Dans son deuxième court-métrage, La Veillée, en sélection nationale à Clermont-Ferrand, Riad Bouchoucha raconte le malaise de Salim qui étouffe dans le petit appartement familial et ne trouve pas le calme et l’intimité auxquels il aspirait pour veiller le corps de sa mère.
Format Court : Écrire sur un événement aussi intime que la perte de ta maman répondait à un besoin d’exprimer quelque chose ou à une volonté de partir d’un sujet que tu connaissais bien ?
Riad Bouchoucha : Ca s’est imposé à moi. Ce n’était pas juste une source d’inspiration mais un point de départ nécessaire. J’avais plus besoin d’écrire là-dessus comme une catharsis qu’envie de traiter d’un sujet utile que je connaissais. D’ailleurs, quand c’est arrivé, je n’envisageais pas de réécrire de la fiction. Je faisais des recherches sur l’immigration des mes grands-parents et le bidonville marseillais où mes parents ont grandi, que je voulais raconter sous un prisme documentaire. Peut-être que je n’osais pas retenter une fiction, que la marche me paraissait haute et que j’avais peur de la franchir. Mais après cet événement, je ne pensais plus qu’à ça. Je me suis dit que j’avais quelque chose de fort et de touchant et je me suis lancé. Je ne savais pas vraiment écrire un scénario alors j’ai cherché comment m’améliorer et j’ai rejoint une résidence d’écriture.
Qu’as-tu appris pendant cette résidence ?
R.B. : J’y ai acquis un vrai savoir-faire. J’estime que je ne savais pas écrire avant et j’ai été familiarisé à des outils pour mieux appréhender le scénario. Je ne pense pas qu’il y ait de recette miracle mais c’est bien de connaître les bases. La résidence, La Ruche, s’articule en trois parties. À l’issue de chaque partie, on doit rendre un document spécifique. Après la première partie, je n’ai même pas écrit de scénario mais un séquencier. J’ai appris à me poser la question de quelles séquences j’allais choisir et pourquoi. Et j’ai écrit des back-stories pour mes personnages, ce qui m’a non seulement aidé à construire leurs relations mais a aussi constitué par la suite une solide base pour les comédiens. C’était d’autant plus important pour moi que les films que j’aime sont portés par les personnages, qui façonnent l’intrigue et ne la subissent pas comme dans un film de genre ou un film policier. Et cela m’a aussi permis d’apprendre à lutter contre la tendance qu’on a de vouloir tout de suite écrire les dialogues alors que ça doit venir à la toute fin, après avoir caractérisé ses personnages, écrit son séquencier puis sa continuité non dialoguée. Avant, je faisais tout ça en même temps.
Est-ce que la transformation d’un réel intime en une fiction est difficile à opérer ? A cause d’un trop grand attachement au sujet, d’un manque de recul…
R.B. : Ca a été compliqué au début car j’ai écrit le personnage du protagoniste à partir de ce que j’avais vécu. Or, soit j’arrivais à m’en écarter pour que le film devienne quelque chose de différent soit je ne le faisais pas. Heureusement, mon envie de fiction a pris le dessus assez vite. Les échanges pendant la résidence puis avec mes producteurs m’ont beaucoup aidé à prendre de la distance vis-à-vis de mon sujet. Quand je m’empêchais d’inventer des choses sur mon personnage, on me rappelait constamment que je faisais une fiction pour m’aider à amener le film là où je voulais. Par exemple, au début, des antagonismes existaient entre le personnage principal et tous les autres personnages mais du coup la tension était diluée, surtout sur un court-métrage. On m’a alors donné l’idée de créer le personnage du frère, qui a permis de resserrer les enjeux tout en véhiculant l’idée que tu peux être lié par le sang à quelqu’un que tu ne connais pas. Ce n’est pas la relation que j’entretiens avec mon frère mais j’y ai mis ce que j’ai vécu avec un cousin ou un oncle quand la tradition se mêle aux attentes que ta famille a vis-à-vis de toi. Il ne fallait pas non plus tomber dans quelque chose de trop simpliste ; j’ai passé du temps à trouver la bonne relation, à creuser les différences sans négliger le passé commun. Finalement, j’ai voulu que la colère des frères passe par les mots tandis que leur amour s’exprime par les gestes, comme dans la scène d’apaisement et de transmission, où le lien intime de la cellule familiale ressurgit après les tensions.
Il semble exister un fil rouge entre tes deux courts-métrages : la pression familiale. Est-ce un sujet qui t’obsède ?
R.B. : Oui, certainement. J’ai fait un master en droit alors que j’ai toujours voulu faire du cinéma. Je me suis engagé dans ces études par dépit, en raison d’une certaine pression familiale sur le petit dernier et bon élève que j’étais. J’ai un grand frère artiste plasticien qui ne mène pas une vie facile et mes parents ont cherché à me dissuader de suivre la même voie. Mais après mon master, je me suis lancé en autodidacte et j’ai réalisé mon premier film (Héritages), avec des amis étudiants et grâce au financement participatif, pour me prouver que j’en étais capable. J’aime les histoires de famille, je trouve que tu es toujours piégé par ta famille. Quand j’ai abandonné le droit pour le cinéma alors qu’ils me voyaient déjà comme un avocat qui allait gagner sa vie rapidement, mes parents ont eu peur. Nos parents ne veulent pas que l’on galère comme eux, ils ont galéré. Ils pensent nous avoir donné les moyens de réussir financièrement alors qu’en réalité, ce qu’ils nous ont donné c’est le choix de faire ce qu’on veut. Mes parents ont fini par accepter. Ils ont vu que j’étais sérieux dans ce que je faisais et que c’était vraiment ce que je voulais faire. J’aime me dire que ta famille, c’est à la fois tes limitations et ta force. Les films de James Gray comme The Yards, Little Odessa sont de grandes références pour moi. L’atmosphère familiale y est pesante et tes proches peuvent t’élever comme te détruire en un claquement de doigt. La question de la transmission, de l’intergénérationnel, du décalage entre rêves des parents et aspirations des enfants m’intéressent beaucoup.
Propos recueillis par Yohan Levy