Après avoir été sélectionné au Festival de Clermont-Ferrand 2020, Jusqu’à l’os fait partie des films présélectionnés aux César 2021. Le court-métrage de Sébastien Betbeder est inspiré de l’histoire vraie de Nicolas Belvalette aka Usé, musicien amiennais devenu candidat du Parti sans cible pour dénoncer la fermeture de son local.
Format Court : On sent beaucoup de spontanéité dans le film. Est-il le fruit d’une longue réflexion ou d’une envie elle aussi spontanée ?
Sébastien Betbeder : Le film s’est fait dans une urgence, une rapidité, comme pour Inupiluk où, sur une proposition de Frédéric Dubreuil (producteur, Envie de tempête Productions), j’ai profité de la venue de deux Inuits en France pour faire un film. De la même façon, la musique de Usé me touche énormément depuis son premier album sorti en 2016 mais je n’avais jamais eu la chance de le voir sur scène alors qu’on m’avait parlé de prestations scéniques exceptionnelles. Lorsque je vais finalement voir son concert, je suis sous le charme de sa performance, de la puissance indemne de ses morceaux sur scène, et je me rends compte qu’il est un personnage de fiction à lui tout seul. Je connaissais son parcours, que je trouvais aussi très cinématographique. Je savais qu’il avait créé en 2014 à Amiens l’Accueil Froid, à la fois salle de concert, bar, lieu de résidence artistique et studio qui accueillait beaucoup de musiciens de la scène underground d’Amiens jusqu’à ce que la Mairie décide de fermer le lieu pour raisons administratives. Je savais aussi qu’il avait alors décidé de se porter candidat à l’élection municipale en créant le Parti sans cible dont le programme, utopique, fantasque, burlesque et poétique, est de l’ordre de la performance artistique.
Cela fait pas mal de tes films où l’on retrouve Thomas Scimeca au casting. Etes-vous devenus inséparables ?
S.B. : On se retrouve avec Thomas sur un registre de l’humour assez singulier et sur notre envie de faire évoluer son personnage de film en film, de le faire grandir. Mes personnages ne sont pas fermés et Thomas a ce truc adolescent qui lui permet d’aller loin, d’emmener son personnage dans plusieurs directions. Au concert d’Usé, je me rends compte non seulement que c’est un personnage incroyable à filmer mais aussi de sa ressemblance avec Thomas Scimeca. Je me dis qu’il y a un duo à inventer. Après être allé au bout de son élection avec 2.2% des voix, Usé a été nommé personnalité de l’année par le journal Le Courrier Picard. En rentrant, j’écris donc le projet en faisant de Thomas Scimeca ce journaliste du Courrier Picard qui interviewe Usé quelques années après sa candidature pour savoir ce qu’il est devenu.
Tes films mettent souvent en scène des personnages qui ne se comprennent pas. L’incompréhension, le manque de communication entre les êtres est-il un thème qui t’obsède ?
S.B. : Disons que c’est un procédé de comédie que j’aime beaucoup. Cela me passionne quand des êtres qui ne se connaissent pas vont, le temps d’un film, apprendre à se connaître, à faire un bout de chemin ensemble, à s’appuyer sur l’épaule de l’autre. Les incompréhensions, de l’intention ou du langage, sont des moteurs de comédies qui me parlent et me touchent. L’incommunicabilité ou la difficulté d’échanger sont les sujets de tous mes films. Cela a pas mal à voir avec la réserve et la timidité de mes personnages. Mais pour autant cette incompréhension n’est jamais stérile, elle ouvre sur autre chose. Usé avait besoin de rencontrer Thomas pour grandir, il le sent dès le premier rendez-vous. Il a besoin de lui et s’accroche à lui pour vivre ce parcours d’incompréhension et d’amour. L’incompréhension est la première étape d’une relation.
Jusqu’à l’os a été un retour au court après plusieurs longs-métrages. C’est assez rare comme cheminement.
S.B. : Si je pouvais, j’aimerais faire encore plus de courts, et j’ai du mal à comprendre que ce ne soit pas plus une évidence. Une histoire n’a pas la nécessité d’être dans un format long. J’ai écrit Jusqu’à l’os en quinze jours, dans un mouvement, et ça faisait sens de le tourner vite pour profiter de cette énergie. Je n’aurais pas eu la patience d’attendre le long-métrage, et j’aurais eu du mal à vendre un tel projet en long. Le court est une bouée d’air pour tenter des choses. Je sortais de plusieurs longs-métrages et c’est un combat d’imposer mon cinéma parmi les productions françaises. J’ai besoin parfois de ne pas avoir à discuter sur le casting, l’équipe, l’esthétique du film et le court donne cet espace de totale liberté. Je n’ai jamais considéré le court comme une carte blanche pour arriver au long, c’est un objet qui a sa raison d’être dans ce format-là. Peu de réalisateurs de ma génération n’ont pas à faire de concessions et je n’ai pas l’impression d’en faire quand je fais un court-métrage. Un autre poncif que je déteste c’est quand on parle de « film de la maturité ». Si on disait que mes longs-métrages n’étaient que des premiers films, ça m’irait très bien. Chaque film est une nouvelle aventure, j’essaie de retrouver cette virginité à chaque nouveau projet, en court comme en long.
Propos recueillis par Yohan Levy
Article associé : notre focus sur 4 des courts présélectionnés aux César 2021