Après avoir été sélectionné au TIFF et au dernier Festival de Clermont-Ferrand, Yandere fait partie des courts-métrages présélectionnés aux César 2021. Le court-métrage de William Laboury raconte le parcours de Maïko, la petite amie holographique de Tommy qui va voir ce dernier la quitter pour une fille bien réelle.
Format Court : Tu as une formation de monteur. Avant de tourner tes films, les as-tu déjà montés dans ta tête ?
William Laboury : J’ai l’habitude de prévoir énormément à l’avance le découpage au point de faire des story-boards animés. Ce sont des images fixes avec du fondu pour les mouvements sur lesquelles je monte le son enregistré pendant les répétitions avec les comédiens. Pour Yandere, la chef-déco a fait un sketch-up de la chambre en 3D pour que je puisse balader la caméra dedans à la bonne focale et voir ce qu’on verra à l’écran dans les bonnes proportions. Monter la maquette me permet aussi de voir si le film fait bien la durée que j’estime. Sur Fais le mort, mon deuxième court, Arte voulait que le film fasse moins de 8 minutes, et je me suis rendu compte grâce au story-board animé qu’on était plus autour de 10-11 minutes. Du coup, j’ai réécrit avant de tourner pour ne pas avoir à couper au montage.
Tu n’as donc jamais de surprise au montage ?
W.L. : Il y a toujours des surprises. On ne peut pas prévoir ce qu’on va ressentir devant un personnage qu’on n’a pas filmé, il faut rester ouvert. Au début, pour Yandere, on avait du mal à s’attacher au personnage de Maiko, qui est un hologramme en 3D. Tout le travail du montage, qui a duré quatre mois, a été de lui donner de l’humanité. C’est passé par l’ajout de sa voix-off, de plans montrant ses émotions (comme ceux du cœur en 3D), et par un changement de chronologie. Quand on commençait le film avec Maiko (en 3D) et Tommy humain, on croyait que c’était Tommy le personnage principal. Alors j’ai commencé par la fin, avec elle d’emblée humaine, qui raconte son histoire à un autre hologramme pour qu’on voit l’humain en devenir avant de voir l’hologramme. C’est la première fois que je tordais autant un film au montage pour revenir au scénario. En montage, on dit souvent que le film est là quelque part dans les rushs, plus que dans le scénario. En principe je suis d’accord, mais pas là. Le film qui était dans les rushs n’était pas le mien, je préférais tordre les rushs, pour raconter ce que je voulais raconter.
Le Japon est présent dans ta filmographie d’auteur comme de monteur. Qu’est-ce que tu aimes dans ce pays ?
W.L. : C’est une coïncidence. Je connais très mal le Japon, je n’y ai passé que deux semaines de vacances il y a deux ans. Quand j’ai fait Hotaru, je voulais quelque chose d’exotique, dans une jungle autour d’un centre spatial. J’ai hésité entre la Guyane et le Japon et j’ai choisi le Japon. Mais ce pays n’avait jamais le même statut dans ma tête pour ces films. Pour Yandere, le film a été inspiré par les personnages virtuels. J’ai été frappé par le nombre de mascottes au Japon. Les marques sont toujours associées à un petit personnage, il y a même des chanteuses virtuelles qui montent sur scènes comme des hologrammes. Je me suis dit que si les personnages virtuels étaient aussi développés au Japon, c’est qu’il y avait une raison, et j’ai compris que l’animisme, cette croyance que les objets ont une âme, était très développée là-bas. J’ai donc eu envie de créer un personnage virtuel et j’ai cherché dans les mangas quel caractère il pouvait avoir. C’est là que j’ai trouvé quatre types de femmes amoureuses, dont la Tsundere, hyper amoureuse mais qui fait tout pour le cacher en étant exécrable comme dans Hey Arnold, et la Yandere, fée ultra jalouse qui fera tout pour éliminer ses rivales et qu’on retrouve aussi dans la culture américaine avec par exemple la fée Clochette qui déteste Wendy.
La technologie est un personnage récurrent dans tes films. Trouves-tu qu’elle fait plus de mal que de bien à l’homme ?
W.L. : Je n’ai pas vraiment d’avis sur la question, qui est plus politique que liée au cinéma. Je préfère que ce soit des auteurs ou des penseurs qui me parlent de technologie plutôt que Black Mirror. Je n’attends pas de la fiction qu’elle me dise qu’un truc est moralement bien ou pas, mais plutôt qu’elle me fasse découvrir des personnages nouveaux. Dans mes films, la technologie est souvent un prétexte pour parler d’une situation qui n’existe pas dans le présent mais qui est plausible et pas purement fantastique. Dans Yandere, la technologie n’est pas le fond du film, elle est secondaire. Maiko est un hologramme mais qui n’a plus rien de technologique quand elle pleure et qu’elle grandit. Je voulais questionner la relation qu’on peut avoir avec des personnages pas réels, mais pas forcément des robots. Après avoir parlé avec un ami de mon idée, il m’a envoyé la publicité d’une entreprise japonaise qui vend des cylindres en verre avec un hologramme dedans qui écrit des messages à son propriétaire toute la journée. Quand j’ai vu cette pub, je me suis senti obligé de me mettre à la place de l’hologramme car elle avait un visage, un corps, contrairement à un tamagotchi par exemple. C’est cette frontière brouillée entre ce qui est humain et ce qui ne l’est pas qui m’a beaucoup intrigué.
Propos recueillis par Yohan Levy