-là. L’enjeu du cinéma, c’est ce qu’on montre du contemporain. Dans quelle mesure le film qu’on va faire va prendre en charge une partie du contemporain ? Et c’est vrai qu’aller dans un endroit très contemporain qui serait le centre-ville parisien par exemple, et de voir filmées des stations de vélib, ça me paraît très difficile. J’ai l’impression qu’il n’y a pas trop de promesse de cinéma dans des stations de vélib. Par ailleurs, dans ces paysages, il y a aussi à chaque fois un élément de fantasme, de projection de soi et d’une certaine volonté de domination de la nature, comme le plongeoir dans Goliath ou le nuage atomique dans L’Aventure atomique. Je filme à chaque fois des personnages qui sont en quête d’une virilité qui ne paraît pas très mature.
Dans L’Aventure atomique, vous semblez fustiger clairement cette volonté de l’homme de dominer la nature à travers un développement à outrance de la science et des nouvelles technologies. Un développement incarné dans votre film par le fameux rêve des « trois télés chez soi » qui anime la jeune génération des années 60.
L.B. : Je voulais continuer la réflexion, déjà entamée dans Goliath, sur ce qu’on pouvait mettre derrière le mot « progrès ». Je voulais aussi en faire un film plus politique. Pour moi, c’était important de donner un autre point de vue sur les Trente Glorieuses, par exemple. Ce qui s’est passé à ce moment-là, ce rêve des trois télés chez soi, rendu possible par le nucléaire, qu’on nous a vendu à l’école comme étant un rêve vraiment indépassable, j’ai l’impression qu’aujourd’hui, on est très nostalgique de ça et les discours politiques des gens qui nous gouvernent, c’est de la nostalgie pour cette époque-là. Ça reste indépassable. Ce qu’il faut chercher, c’est la croissance économique pour avoir trois télés chez soi. Là, où on en est aujourd’hui, la crise qu’on traverse, elle vient de cette nostalgie-là, de cette époque-là, donc il ne faut surtout pas la regretter. Je pense que c’est un travail à faire et je trouve très excitant de raconter l’histoire autrement et de créer un pont entre ce qu’on vit aujourd’hui et des époques pas si lointaines qu’on a traversées.
Vous choisissez l’Algérie comme théâtre de cette critique du progrès français des Trente Glorieuses. Pourquoi ?
L.B. : Je suis tombé sur l’histoire de cette mission qui s’est déroulée le 25 avril 1961 en Algérie. La France réalisait alors des essais nucléaires sur le sol algérien et à la suite d’une de ces explosions, on avait demandé à plusieurs dizaines de soldats, positionnés à 10 km du point zéro, de s’en rapprocher successivement pour mesurer les effets de la radiation sur leur santé. J’ai été tout de suite convaincu que ce serait un bon moyen de questionner cette notion de « progrès ». Je m’en suis saisi d’autant plus facilement que je trouve qu’il existe un problème du cinéma français à prendre en charge certaines zones de son histoire. On n’a pas le Apocalypse Now de la Guerre d’Algérie ni de la Guerre d’Indochine. Je crois beaucoup à la capacité du cinéma à faire histoire, à donner des images de notre histoire et à aider les Français à réfléchir sur leur histoire. Et tant que ces images, elles n’existent pas comme il faut, ça va être plus difficile.
Propos recueillis par Piotr Czarzasty