Premier film du réalisateur Dayan David Oualid, Dibbuk, présenté cette année à Clermont, nous plonge au cœur d’une séance d’exorcisme juif. Loin des effets de ce modèle indépassable qu’est L’Exorciste, il nous présente cette expérience avec une sobriété et une simplicité qui lui donnent la force du naturel et de l’évidence.
Les premiers plans du film nous invitent à suivre un homme coiffé d’une casquette, qui remonte une rue parisienne sous la lueur des lampadaires, au son d’une musique mêlant cordes et percussions. Pour le spectateur contemporain, ces signes sont ceux de la familiarité : la casquette qui recouvre la kippa des Juifs pratiquants, une nuit apprivoisée par les lumières de la ville et les sons des voitures, la musique qui scande les rythmes religieux. Rien donc pour nous suggérer l’immixtion de la magie.
C’est l’ouverture d’une porte qui fera entrer cette dernière dans le film. Une magie d’abord convoquée par un objet on ne peut plus ordinaire : la mezouzah, réputée éloigner les mauvais esprits, que l’homme à casquette – Dan – embrasse machinalement. Un office mal rempli puisque, de l’autre côté de cette porte mal gardée, le mari de Sarah est en proie à un dibbuk, nom hébreu désignant l’esprit malin qui vient posséder un être humain.
C’est dans cette coexistence de la magie et de la vie quotidienne que réside une grand part du film, qui conduit le spectateur à ressentir le fameux « doute » fantastique défini par Todorov, celui de l’hésitation entre une explication rationnelle à un événement étrange – le mari de Sarah serait simplement fou – et une explication surnaturelle à ce même événement – il est bel et bien possédé.
Aussi la suite du film consiste-t-elle en cette séance d’exorcisme, menée par Dan, épaulé des neuf autres hommes requis pour procéder à une telle opération. Les étapes qui vont suivre seront filmées comme la préparation d’un combat, des tefilin enroulés sur les bras comme on revêt une armure à une mise au point aux étranges allures de conseil de guerre. Une épopée toujours enracinée dans le réel et la modernité, où manuscrits et formules magiques sont lus sur des écrans d’ordinateurs.
Cette intrusion du surnaturel dans la vie contemporaine est faite avec l’évidence des nouvelles fantastiques de Maupassant et conduit le plus matérialiste d’entre nous à douter de ses certitudes scientistes. Quant au jeu des acteurs, de la gravité de Sophie Arama – Sarah, la femme du possédé – à la certitude de cet exorciste érudit campé par le réalisateur lui-même, il nous emporte également dans ce monde où l’on peut à la fois se déplacer en métro et être possédé par un démon.
Dayan David Oualid voulait faire un film qui renouvelle le genre de l’exorcisme, le déplaçant du catholicisme, où on le représente habituellement, vers le judaïsme, moins présent au cinéma mais abondant dans la littérature ashkénaze – que l’on pense, par exemple, à Singer ! Il est vrai que le judaïsme s’y prête puisque la magie, considérée par la religion romaine comme superstition, et partant marginalisée, est au contraire intégrée à la pratique religieuse juive.
Enfin, notons la qualité de l’image pour un film auto-produit, réalisé à petit budget, grâce à ce que le réalisateur appelle la « production guérilla », où l’art de faire beaucoup avec peu de moyens. Aussi la maigreur des budgets conduit-elle à privilégier la suggestion sur la représentation : pas d’effets spéciaux, mais un jeu d’acteurs au cordeau et des mouvements de caméra qui qui rendent palpable la séance d’exorcisme. Gageons que ce film, en lice à la compétition nationale de Clermont, remportera les prix qu’il mérite.
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