À peine auréolé du Grand Prix du Court-métrage au Festival international du film fantastique de Gérardmer, Dayan D. Oualid est venu à Clermont-Ferrand présenter sa première réalisation, Dibbuk (compétition nationale), qui raconte le chemin de croix d’un homme pieux convoqué par une femme pour guérir son mari d’un mal mystérieux.
Format Court : On pourrait dire que ton film est à mi-chemin entre le documentaire et le fantastique. Comment es-tu parvenu à traiter avec autant de réalisme un sujet aussi ésotérique ?
Dayan D. Oualid : Mon parti pris de départ était exactement celui-ci. Fasciné depuis toujours par la mystique et l’occulte, j’ai voulu, avec Dibbuk, aborder le genre par une approche quasi-documentaire. J’ai donc commencé par effectuer énormément de recherches. J’ai passé des heures au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme à Paris, beaucoup lu sur la kabbale et rencontré de nombreux rabbins, parfois réticents à parler d’un sujet considéré comme tabou. Et plus mes recherches avançaient, plus je me suis rendu compte du formidable potentiel cinématographique de ce rituel d’exorcisme, qui rassemblait beaucoup de traditions et coutumes juives comme le shofar, cette corne de bélier que l’on sonne lors de certaines prières.
On a l’impression que ce rituel d’exorcisme, qui fourmille de symboles et de références, pourrait évoquer une infinité de choses. Qu’évoque-t-il pour toi ?
D.D.O : Figure-toi que je suis toujours resté très premier degré dans l’interprétation de ce rituel. Dibbuk est un mot yiddish qui vient de l’hébreu debbek, qui signifie “qui colle”, et qui désigne une âme qui colle à une autre en attendant sa réparation. Ces âmes, si elles sont en grande difficulté, peuvent être accompagnées d’un autre être supérieur afin de mener à bien leur quête, c’est le cas dans le film. Mais si on voulait s’éloigner de cette définition littérale, je dirais que le personnage de Dan, cet exorciste qui a besoin de réunir un quorum de dix personnes plus ou moins pratiquantes pour mener à bien le rituel, peut faire penser à un jeune producteur, qui cherche à rassembler des personnes plus ou moins expérimentées autour d’un réalisateur qui voudrait exorciser quelque chose. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si j’ai à la fois joué Dan et produit le film.
Il s’agit donc d’un film entièrement auto-produit ? On dirait pourtant qu’il y a pas mal de moyens.
D.D.O : Plus que d’auto-production, je parlerais carrément de “production guerrilla”. Ou comment faire beaucoup à partir de rien. Les moyens sont dérisoires, le film a coûté 4000 euros, il n’y pas d’effets spéciaux. Mais il y a une équipe, une équipe incroyable, qui a travaillé bénévolement et m’a donné toute sa confiance. Il y a eu des larmes et de la sueur dans ce film. Beaucoup sont des camarades que j’ai connus à l’école et avec lesquels on s’est réunis en association. Et puis on a été épaulés par des partenaire extraordinaires comme Transpa, qui nous ont énormément aidés, et par le corps professoral de notre ancienne école, l’ESEC, qui nous a prodigué de précieux conseils.
As-tu peur de ne plus avoir la même créativité le jour où vous aurez plus de moyens ?
D.D.O : Non. La “production guérilla” n’est pas qu’une contrainte, c’est un état d’esprit, une façon de se battre, contre la météo, contre le temps qui file, pour des choix audacieux, pour l’art. Plus de moyens ne voudra pas dire tomber dans le confort, mais pouvoir aller au bout. Même si notre présence ici, à Clermont, démontre le contraire, j’aurais pu aller beaucoup plus loin avec un peu plus d’argent. Je n’ai pas pu utiliser de longue focale à cause de la petitesse de l’appartement où on tournait. J’aurais aimé que la scène de fin soit visuellement plus impressionnante avec un décor foisonnant. Une équipe lumière plus nombreuse m’aurait permis de mieux travailler les contrastes. Mais surtout, tout le monde aurait pu être payé pour son travail formidable.
Propos recueillis par Yohan Levy
Article associé : la critique du film