Carcasses et poésie de voitures brûlées
La mort de deux enfants, coincés dans une centrale électrique pour fuir la police, provoque en 2005 de terribles émeutes à Clichy-sous-Bois. En 2021, Virgil Vernier illustre dans son court-métrage Kindertotenlieder cette banlieue qui n’a pas oublié la violence de la colère et de la peur. Pour raconter cette mémoire douloureuse, le réalisateur des deux longs-métrages Sophia Antipolis (2018) et Mercuriales (2014) et des courts-métrages Sapphire Crystal (2019), Pandore (2010), ou encore Commissariat (2009) avec Ilan Klipper, utilise ici les images des journaux télévisés de TF1. Le film a remporté le Prix Jean Vigo du court-métrage 2022.
Dans son remontage, le fracas bruyant de la télévision disparaît. Seules les images parlent d’elles-mêmes. Tôles, verres et pneus brûlés se suivent en silence, la frontalité avec ces squelettes des émeutes nocturnes se fait seul commentaire de la violence. Extraites du flux continu babillard de la télévision, les images se font témoins d’un nouveau réel, celui du quotidien des habitants de Clichy. Ils sont le centre du film de Virgil Vernier qui veut leur rendre le récit de ce qu’ils ont vécu. En utilisant ces images, le film apaise une autre blessure, celle du discours idéologique véhiculé par la télévision qui martelait alors la division entre les français. Dans ce remontage dénudé des significations induites par celui des journaux télévisés, Virgil Vernier rétablit le face-à-face originel : celui du discours des habitants de Clichy face à celui qui était en ces temps-là Ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy. Traités de vermine par celui-ci, ils répondent “non, nous ne sommes pas comme des voitures qu’on pourrait laver au karcher ». Cette simple juxtaposition montre cruellement l’inégalité du combat, l’absence de dialogues, la violence des propos.
Ce film naît d’une double conjonction, d’une part, la volonté de faire mémoire de ces événements, d’autre part, le dégoût de Virgil Vernier pour le traitement de ces mêmes événements par les chaînes d’information en continu. Apparaissent alors différents inventaires des motifs préférés des JT. Assemblés en silence et avec sobriété, les images deviennent brutes et fascinantes. Elles, qu’on a voulu “grand spectacle” dans un flux de désinformation, deviennent des témoignages justes qui fondent la mémoire d’un lieu et de ceux qui y vivent. Les habitants de Clichy, qu’ils soient émeutiers ou victimes, adressent leur détresse à la caméra du journaliste. Maintenant que le médium de la télévision disparaît, leur colère et leur peur résonnent dans le silence. Leurs regards caméras, adressés à des journalistes effacés au montage, se font d’autant plus touchants maintenant qu’ils ont été ramenés à leur solitude initiale. Tristement, ils nous rappellent qu’aujourd’hui le sentiment d’abandon persiste dans ces lieux réduits à l’idée de banlieues radicalisées. Virgil Vernier trouve avec lyrisme ce qu’une voiture en feu, une sirène dans la nuit ou un cocktail molotov contiennent de beauté et de puissance. Il rend aux habitants et à ce lieu marginalisé son existence complète, dans toute sa complexité et sa part d’incertitude.
Consulter la fiche technique du film
Article associé : l’interview du réalisateur