Cette édition 2020 du Festival du court-métrage de Clermont-Ferrand a pris, comme chaque année, sa part de risques. Entre autres films audacieux, le public clermontois a découvert le dernier-né du réalisateur britannique Robert Morgan. Tomorrow I Will Be Dirt avait, dès le départ, tout pour intriguer. Se vendant comme la « suite du film Schramm, de Jörg Buttgereit » – long-métrage particulièrement violent et presque inconnu du grand public –, ses projections ont, de surcroît, fait l’objet d’avertissements spéciaux de la part des organisateurs du festival. Les spectateurs ont découvert, parfois malgré eux, un métrage sépulcral, malsain et virant souvent vers un gore inqualifiable. L’intrigue semble incompréhensible, mettant en scène un humanoïde torse nu s’échappant de sa chambre pour s’engouffrer dans un piège infernal, peuplé de figures bizarroïdes et de monstres hideux. En réalité, difficile de saisir le noyau dur du film au cours d’une telle projection. Présent dans les bonus Blu-ray du film Schramm à l’occasion de sa réédition par Arrow Films, le court-métrage de Robert Morgan trouve naturellement sa place. En effet, comment séparer l’œuvre de celle qui l’a engendrée ?
Jörg Buttgereit est assis, depuis le milieu des années 1980, sur le trône papal de l’underground allemand. Auteur de nombreux clips et court-métrages, il se fait surtout connaître pour trois films particulièrement extrêmes : Nekromantik en 1987, contant l’étrange histoire d’un couple nécrophile se disputant un cadavre nécrosé (le film aura une suite en 1991, du même auteur) ; Der Todesking en 1989, chef d’œuvre expérimental gravitant autour des thématiques de la solitude et du suicide ; et Schramm en 1993, psycho killer mélancolique, héritier des Maniac (1980), Schizophrenia (1983), et autres Henry, Portrait of a Serial Killer (1986). Si Buttgereit a su se creuser une place au milieu des myriades de torture porn et de films d’exploitation, c’est bien par ce que son œuvre n’a que peu de points communs avec l’essentiel de la production.
Poétiques et contemplatifs, ses films, bien qu’outrageusement obscènes, s’enrobent chacun d’une ambiance éthérée, nébuleuse, renforcée d’effets de brume et d’effets de lumière, ou d’airs opératiques, à la fois sinistres et imposants. Ce sont comme des rêves fous, des souvenirs déformés, constellés de silhouettes squelettiques, de paysages enténébrés, d’espaces clos claustrophobes et de métaphores occultes. Buttgereit aura, à l’image d’autres cinéastes de sa catégorie, une influence majeure, bien que souvent ignorée, sur le cinéma actuel. Parmi ses successeurs les plus directs et les plus intéressants, il faut bien sûr citer Marian Dora (auteur de Cannibal en 2006, Melancholie der Engel en 2009, ou Carcinoma en 2014), et peut être, dans une certaine mesure, le Russe Andrey Iskanov (Nails en 2003, Visions of Suffering en 2006, ou encore Philosophy of a Knife en 2008).
Robert Morgan, lui, de son côté, est issu d’une autre branche du cinéma extrême : la nouvelle génération d’animateurs underground britanniques. Entre un David Firth cultivant un univers profondément lynchien (notamment avec sa série Salad Fingers, démarrée en 2004), et un Lee Hardcastle partisan d’un gore débridé, Robert Morgan fait office de doyen. Son univers est, des trois, le plus abouti techniquement, mais aussi le plus morbide, avec ses textures suintantes et ses visages hybrides de nourrissons et de cadavres.
Il partage avec ses deux compatriotes et Jörg Buttgereit un même goût de l’onirisme, des atmosphères étranges et des contes indéchiffrables. Paranoid, déjà, en 1994, bien qu’assez classique pour un projet étudiant, met en place les premières pierres de son cinéma, avec son postulat cauchemardesque et ses textures cartilagineuses. Il poursuivra son travail avec de nombreux courts-métrages, dont The Cat with Hands en 2001, qui restitue à merveille l’ambiance des histoires de fantôme d’Edgar Poe ou de Lafcadio Hearn ; puis The Separation (2003) et Bobby Yeah (2011) qui restent à ce jour les plus renommés. En 2014, il marque de son sceau l’anthologie ABCs of the Death 2 avec le segment D is for Deloused, peut être à ce jour son métrage le plus hermétique et le plus perturbant. Chacun de ses univers a sa propre logique interne, que l’on devine emprunte de différentes pathologies psychiatriques. Ce sont des mondes à la fois mentaux et organiques, principalement sculptés de fluides et de viande.
Robert Morgan et Jörg Buttgereit étaient destinés à se rencontrer, tant leurs travaux et leurs obsessions, malgré la différence de medium, semblent proches. Cette rencontre prendra la forme d’un hommage de Morgan envers son aîné. Schramm, qui semble avoir durement marqué l’animateur anglais, déroule la vie d’un chauffeur de taxi solitaire, Lothar Schramm, qui, par désespoir et misère sexuelle, s’adonnera au meurtre et à l’automutilation. Du long-métrage, Morgan n’extraira que quelques motifs particuliers, afin d’en tisser ce qu’il imagine être l’au-delà de Lothar. Ainsi apparaît Tomorrow I Will Be Dirt. Mort, le psychopathe de Buttgereit se réveille dans sa chambre, aux côtés de son propre corps étendu. Bien vite, des hallucinations l’assaillent, le poursuivant jusque en une plaine obscure faite de morceaux de charognes. La vision est digne de Dante : sous un ciel complètement noir, des corps enfouis, découpés en morceaux, continuent, péniblement et au-delà de la mort, de respirer. Schramm se verra ensuite confronté à un double de lui-même, éternellement torturé, ainsi qu’à une horreur vaginiforme armée de mâchoires tranchantes.
Le film de Morgan se veut une densification de l’œuvre d’origine. Les images fortes de Buttgereit, telles que le monstre tentaculaire ou la scène de mutilation génitale, sont ici reprises et recomposées, réinsérées dans une narration à la fois plus libre et plus restreinte. La construction d’un purgatoire pour le psychopathe allemand n’est qu’un prétexte à la recréation d’un monde sans règles, où les visions de Schramm s’entrecroisent et se confrontent selon les lois anarchiques de l’autre monde. Nous pourrions y voir la métaphore des traces que laisse un film après coup : quelques flashs, des images, des fragments de scènes, dont on ne finit par se souvenir qu’avec des mots. Ces mots engendrent à leur tour d’autres images, qui tourbillonnent dans l’esprit du public, victimes d’une immuable et progressive déformation. Avec Tomorrow I Will Be Dirt, Robert Morgan nous offre le témoignage d’un spectateur : une récréation du film, trouée, hachée, mutilée, et longtemps macérée tout au fond du puits à souvenirs. C’est peut être là la forme la plus humble et la plus intéressante que puisse prendre un hommage.
Critique érudite et interessante, mais franchement ce film s’adresse à quels spectateurs ?? Qui peut avoir envie de voir tout ca ? Je l’ai vu et cette débauche de trucs dégueux m’a agacée et le temps m’a paru long.